Moi, Daniel Blake, de Ken Loach

Il y a deux façons de voir un mauvais film de Ken Loach (oui, celui-ci l’est, j’en suis certain et j’ai raison). Celles-ci dépendent vraiment de l’humeur du moment et des conditions dans lesquelles t’as dormi la nuit précédant le visionnage.

La première façon, celle dite des gros bourges de l’hôtel Majestic, consiste en s’apitoyer sur tout ce sur quoi Ken Loach veut que tu t’apitoies. C’est une mécanique de journal TV, de découverte, de zoo, presque. « Oh les pauvres ouvriers qui sont obligés d’aller pointer à la banque alimentaire », en l’occurrence.

La seconde façon, celle qui fut la mienne durant toute la séance, c’est de s’en contrefoutre. Mais il faut dire que la nuit dernière, j’ai pioncé sur un bout de matelas rempli de ressorts désagréables.

J’étais de mauvais poil.

Si l’an dernier La Loi du Marché réussissait à mon sens l’exploit de rendre compte assez subtilement pour ne pas que l’on en voit trop les ficelles déjà bien usées du mal-être de notre société, Moi, Daniel Blake est relou comme un discours moralisateur de ton tonton un peu coco mais surtout pas mal vieux, qui refuse de te lâcher la grappe. C’est qu’ils prennent de l’âge, Ken Loach et son immense scénariste Paul Laverty (qui en vaut deux).

Je suis sûr que vous pouvez deviner tout le scénario de film juste avec cette image
Je suis sûr que vous pouvez deviner tout le scénario de film juste avec cette image

En cause avant tout, l’humour qui tombe souvent à plat. Une nouveauté chez Loach que l’on avait connu dernièrement bien plus rigolo (cf notamment le très réussi La Part des Anges) : il pratique ici un humour de ieuv, à base de papi qui ne manie pas l’ordinateur et pense que « cliquer » c’est apposer sa souris sur l’écran. LOL mec, mais LOL, tu tiens un putain de gag.

L’humour, c’est d’habitude ce qui permet aux personnages de Loach de vivre à l’écran, ce qui les rend beaux et attachants, et déclenche, de fait, de façon assez subtile l’empathie. Dans ce nouveau dernier film, ceux-ci ne sont que des pions que le scénariste actionne mécaniquement avec pour seul but de tacler la bureaucratie. Aussi, les ficelles semblent vraiment immenses et le procédé légèrement téléphoné : l’on s’enfonce petit à petit dans cette même empathie dégueulasse que Bercot et consorts manient à merveille. Presque du voyeurisme, même, lorsqu’au détour d’une scène qui commence pourtant très bien, Loach filme son héroïne incapable de se retenir d’ouvrir une boite de conserve dans une banque alimentaire pour la manger. Affamée.

Ce pourrait être une intense scène de cinéma si elle était plus subtile et ne faisait pas écho à une scène intervenue quelques minutes plus tôt de l’héroïne se contentant d’une pomme pour repas, préférant laisser sa part au héros l’aidant beaucoup dans ses tâches quotidiennes. Geste appuyé par les gamins (toujours les gamins), s’exclamant « Mais maman, ça fait 3 jours que tu ne manges que des pommes ». Tu la sens la machine à faire monter les larmes ?

Tout est appuyé là où ça fait pleurer, dans une mécanique qui finalement s’oppose à celle que Brizé adoptait avec La Loi du Marché : là où le réalisateur français faisait des ellipses sur tous les grands moments de galère et de joie de son héros, restant pudique et courageux, Ken Loach en fait lui des caisses.

On a, de fait, l’impression de recevoir une leçon d’un monsieur que l’on respecte beaucoup, mais qui commence à radoter un peu. C’est assez triste voire agaçant, tant l’homme a dans sa jeunesse de réalisateur apporté au « cinéma social ».


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
[usr 1.5] [usr 2.5]

Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


2

Un film de Ken Loach avec Dave Johns, Hayley Squires, Micky McGregor, Dylan McKiernan
Date de sortie en France encore inconnue

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