[Festival Groland] Workers : l’humanisme en option, la justice en sourdine

Le premier film de fiction de José Luis Valle suit deux travailleurs (workers) de Tijuana. À la veille de son départ à la retraite, le dévouement de Rafael (Jesús Padilla) pour son entreprise est intact, jusqu’à occuper son temps libre. Lidia (Susana Salazar) est l’une des sept employés au service d’une femme malade et fortunée, dont la seule préoccupation est le bien-être de sa chienne. Plus les tâches envers cette levrette sont aberrantes, plus la domestique les exécute avec application. Ces deux vies, suivies en parallèle, ont aussi en commun des drames plus personnels, la litanie de leurs journées ritualisées facilitant l’enfouissement des émotions. La satisfaction du travail bien fait suffit à ces deux taiseux. Malgré l’indécence de leurs patrons, le jour de la retraite de Rafael, et lors de la lecture des dernières volontés de la patronne de Lidia, ils demeurent laconiques. Mais garder ses émotions pour soi n’est pas nécessairement en manquer : concrétiser leur rêve, celui, simple et modeste, d’une vie meilleure, deviendra leur nouvelle priorité. Ils s’y emploieront avec les mêmes rigueur et minutie dont ils ont fait preuve toute leur vie : silencieusement, sans que personne ne les voie.

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La subtilité semble être le souci premier de José Luis Valle. Les longs plans fixes révèlent, l’un après l’autre, une multitude de détails, bien plus sûrement que les rares paroles échangées. Tout se devine, sans être clairement dit : le travail de Rafael (il n’est clairement montré qu’au milieu du film), celui du fils de la richissime propriétaire, la distorsion du temps entre les deux récits (l’un se déroule sur une année, l’autre sur une durée beaucoup plus longue)… D’injustice, il est effectivement question, mais le mot n’est jamais prononcé. Le cinéaste fait naître l’absurde dans un contexte très réaliste. Ses deux personnages mènent leurs petites odyssées vengeresses comme ils ont vécu : sans jamais hausser le ton, le visage toujours impassible. Tout est dit en un plan-séquence inaugural de cinq minutes : la vue sur la plage vide de Tijuana se décale en douceur sur une mère et son enfant à la frontière avec les USA, constituée de hauts poteaux espacés sur le sable, et ne permettant pas à ceux situés de part et d’autre d’être concrètement ensemble, mais autorisant le passage d’une peluche ou le partage d’un café. Le bruit des vagues couvre leurs conversations ; il leur a fallu apprendre à vivre avec cette frontière absurde et poreuse. « L’habitude est une grande sourdine ». Workers prend son temps pour décrire ce monde du travail déshumanisé, l’altruisme et la solitude des deux travailleurs, la solidarité de quelques inconnus bienveillants et la rébellion silencieuse. Auréolé cette année de l’Amphore du Jury au Festival International du Film Grolandais de Toulouse, ainsi que de l’Abrazo du meilleur film au Festival Biarritz Amérique Latine, le film est aussi subtil qu’efficace : après le tableau de deux vies monotones, et celui d’un patronat méprisant, naîtra la jubilation d’assister, avec un humour salvateur et grinçant, mais jamais cynique, à deux vengeances rouées, discrètes et savoureuses.

Workers, José Luis Valle, avec Jesús Padilla, Susana Salazar, Barbara Perrin Rivemar, Sergio Limon, Vera Talaia, Allemagne/Mexique, 2h.

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