The Strangers : L’Enfer, c’est les autres ?

Si vous êtes féru de cinéma asiatique, vous avez probablement entendu parler de la petite pépite de cet été, The Strangers, présenté Hors Compétition à Cannes cette année. Et quand je dis petite pépite, j’entends plutôt gros caillou qui t’éblouit tellement que tu te pètes la gueule de ton Vélib à trois heures du matin en descendant la rue Mouffetard. En termes de qualité, déjà, mais on va y revenir, mais aussi parce que le machin pèse quand même deux heures et trente-six minutes, et elles sont bien chargées.

Tout commence avant l’aube dans la petite ville de Gok-Seong sous une pluie torrentielle. Trop tôt pour vivre, diraient certains, mais le devoir appelle : le père de famille et policier Joong-Goo se lève, une femme est morte, il faut se mettre au travail. Après avoir pris tranquillement son déjeuner, Joong-Goo arrive sur les lieux et entraîne le spectateur dans l’antichambre de l’enfer. Des hurlements, des vies déchirées, du sang à profusion que la pluie ne parvient pas à évacuer… dès la première minute, le réalisateur Na Hong-Jin impose une violence inouïe et inexpliquée et la confronte à la banalité du quotidien.

Na Hong-Jin parvient à naviguer entre les genres avec une efficacité jouissive

Alors que les meurtres se succèdent et se ressemblent, et que d’autres phénomènes inexpliqués voire surnaturels font leur apparition, l’enquête policière fait place au drame familial, puis aux films d’horreurs, et oui ce pluriel est volontaire et je n’en dirai pas forcément plus pour ne pas gâcher tout le plaisir. C’est sur le papier la plus grande force de The Strangers, puisque Na Hong-Jin parvient à naviguer entre les genres avec une efficacité jouissive ; c’est simple, puisque l’équilibre est extrêmement maîtrisé, les différents codes se mélangent et s’entremêlent jusqu’à perdre le spectateur pour le laisser d’abord dans le doute, puis totalement désemparé. Et ce dernier adjectif correspond parfaitement au héros du film qui est, très franchement, un loser. Il a beau être flic, il est loin du modèle stéréotypé : c’est un trouillard balourd dont le seul super-pouvoir est d’être super crédule, d’avoir des cauchemars surpuissants et de se faire choper par sa fille de dix ans en plein ébats sexuels avec sa femme.

Le film sombre dans la tragédie totale et dans l’excès

Cette crédulité est au cœur de The Strangers, puisqu’elle permet au spectateur de commencer par se moquer un peu – et la première demi-heure est très largement peinte sur des nuances de grotesque – puis de douter réellement quant aux implications surnaturelles : et si le japonais qui s’est installé dans la montagne était vraiment un démon, et la cause de tous les malheurs ? Le doute laisse place à d’autres interrogations au fur et à mesure que le film sombre dans la tragédie totale et dans l’excès, d’un exorcisme totalement démesuré à un final difficilement qualifiable d’autre chose que d’apocalyptique. Et plus The Strangers avance en changeant de peau, plus ses deux personnages principaux – le policier et sa fille – se métamorphosent à leur tour  ; la naïveté du premier est chassée bruyamment par la maladie de folie meurtrière qui s’empare de la seconde. Autant le dire, les deux performances d’acteurs poutre sacrément sa maman en salopette, et elles sont très mises en valeur par la mise en scène ultra efficace et adaptée de Na Hong-Jin.

Polar noir comme quelque chose de très noir, film d’horreur terrifiant sans jamais succomber aux facilités modernes, tragédie familiale sophocléenne, The Strangers n’est pourtant pas à mettre entre toutes les mains (si vous avez des yeux sur vos mains comme Doug Jones dans Le Labyrinthe de Pan) : malgré ses qualités, il paraît évident qu’une telle œuvre n’attirera pas tout le monde. Mais si cela vous intrigue ne serait-ce qu’un chouïa, foncez le voir tant qu’il est encore en salle.

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