Turbo Kid – Etrange Festival 2015

Des riffs de guitares rappelant tout à la fois la folie un peu speed d’Iron Maiden et les délicates réparties électriques de Metallica ; un ado chinant dans une décharge à la recherche de comics et de piles pour son walkman ; le même à cheval sur son BMX multipliant les pirouettes dans un paysage apocalyptique. Le premier long métrage d’Anouk Whissell, François Simard et Yann Karll anticipe un futur pour le moins original, il faut dire que l’action se situe en 1997. Présenté lors du dernier Étrange Festival en septembre dernier à Paris, Turbo Kid est une version redux d’un court-métrage du même nom bricolé avec les moyens du bord. Il est bien possible qu’il ne trouve jamais le chemin des salles dans l’Hexagone, mais il serait dommage de louper une sortie vidéo. On ne serait pas étonné de le trouver en e-cinéma, bien qu’une sortie VHS aurait tout de même plus de charme. Il ne s’agit pas ici d’un énième film cherchant à construire un univers steampunk, décrivant un passé à la technologie bien plus avancée que notre futur, mais plutôt d’un manifeste.
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La première œuvre de ce collectif informel s’inscrit dans un mouvement bien plus large : le mash-up cinéma. Jusqu’il y a peu, en dehors de quelques essais cultes, le principe du mash-up hérité du hip-hop et de l’électro, se limitait a des essais expérimentaux et à quelques vidéo-clips. Tout porte à croire que l’on assiste à un mouvement de fond qui pourrait d’ici quelques années envahir le cinéma mainstream. D’ailleurs, c’est à se demander si, avec l’adaptation hollywoodienne du court métrage de Patrick Jean, Pixels, l’invasion n’a pas déjà commencé. Il y a quelques mois le tout internet se gargarisait devant le pourtant décevant Kung Fury du jeune suédois David Sandberg. Prochainement on devrait voir débouler sur les écrans de nos smartphones et autres tablettes, la version longue du court métrage belge SaturdayMan de Samuel Buisserait. Ces œuvres fascinées par la culture pop jusqu’à la saturation sont les créations d’une nouvelle génération d’artistes qui ne considèrent plus le cinéma comme un moyen de sacraliser leur amour des arts vidéos numériques, comme cherchaient à le faire de façon plus ou moins heureuse Mamoru Oshii ou Christophe Gans. Les auteurs de Turbo Kid, Kung Fury et de SaturdayMan sont les contemporains des ados que filmait, il y a quatre ans, Michel Gondry dans The We and The I. Leurs films se nourrissent des images et des sons qui peuplent la multitude d’écrans qui tendent, aujourd’hui, à structurer le modèle social qui s’impose sur la surface de la planète. À leur tour, ils créent des images qui vont contaminer ces écrans. Ce magma visuel qui compose ces films, ils le fabriquent derrière leurs ordinateurs, filmant les corps des rares comédiens sur fond vert dans leurs garages ou dans leurs greniers. Ils retournent les images à leur façon, piochant autant dans le jeu vidéo Double Dragon que dans les clips des Beastie Boys ou pillant sans vergogne l’univers cheap des séries américano-japonaises telle que Bioman, San Ku Kaï ou les Power Rangers. En d’autres termes : si la culture geek a pris aujourd’hui le pouvoir, il reste une zone obscure qu’il s’agirait de taire. Ces nerds qui peuplaient jadis 4Chan cherchent aujourd’hui d’autres horizons pour foutre le dawa. Pour assouvir leur soif délirante d’images trafiquées, ces cinéastes hackers peuvent se reposer sur la démocratisation de logiciels de haut niveau permettant, grâce aux effets numériques et au montage, de donner l’illusion d’une production hollywoodienne. Mais là où le bidouilleur suédois et le vidéaste français réalisaient leurs films entièrement sur ordinateur, le collectif multiculturel à l’origine de Turbo Kid pousse le mash-up à la vitesse supérieure.
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Turbo Kid s’inscrit indubitablement dans ce nouveau genre. Ces créateurs injectent à très haute dose dans leurs images, une multitude de références. Le film mixe tout à la fois Mad Max et Star Wars, les cinéastes éprouvent un plaisir pervers à générer des créatures mutantes à la frontière d’Indiana Jones et Snake Plissken. Vouant un culte au cosplay qui ravira les adeptes de la Japan Expo, Turbo Kid prend paradoxalement un malin plaisir à pulvériser façon Doom ses personnages un à un.  Aussi jouissif que le cinéma des premiers temps de Peter Jackson (une autre référence très présente), Turbo Kid ne se limite pas à l’accumulation jusqu’à l’écœurement de ses références. La joyeuse bande transforme le simple mash-up qui caractérisait le court métrage en un long métrage où ils imposent un style bien à eux. De la même façon qu’un autre bricoleur fasciné par le cinéma de Cronenberg et Verhoeven était passé de Alive in Joburg à District 9, la fine équipe responsable de Turbo Kid impose une esthétique rose bonbon sur fond de décapitation et d’éjaculations sanguinolentes. Il faut voir l’étreinte amoureuse entre le héros, Turbo Kid et sa fidèle acolyte, Apple, sous une pluie de sang que protège à peine un joli parapluie. Il faut peut être remonter à The Killer de John Woo pour avoir un tel mélange d’ultra violence et de romantisme. Turbo Kid regorge d’images pétillantes de cette sorte et pour ne rien gâcher, le film est servi par une galerie de gueules improbables, revendiquant parfois le surjeu façon Nanarland, ainsi que par le culte à l’acteur de série B Michael Ironside (Robocop, la série V). De cette bande d’acteurs se dégage Laurence Leboeuf dont le personnage fait franchement figure de programme. Apple (avec un tel nom, le spoil est évident) est à l’image du film, totalement barrée, joyeusement bordélique et réussissant à générer de l’humanité et de la sensibilité à partir d’un logiciel. Si le film trouvait toujours ses détracteurs, il faudrait ne pas avoir d’âme pour ne pas espérer que la jeune actrice puisse voir sa réputation franchir les frontières de son Québec natal.
Apple

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