62e festival de San Sebastian : un troisième jour réjouissant grâce à Roberto Castón

Deux films en compétition et un film de la sélection Nuevos Directores pour ce troisième jour de festival plutôt réjouissant. Par hasard liés les uns aux autres, Phoenix, Loreak (Les Fleurs) et Los Tontos y Los Estupidos, disent chacun à leur manière comment s’inventer une vie.

Aussi littéral que son titre, Phoenix, le nouveau film de Christian Petzold raconte l’histoire de Nelly, une femme rescapée des camps de concentration, défigurée par une blessure par balle qui aurait dû la laisser pour morte. A l’exception de son mari Johnny, tous les membres de sa famille ont disparu. Lorsque Nelly retrouve Johnny, celui-ci ne la reconnaît pas et lui demande de se faire passer pour elle, afin de percevoir des dédommagements de l’Etat allemand. Le déni n’aurait donc pas de limites ? C’est en tous cas la thèse de Christian Petzold, qui érige Nelly en victime allégorique de l’aveuglement général d’un peuple refusant – à moins qu’il n’en soit incapable – de croire à l’horreur des camps de la mort. Deux fois morte – pour elle-même et pour les autres –, Nelly n’a d’autre choix que d’accepter la proposition nauséabonde de Johnny, et de s’engager dans le jeu de rôle le plus grotesque qui soit. Résignée, elle taira son indignation jusqu’au dernier moment, comme si elle avait tacitement accepté le principe de ne pas revendiquer sa propre existence. Par le truchement de cette mise en scène orchestrée par Johnny, si grossière qu’on peine à croire qu’il souscrive lui-même à cette sombre farce, Christian Petzold dénonce (non moins lourdement) le refus de la société allemande d’accepter la réalité à l’issue de la seconde guerre mondiale. « Comment les survivants des camps pouvaient-ils pardonner alors même que personne ne leur demandait pardon ? » s’est interrogé le réalisateur lors de sa conférence de presse, lundi. Phoenix est donc une tentative de catharsis générale, thérapie de groupe à grande échelle encore renforcée par la dimension théâtrale du film. Les décors en studio, les spectacles de cabaret, la mise en scène du retour de Nelly apparaissent comme la mise en pratique du psychodrame à propos duquel Petzold aurait entendu beaucoup de bien. Didactisme, quand tu nous tiens…

Dans Phoenix, les codes théâtraux sont un moyen d’illustration et de représentation du propos de Christian Petzold ; chez Roberto Castón (Los Tontos y Los Estupidos), ils sont le matériau même du film. En lieu et place de la captation d’une représentation ou des répétitions d’une pièce, le réalisateur associe trois éléments : le point de vue et la voix du metteur en scène, donnant toutes les indications de jeu ; la pièce en tant que telle, qui se déroule sous ses (et nos) yeux et qui mêle deux histoires, d’une part celle de Mario, Paula, leurs deux filles et André, un étudiant français qu’on ne verra jamais, objet des fantasmes de toute la famille, et d’autre part celle de Miguel, homosexuel séropositif qui n’est autre que le psychologue de Paula et Lourdes, jeune femme de 27 ans enceinte de son amant, qui n’est autre que Mario…) ; enfin, les séquences muettes en noir & blanc, où l’on voit les membres de la compagnie de théâtre pendant qu’ils ne travaillent pas. L’audace et l’immense beauté du dispositif suffisent à eux seuls à faire de ce film une réussite, mais il s’avère que Castón tient également un discours sur la création et la fiction, à la fois drôle et intelligent. Il évacue le métadiscours (les scènes où les comédiens se parlent sont muettes, le personnage du metteur en scène se limite à quelques indications), sans pour autant se dispenser du hors champ. Aussi cinématographique que théâtral, Los Tontos y Los Estupidos se présente comme un objet non pas à la croisée des deux arts, mais comme le résultat de leur symbiose.

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