D’une Vie à l’Autre, et du drame personnel aux secrets de l’Histoire

D’emblée annoncé comme s’inscrivant dans la veine de La Vie des Autres, le titre – très emprunté -, du film de Georg Maas prend le risque d’une comparaison prétentieuse face au film-fauché, en définitive spectaculaire, qui régna de très longs mois sur nos écrans en 2007. Mais la comparaison sciemment voulue entre D’une Vie à l’Autre et La Vie des Autres, ne tient pas beaucoup plus que dans la consonance du titre. En effet, D’une vie à l’autre est un drame personnel et intime beaucoup trop dépendant du contexte historique spécifique dans lequel il s’inscrit ; c’est ce qui en fait sa force, mais bientôt sa limite. En revanche, La Vie des Autres retraçait essentiellement des parcours psychologiques extrêmes aux prises du contexte ultra-sensible de la guerre froide, tout en maintenant la priorité donnée aux personnages.

D’une Vie à l’autre est au bout du compte un thriller pseudo-psychologique qui ne prend sens qu’à partir de la relation très particulière qui fut posée entre l’Allemagne et la Norvège pendant la Guerre. Comble de frustration, cette situation n’est que très peu connue (voire totalement ignorée), ce qui entraîne une incompréhension beaucoup trop longue des enjeux du récit, avant que celui-ci ne commence à mettre en scène une tension qui signifie quelque chose. En effet, pour comprendre l’histoire de ce film, il fallait remonter en 1935, date à laquelle les allemands commencèrent à créer des orphelinats dits Lebensborn dans toute l’Allemagne. Imaginés par Himmler, ces instituts avaient pour but de sélectionner « des membres de la race supérieure » pour les besoins du Reich, en recueillant des bébés répondant du critère de la race aryenne. On estime à 11000 le nombre d’enfants qui naquirent dans ces centres  entre 1936 et 1945. Mais ce n’est pas tout. Dès le début de la guerre, la SS se mit à enlever des enfants de certains pays d’Europe, et c’est dans ce projet « maléfique » que la Norvège envahie en 1940 tient une place particulière. Dans la mesure où les norvégiens étaient considérées comme capables « d’affiner le sang allemand », les soldats de la Waffen SS furent incités à multiplier des unions avec des femmes norvégiennes. Ainsi, jusqu’à la fin de la guerre, entre 10000 et 12000 enfants naquirent de ces unions, et neuf Lebensborn furent spécialement ouverts en Norvège. Deux-cent-cinquante de ces enfants dits de la honte, nés en Norvège, furent envoyé dans l’Allemagne qui devint plus tard la RDA.

C’est en ce point d’histoire très précis que commence l’intrigue du film, ou du moins ce qu’il en retrace dans de nombreux flash-backs. Dans l’ombre du Mur de Berlin, la Stasi vit dans ces bi-nationaux fragiles, du fait de leurs  parcours chaotiques, les proies faciles pour former des agents doubles. Le scénario s’attache à montrer l’itinéraire complexe de ces doubles vies menées par des coupables-innocents, à la fois bourreaux et menteurs mais surtout tragiquement victimes d’eux-mêmes. L’idée est forte, le contexte troublant. Fallait-il que l’horreur de la Seconde Guerre soit encore dédoublée et prolongée des années entières par autant de sacrifices humains supplémentaires ? Le propos s’éclaire dès lors que l’on saisit enfin les tenants et les aboutissants de tous les pré-requis nécessaires à l’intrigue. Mais c’est également à ce moment que le scénario s’essouffle, car la petite histoire se détache de ce qui en fait un drame à la portée universelle, pour tourner au mélodrame un peu facile et à la crise identitaire largement convenue.

Est-il possible de vivre un sentiment maternel envers une personne qui simule sa filiation ? Qu’est-ce qui nous attache fondamentalement à nos enfants ? La colère explose, les larmes coulent, la douleur envahit ceux que l’idéologie avaient portés aux nues d’un héroïsme pervers. Un procès peut-il mettre fin à ce que tant de mensonges ont couté ? Que vaut la révélation d’une vérité irréversible ? Le film de Georg Mass n’est de très loin pas la réussite exceptionnelle de La Vie des Autres, mais il est malgré tout digne d’intérêt, et d’autant plus instructif s’il est abordé en connaissance de la trame singulière qui lui donne son attrait principal. Réviser les « détails » de l’histoire n’est pas un luxe. Ils nous en apprennent certainement plus sur la nature humaine et ses égarements, que les grandes batailles et les prouesses qui font la fierté des créatures les plus perfectibles de la terre.

D’une vie à l’autre, Georg Maas, avec Juliane Köhler, Liv Ullmann, Sven Nordin, Allemagne / Norvège, 1h38.

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