Charlie’s Country : un exilé chez lui

Charlie, un aborigène australien accepte difficilement les règles imposées par la police blanche. Il cherche donc à renouer avec le mode de vie des anciens. C’est le point de départ du film Charlie’s country, film australien de Rolf de Heer présenté dans la sélection Un Certain Regard. Difficile avec un sujet pareil d’éviter le pensum moralisateur sur l’oppression que subissent les cultures traditionnelles. Et pourtant…

Le film comporte deux temps assez différents. La première heure nous permet de faire connaissance avec Charlie au sein de sa communauté. En à peine trois minutes, le réalisateur parvient déjà à nous faire aimer ce personnage atypique. Sa nonchalance et sa malice cohabitent avec une certaine naïveté irrésistible. On rit donc beaucoup et on s’attache à ce héros et à ses amis. On comprend aussi le nœud du film et ce qui tourmente Charlie. Il se sent comme un étranger sur son propre sol. Les aborigènes sont tolérés mais doivent respecter des règles, parfois absurdes, comme des enfants dont on a peur qu’ils fassent des bêtises. Les rapports de Charlie avec la police sont pourtant bons mais derrière leurs échanges de plaisanteries se cache ce profond fossé qui empêche toute réconciliation. Charlie considère qu’il a été dépossédé de ses terres et que les hommes blancs ont pollué le mode de vie des aborigènes. Cela est cependant traité avec une certaine légèreté puisque le rire communicatif du héros efface régulièrement ses soucis.

Quand Charlie décide de quitter le camp, le film change de ton. Sans raconter évidemment les différents éléments de l’intrigue, on peut remarquer que la mélancolie du déracinement remplace la frivolité du début. On est alors véritablement ému par cet homme qui ne trouve sa place nulle part. Sa communauté influencée par de nouveaux modes de vie ne lui convient plus, mais il n’est pas capable de vivre en ville. Ce sont des questions lourdes que soulève De Heer sur l’identité, le progrès, l’acceptation des autres modes de vie, l’importance des racines… Mais il réussit à les traiter avec une subtilité bienvenue. La mise en scène est sobre et réussie. On partage la douleur de Charlie sans que le film ne soit larmoyant. La tension initiale entre l’aborigène et la police finit bien par éclater mais là aussi sans que le trait ne soit forcé d’un côté ou de l’autre. Charlie’s country n’est pas un film didactique, mais une belle histoire qui nous fait réfléchir sans nous apporter de réponses sur un plateau.

Saluons aussi l’acteur principal David Gulpilil tout simplement parfait dans le rôle de Charlie, et c’est primordia,l car si le film marche si bien, c’est avant tout grâce à son personnage. A la fois clown drôle et clown triste, Charlie est aussi attachant que complexe, ce qui permet au film de ne tomber ni dans la caricature ni dans le solennel. C’est exactement ce qu’il fallait pour nous entraîner dans ce récit au final très poétique. La construction du film est aussi très réussie, puisqu’en nous faisant sympathiser dans un premier temps avec Charlie, les émotions ressenties par le personnage par la suite nous touchent directement.

Un très beau film donc que ce Charlie’s Country. A la fois tendre et sensible, il traite tout en subtilité du sentiment de dépossession de toute une population exilée sur ses propres terres. Le personnage principal parfaitement écrit est la clef de voûte de cette œuvre douce et poétique.

Charlie’s Country, de Rolf de Heer avec David Gulpilil & Peter Djigirr – 1h48, Australie, sortie le 17 décembre 2014

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