La Folle journée de Ferris Bueller : « Life moves pretty fast… »

« Life moves pretty fast and if you don’t stop and take a look around once in a while, you just might miss it… » Hollywood pourra bien décliner à l’infini les franchises de super-héros : pas besoin de cape, de caves pleine de gadgets, d’armures ou de toiles d’araignée ostensiblement lancées ; exit Metropolis, Gotham ou New York, car en 1986, Shermer, petite ville imaginaire de l’Illinois, aura vu la naissance du plus grand héros moderne, Ferris Bueller, vengeur (sans masque) des adolescents occidentaux, justicier intrépide ayant su laver l’ennui, les humiliations, la torture obsédante de ces heures perdues au lycée, le cul collé à une chaise.

Au commencement est le désir de Ferris (Matthew Broderick), élève de terminale, de « sécher » les cours (celui de tout adolescent normalement constitué), pour la neuvième fois du semestre. Pourquoi ? Il fait si beau aujourd’hui, il serait incompréhensible de se faire « chier au lycée ». Une journée de plus donnée, une journée de plus perdue. Rien de moins légitime, alors, que l’enthousiasme de Ferris, porte-parole des lycéens, qui s’offusque des contraintes de l’institution scolaire et de l’autorité parentale.

Ce n’est pas la moindre vertu du film de John Hughes que d’avoir su filmer à hauteur d’adolescent, et avoir donné à son voeu (celui de n’être ni ses parents, ni l’anonyme élève d’un lycée) une forme de dignité et une inépuisable énergie. Ainsi, l’ouverture du film montre Ferris simulant, devant ses parents, la maladie qui lui permettra de ne pas se rendre au lycée, stratagème qui ne serait que l’expression régressive d’une paresse si, dans un regard caméra, Ferris ne d’adressait à nous, spectateurs et lycéens, pour à la fois justifier sa feinte et conseiller nos futures tentatives : certes, la tromperie est infantilisante, mais le lycée ne l’est pas moins. Ferris n’est pas victime de la torpeur qui, parfois, envahit les adolescents : il est le créateur de son propre devenir, et s’improvise inspirateur et leader de tous les lycéens (ce que craint d’ailleurs l’horrible Proviseur Ed Rooney, interprété par le génial Jeffrey Jones). Ainsi, en ce jour où le soleil resplendit, le lycée devra compter sans Ferris, son professeur scandant son nom en vain au moment de l’appel (de la mort) : Bueller ? …. Bueller ?….. Bueller ?….

Dans cette folle journée, Ferris embarque, en plus du spectateur, son meilleur ami Cameron (Alan Ruck) et sa petite amie Slaone (Mia Sara), l’occasion de séquences hilarantes pour les sortir du lycée (quand il ne s’agit pas tout bonnement de les « sortir d’eux-mêmes », de les pousser à quitter leurs réserves). Personnage touchant, Cameron est la voix de la raison, l’élève et le fils bien sous tous rapports – c’est du moins compter sans l’influence de Ferris.

Ces quelques heures, l’adolescent ne les consacrera pas à perdre son temps, à rester cloîtré devant la télévision, ni à fuir, mais au contraire à agir, créer et persévérer. C’est en cela qu’il est un héros : à l’étroitesse et à monotonie de la vie adolescente, à l’impuissance de l’enfant qu’il n’est plus, et de l’adulte qu’il n’est pas encore, Ferris va substituer l’audace, l’opportunisme et la curiosité. La traversée de Chicago sera l’occasion de multiplier les activités, d’investir des espaces habituellement réservés à d’autres (les vieux, les riches, les puissants) et, plus généralement, à tordre le cou aux préjugés et aux cuistres de tous ordres. Surplomber la ville pour mieux la dominer, et ne plus en avoir peur, en montant dans la Sears Tower (la Willis Tower, aujourd’hui), alors plus haut gratte-ciel du monde ; déjeuner dans un restaurant luxueux et très select ; se réapproprier l’espace d’un musée, pour rendre la culture vivante, défier l’académisme, pour que les oeuvres parlent, émeuvent, disent qui l’on est. Le parcours de Ferris (et dans son sillage celui de Sloane et Cameron), s’apparente à une quête pour apprivoiser le monde, en repousser les frontières symboliques, le médiatiser et découvrir en lui du désirable.

Le tableau serait imparfait si Ferris ne rencontrait pas d’obstacles, à commencer par sa sœur (contre-modèle par excellence), et surtout son ennemi juré, l’acariâtre et ambitieux Ed Rooney, proviseur du lycée de Shermer. Héraut du conformisme, incarnation d’un regard amer et condescendant sur l’adolescence, figure d’une autorité toujours perçue comme abusive lorsque l’on est lycéen, ses déboires viennent venger ceux que les heures de colle ont épuisés, ceux qu’une injuste punition a frappés, alors qu’ils s’étaient seulement distraits d’un apathique cours de philosophie, d’une affreuse leçon d’économie. Le lessivage et l’éreintement de l’autorité scolaire prennent, dans La Folle Journée…, la forme de la torsion infligée au corps de Rooney. Entité bureaucratique (ajusté, pointilleux, voire monomaniaque), il voit son corps être transformé en sujet burlesque : souillé, battu, dévoré, il finira impuissant, assis dans un bus, en compagnie de ceux qu’il méprise et ne comprend pas, et qu’il croise sans les voir : les adolescents.

Ferris, quand on a 17 ans, c’est le héros par excellence, l’ami que l’on aurait voulu avoir, l’élève que l’on aurait voulu être. Intrépide, drôle, charismatique, il symbolise la liberté, comme en témoigne cette scène de liesse populaire dans laquelle blancs et noirs, jeunes et vieux, parents et enfants, ouvriers et cadres se déhanchent, en plein Chicago, sur le Twist and Shout des Beatles. Alors, pour nous avoir appris à devenir ce que l’on est : SAVE FERRIS.

La Folle journée de Ferris Bueller, John Hughes, avec Matthew Broderick, Mia Sara, Alan Ruck, Etats-Unis, 1h42 (1986).

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2 thoughts on “La Folle journée de Ferris Bueller : « Life moves pretty fast… »

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