The Program : Attention, ce flim n’est pas un flim sur le cyclimse

Lance Armstrong : prophète du cyclisme moderne pour certains, avatar de l’Antéchrist pour d’autres. L’homme n’a jamais laissé indifférent, et rarement dans le bon sens en France. Plus que le champion au mental d’acier, plus que la belle histoire, on retient surtout de lui le tyran tentaculaire, l’expression d’une supériorité froide, implacable, mécanique. Une suprématie incontestable confinant au chef-d’oeuvre d’orfèvrerie qui ne pouvait que susciter l’admiration béate des supporters et la suspicion systématique des haters.

Parler de Lance Armstrong, c’est se confronter immédiatement à une histoire officielle tellement bien huilée qu’elle n’en pouvait paraître que douteuse. Celle d’une résurrection en « bloody Superman » si impressionnante qu’elle semble justement toute droit sortie d’un film. Celle d’un homme qui a posé un joug tyrannique sur une course qu’il a anesthésié pendant des années, amenant la domination d’une équipe sur la plus grande course du monde à un niveau jamais atteint. Celle de l’apogée du sport-business et d’un capitaliste du cyclisme ne laissant rien à cette fameuse glorieuse incertitude du sport. Celle d’un sport réduit à sa plus froide expression statistique.

On ne rappellera jamais assez à quel point Lance Armstrong est une pure incarnation du star system américain. La carrière entière de l’ex-septuple du Tour de France est un long storytelling auquel la star s’est plus que volontairement plié. Avec ses moments de grâce (la victoire sur le Tour au lendemain du décès de son coéquipier Fabio Casartelli, son comeback victorieux après son cancer des testicules), et ceux qui le sont un peu moins, jusqu’à sa chute, qui fait encore de lui aujourd’hui un paria probablement plus détesté encore dans son pays qu’il ne l’est chez nous.

Lance Armstrong est un exemple parmi tant d’autres du fonctionnement de ce petit manège médiatique contemporain où tout est et fait communication, comme le sont aujourd’hui des Beyoncé ou des Taylor Swift. Un produit marketing construit sur un talent bien réel, au point que le premier finisse parfois par prendre le pas sur le second. Une création faite par et pour les États-Unis. Il est donc assez étrange de voir le premier grand biopic sur Armstrong échoir à un cinéaste britannique, qui confesse qui plus est ne pas être particulièrement connaisseur de la petite reine.

Se frotter à l’histoire bigger-than-life de Lance Armstrong et de la grande époque de l’US Postal, c’était donc se confronter d’emblée à un choix artistique : se concentrer sur le système Armstrong jusque dans ses ramifications les plus obscures ou s’attaquer à l’homme et à sa personnalité aussi fascinante que terrifiante. Stephen Frears, qui confie volontiers ne pas s’intéresser outre mesure au cyclisme, choisit au final de ne pas choisir et de courir les deux lièvres à la fois. Choix lourd de conséquences qui plombera son film, pourtant loin de démériter.

Car ce qu’il raconte dans l’ensemble, The Program le raconte plutôt bien. Solidement charpenté, pédagogiquement équilibré, le film déroule sa chronologie sans que l’on trouve le temps de s’ennuyer, bien aidé en cela par des acteurs dans l’ensemble grandement inspirés, notamment avec un Chris O’Dowd très convaincant dans la partition du journaliste pugnace et désabusé. Les fans de Halt and Catch Fire (trop peu nombreux sur cette planète) retrouveront brièvement avec plaisir Lee Pace dans le rôle de l’agent d’Armstrong, sorte de décalque plus que fidèle de Joe McMillian. Et en prenant un peu de recul, même avec une partition ultra casse-gueule à jouer, Guillaume Canet ne s’en sort pas si mal en incarnant de manière outrancièrement cabotine le sulfureux Michele Ferrari.

Mais la trouvaille du film est clairement Ben Foster. Si l’on met de côté tous les délires Méthode qui ont entouré sa performance, qui n’intéresseront que les fétichistes hardcore de Jake Gyllenhaal, l’acteur joue une partition très juste sans jamais tomber dans le piège de l’imitation. Sans pousser la ressemblance dans les tréfonds du ridicule (il garde notamment sa voix naturelle, beaucoup plus aiguë que celle de son modèle), il parvient à faire saisir par instants toute la complexité d’Armstrong, dans les quelques moments où le film se pose pour prendre son temps.

Malheureusement, ces moments sont trop rares. En voulant jongler avec tous les aspects de son sujet en à peine 1h40, Stephen Frears en est trop souvent réduit à survoler ce qui se passe et à sacrifier sa mise en scène au détriment de l’efficacité du récit. Très impersonnel dans la forme, The Program flirte très souvent avec l’apparence du simple docufiction, au risque de la simplification à outrance. Car bien qu’Armstrong en lui-même soit un sujet éminemment américain, le film s’égare dans une perspective trop américano-centrée.

De la France, on ne verra rien dans le film, tant il donne au final l’impression de mettre en scène le Tour du Colorado, le Tour Down Under ou n’importe quelle course du circuit américain. La France et le Tour (une pensée aussi pour nos voisins belges et la reconstitution grotesque du final de la Flèche Wallonne et du mythique Mur de Huy), eux, sont complètement absents, hormis en tant qu’arrière-plan générique à pleurer (ce dont on se doute dès la première scène du baby-foot dans une gargote où pot au feu et tartiflette sont au menu). Plus problématique, le film passe complètement sous silence la vision d’Armstrong par les Français sur le bord de la route, la haine d’une partie du public (qui n’hésitait pas à inscrire ses insultes sur les routes du Tour), la méfiance d’une partie des journalistes français et surtout l’influence de Pierre Ballester, qui a enquêté aux côtés de David Walsh et qui a eu pour seul malheur d’écrire un autre livre que celui de Walsh.

Résultat : tout en étant une illustration dans l’ensemble très bien incarnée de l’histoire du système Armstrong, The Program navigue dans un entre-deux bizarre, capable de s’intéresser à de micro-événements de la carrière d’Armstrong comme ses contentieux avec Christophe Bassons et Filippo Simeoni, tout en occultant complètement un personnage-clé de sa carrière comme son fidèle capitaine de route George Hincapie, véritable locomotive du « train bleu » de l’US Postal. Les initiés s’étrangleront devant les raccourcis que peut prendre l’histoire et maugréeront devant le manque de scènes de course et la platitude de leur représentation. Mais très clairement, le film n’est pas fait pour eux.

De toute évidence, en ne resituant Lance Armstrong que comme le Bernard Madoff d’une gigantesque pyramide de Ponzi sportive, Stephen Frears a fait le choix le plus grand public, sans doute le seul sur lequel il pouvait avoir une emprise réelle, mais aussi celui du plus petit braquet. Le résultat, sans démériter du tout, laisse néanmoins avec l’envie d’en voir plus. Le grand film sur l’hybris torturé et paradoxal de Lance Armstrong, que l’on ne fait qu’apercevoir, reste encore à faire. Espérons juste que ce ne sera pas Fabien Onteniente qui s’y collera.

 

The Program de Stephen Frears, avec Ben Foster, Chris O’Dowd, Guillaume Canet, 1h43

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