Comédies de crise ou crise de la comédie ?

Véritable baromètre du cinéma comique, le Festival de l’Alpe d’Huez avait cette année décidé de se consacrer exclusivement aux comédies françaises. Des 10 films proposés, probablement 10 futurs succès du box-office si l’on s’en réfère aux sélections des années précédentes, on peut dégager quelques constantes, quelques passages obligés qui rendent bien compte d’une atmosphère de crise.

L’argent fait quand même plutôt le bonheur

Sur les 10 films présentés, 7 prenaient pour point de départ l’argent. Des Tuche, immenses beaufs remportant une grosse somme au loto à Dieumerci, étouffé par les dettes au sortir de prison et sommé de les rembourser au plus vite, l’argent est le point de départ de la grande majorité des films comiques d’aujourd’hui. Pourtant, ça n’est jamais très drôle, les problèmes de fric, pourra-t-on s’étonner. Un fabriquant de skis de fond prêt à déposer le bilan (Good Luck Algeria), un jeune bien nanti généreux au point de payer le loyer de potes avec qui il exauce le vœu d’une coloc à Paris et dont les vivres se retrouvent coupées par un papa fâché (Five), un père au chômage depuis bien trop longtemps menacé avec sa famille d’expulsion et contraint à l’arnaque (Encore Heureux):  sur le papier, vraiment, on devrait moyen se marrer.

Pourtant, dans tous ces films, Encore Heureux mis à part, l’argent reste simple toile de fond. La condition sociale des héros est dessinée par leur manque ou leur abondance de flouze, et les péripéties en émanant justifiées par leurs comptes en banque.

Etonnante idée, si l’on y réfléchit de plus près, que de caractériser des personnages par leurs pécules. Pourtant, c’est aujourd’hui le cas de 70% des comédies françaises, donc (le panel montré à ce festival étant encore une fois souvent révélateur). Ceci a certainement à voir avec l’état actuel de notre société, redessinant le genre « comédie de crise ». L’on ne peut s’empêcher, d’ailleurs, de quantifier le niveau de galère des héros des films qui nous sont montrés, et de s’amuser, devant Five, de problèmes de hipsters auxquels nous les voyons confrontés. Bouh, on ne peut plus payer le loyer de notre 120m2 à Paris, plaignez-nous, plaignez-nous. Je précise que Five est un très bon film, sinon on va croire que je crache dessus. Heureusement que la qualité d’une œuvre ne se cantonne pas toujours à ce qu’elle dit.

Mais les films, dans un festival, discutent entre eux, et faire causer Five avec La Vache, où un agriculteur algérien se démerde pour traverser la France avec sa vache à pied vers le Salon de l’Agriculture donne lieu à un dialogue amusant.

Et deux scènes restent, quelque peu obscènes. Dans Encore Heureux et Five, les héros découvrent soudainement de grosses liasses de billets et s’en émerveillent. Le cours de leur vie en est changé, le cours du film également. L’argent ferait donc en effet le bonheur ?

La puissance d’Encore Heureux, certainement le plus beau film de la compétition, c’est de faire de cette scène quelque chose d’infiniment malsain et, de fait, d’une grande puissance comique. Il est question de piquer l’argent d’une vieille claquée, donc de planquer le corps, de ne pas se faire choper, et de faire tout ça avec les gosses. C’est immoral, c’est tordu : ça fonctionne. Dans le film, c’est l’argent des riches qui fait le bonheur des pauvres. Une idée qui, elle, fait un peu rêver dans ce panorama comique où l’argent manque faute de boulot stable. Et la scène la plus drôle du festival, c’est certainement celle où Edouard Baer fait la morale à ses gamins tournant, évidemment, mal, sous le regard ébahi de Sandrine Kiberlain : « Si tu veux de l’argent, il faut bosser. »

Le rêve inaccessible de héros entêtés

Devenir acteur, amener sa vache au salon de l’agriculture de Paris, se qualifier aux Jeux Olympiques d’hiver en ski de fond ou encore intégrer un grand conservatoire de musique : tels sont les rêves de héros croisés au festival. Par manque d’argent, péripéties comiques ou quiproquos, ceux-ci sont contrariés jusqu’à toujours finalement aboutir. Les comédies d’aujourd’hui semblent nous sommer de suivre nos rêves. Cucul, me direz-vous, optimiste vous répondrais-je.

