Enragés, une prise d’otages pour de vrai !

Le giallo, c’est un peu comme le gratin de courgettes. Quand c’est bon, tu prends ton pied, mais quand c’est mauvais, c’est vraiment dégueulasse.

Démarrer un giallo avec Lambert Wilson et Virginie Ledoyen au casting, c’est comme partir sur (les fans de Top Chef apprécieront la terminologie) ton gratin de courgettes avec un handicap. Genre pas de four, pas de courgette, ou 3 types qui se mettent à côté de toi et crachent dans le plat sur la rythmique de Tourner les Serviettes.

Tout commence par un braquage. Bon, un braquage à la française, hein, c’est à dire des mecs qui sortent en courant de la BNP avec des flingues en plastique et des cagoules. La France c’est le Lidl du braquage au cinéma : c’est moins kifant sur le papier, mais si t’y réfléchis bien, le résultat est le même.

Un braquage, donc. Mouvements de panique, on est comme dans un film avec Liam Neeson. Sauf qu’à la place de Liam Neeson on a Lambert Wilson. Sûrement parce que ça rime.

Lambert joue son propre rôle – et aussi celui du spectateur dans la salle -, à savoir celui d’un mec qui est au mauvais endroit au mauvais moment. En l’occurrence en voiture, à quelques pâtés de maisons des braqueurs en fuite à la recherche d’un moyen de transport. A l’arrière de sa bagnole, sa gamine dort, du moins c’est ce que l’on croit. Elle est en fait shootée, explique-t-il, et il doit vite l’emmener à l’hôpital, rapport à une maladie grave. Du coup c’est un peu bâtard de les prendre eux en otage, raconte-t-il. Penses-tu, les braqueurs n’en ont rien à secouer, c’est sa voiture qu’ils souhaitent emprunter. Dans celle-ci vient s’ajouter on ne sait pas trop pourquoi un troisième otage de luxe, Virginie Ledoyen, toujours aussi charmante, mais qui a dû oublier de lire le scénario avant d’accepter d’en être. Elle campe ici le personnage le plus inutile de l’histoire du cinéma.

"J'aimerais bien avoir quelques lignes de dialogue, quand même, putain"
« J’aimerais bien avoir quelques lignes de dialogue, quand même, putain »

Passée cette exposition arrive le long voyage en voiture vers la liberté, où l’on nous rabâche les péripéties habituelles qui commencent sérieusement à résonner comme autant d’interdits du genre, tant elles sont attendues : « merde on a crevé », « c’est quoi ce bordel, pourquoi on n’avance plus ? », « J’ai besoin d’aller aux toilettes », « Prends par là, c’est un raccourci », « Qui c’est qu’a pété ? ».

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« On va faire un giallo, j’ai regardé sur Wikipédia, ça plaira à Télérama », c’est ce qu’ont dû se dire les décideurs du film. Et d’ensuite procéder comme devant une recette. De gratin de courgettes, par exemple (et là, bim je repars sur ma métaphore du début). Pour faire un bon giallo façon Mario Bava (Enragés est d’ailleurs largement inspiré d’un de ses derniers films), il faut donc :

– de l’action : 98% du budget a été alloué à des fusillades ;

– de l’érotisme : on va mettre Virginie Ledoyen dans la voiture et on va lui foutre un scotch sur la bouche, comme ça on n’a pas trop de dialogues à rajouter. De temps en temps, un mec lui touchera la cuisse ;

– de l’horreur : plus difficile, mais le scénariste regorge d’idées.

Ainsi, pour insuffler une part d’horreur dans un téléfilm au scénario plus lambda qu’un épisode de Louis la Brocante, il nous sort deux idées aussi invraisemblables qu’exceptionnelles.

Dans le cerveau du scénariste
Dans le cerveau du scénariste

1- Les flashbacks

5 scènes posées de temps en temps sans aucune logique. L’on devine qu’il s’agit de flashbacks. Dans une sorte de cave, les bandits semblent apprendre le métier (de bandit, catégorie B du régime des fonctionnaires) par le biais de jeux cruels. La caméra est foutue de traviole pour ajouter au mystère, l’ambiance fait la part belle aux lumières rouges, parce que quand tu penses giallo tu penses rouge, et on voit des mecs se tabasser et crier.

Ça n’engendre aucun trouble tant les scènes sortent de nulle part et viennent sans cohérence aucune chambouler la narration plan-plan faite de Lambert Wilson qui essuie la buée sur ses lunettes et de Virginie Ledoyen qui… a un morceau de scotch sur la bouche.

2- La « fête de l’ours »

Le coup de génie le plus impressionnant du film. Au cours de leur road-trip fuyard, les bandits se voient arrêtés dans leur progression vers la frontière par un cortège de mecs déguisés. Musique techno, types musclés qui font des grimaces, ambiance moyenâgeuse, ils sont en fait arrivés dans une célébration, une sorte de fête du village toute moisie façon fête de la pomme.

Moi à la fête de la pomme de l'an dernier
Moi à la fête de la pomme de l’an dernier

C’est à peu près aussi inquiétant qu’une parade Disney, mais de fait assez fascinant : comment diantre aucune des personnes à qui a été projeté le film en amont de sa sortie n’a pu expliquer à quel point la scène est ridicule ?

C’est du jamais-vu, on rit beaucoup beaucoup.

Ceci est presque un argument pour que vous alliez voir le film. Je vois déjà l’affiche :

-C'est du jamais-vu, on rit beaucoup beaucoup-, Cinématraque

Du giallo on a donc en effet les trois ingrédients principaux. Comme des courgettes pourries, de la crème fraîche qui a tourné et du gruyère rapé moisi.

L’inévitable twist final (faudrait faire une thèse : pourquoi 99% des films à twists sont-ils tout pourris ?) est plutôt efficace dans sa mise en place quoique assez attendu (le scénario ne cesse de le légitimer avec gros sabots : tiens c’est peut-être la réponse à la première parenthèse). Il débouche en revanche sur une ultime scène d’un ridicule à nouveau à peine croyable, où le scénariste semble s’approcher de notre visage pour nous expliquer quelques postillons à l’appui combien son idée était brillante.

Non, rien. Le film fait flop d’un bout à l’autre. L’on imagine bien que la machine s’est emballée, que ses ficelles ont échappé à l’équipe en cours de route (c’est un premier film, c’est compréhensible, et l’envie d’en faire un film de genre était pourtant vraiment louable), et l’on a, de fait, une grande sympathie pour toute l’équipe ayant engendré ce fiasco voué au bide public et critique.

Concluons donc sur une bonne note, en félicitant… tenez, le monteur de la bande-annonce, ce top chef qui a su s’adapter pour, c’était pas gagné, sublimer le produit. On n’y voit pas les acteurs jouer. Ce qui en effet est un bon coup de flair, tant toutes ces brebis égarées qu’après tout on aime quand même bien (Wilson, Ledoyen, Gastambide, Lucas, Gouix etc.) semblent prendre conscience au fur et à mesure que le film avance du traquenard dans lequel ils se sont fourrés. Une sorte de prise d’otages acteurs. Et spectateurs, aussi. Tous ensemble au mauvais endroit au mauvais moment.

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