La comédie française d’aujourd’hui est très axée frissons finaux. Calquée sur la recette gagnante de La Famille Belier, elle aime à faire poindre la larme dans son baroud d’honneur. Le comique d’aujourd’hui, on l’aime pugnace, téméraire, touchant. On aime le voir galérer, mais à condition qu’il finisse par réussir. Les comédies comme autant de success stories. Il est loin le temps où Michel Blanc et Pierre Richard campaient d’incurables losers toujours contrariés dans leurs progressions par une énième maladresse.

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Pas de contre-exemple sur ce festival. Alors on se remettra Platane, et l’on comprendra ainsi ce qu’il y a de si singulier dans le personnage créé par Eric Judor à cette époque où en plus d’être marrant on doit être touchant.

La famille comme galère supplémentaire

La cellule familiale ne sera pas à la fête dans la comédie française de 2016. On coupe les vivres à son gamin (Five), on délaisse sa femme et ses mioches au profit de son boulot (Tout pour être Heureux), on cache une grossesse à ses parents (Joséphine s’arrondit) : bien peu de réconfort auprès des siens. Ce sont les amis qui nous sortent du pétrin de nos jours. L’enjeu principal des relations avec la famille, c’est de savoir si les protagonistes finiront par se comprendre ou resteront fâchés. Mais jamais plus la famille ne semble être ressort comique ni facteur aidant : on ne peut plus compter sur personne en ces temps de crise.

La famille, c’est le deuxième coup de massue. Généralement, dans le schéma de la comédie made in 2016, il est question d’aller trouver du réconfort ou demander de l’aide, puis de se faire jeter comme un malpropre. Le processus d’apitoiement décuplant le frisson final lorsqu’au terme du baroud d’honneur le héros se voit félicité par ceux qui jadis ne croyaient plus en lui. Une astuce assez facile, assez énervante, dont Good Luck Algeria ne fait pas usage, ceci lui donnant une dimension supplémentaire. En effet, dans le film, le couple Sami Bouajila – Chiara Mastroianni semble au-dessus de tout.

Les problèmes, ils en discutent, et jamais ne tombent dans les extrêmes. Aucun raccourci scénaristique, donc, et un souci du vrai qui finalement – et ça pourrait être là un bel exemple pour les comédies à venir – décuple le frisson final. Lorsque Mastroianni y est filmée fière de son mari, plus fort que l’adhésion soudaine, c’est la force d’un amour à travers les difficultés de la vie qui est montré. D’ailleurs, la scène où Bouajila explique à sa femme son projet de se qualifier pour les Jeux Olympique de ski de fond aux couleurs de l’Algérie, qui aurait abouti dans beaucoup de scénarii sur une séparation, est traitée comme une pure scène comique. Le héros explique son souhait par étapes. Ski de fond – Jeux Olympiques – Algérie, et Mastroianni se marre puis s’agace tendrement, avant de se barrer, sans faire de drame. C’est un tiers personnage qui annule la sensation d’abandon qui pourrait donner un goût amer, Gambastide, le bon copain, en rassurant son pote : « Là, elle a l’air vénère, mais en fait l’idée fait du chemin dans sa tête je pense. » La cellule de couple est rassurante. L’on sait à travers les vannes balancées et la réaction de Chiara Mastorianni que c’est là un nouvel obstacle, mais que toujours elle le soutiendra, y compris dans ses plus gros délires.

C’est donc un fait, les meilleures comédies de ce Festival furent celle qui ont le mieux su jouer avec les lieux communs de la comédie actuelle, sans pour autant totalement s’en délester (Marseille, film de clôture ne rentrant pas trop dans ces catégories, est un objet sans forme, sans enjeu et, de fait, très peu intéressant).

Pour faire une bonne comédie, il faudrait donc connaître puis admettre le monde dans lequel on vit, et en rire, tout simplement. Encore Heureux, Good Luck Algeria, La Vache : autant de perspectives nouvelles, de respirations comiques dans un format bien trop balisé.

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