Alabama Monroe : la belgitude des choses

On avait découvert Felix Van Groeningen au Festival de Cannes, lorsque, par jeu, et pour assurer la promotion de La Merditude des choses, il avait déboulé nu et à vélo sur la croisette. Il avait déjà derrière lui deux longs métrages, lesquels creusaient peu ou prou les mêmes frousses vis-à-vis de l’abandon, de la solitude, de la mort, du monde en général et à l’idée d’enfanter en particulier. Si l’on a l’habitude de moquer les obsessions très glauques du cinéma belge, il faut reconnaître que le pays baigne dans une mélancolie parfois joyeuse, mais plus souvent sinistre. Le mérite de Van Groeningen est d’offrir au spectateur un cinéma désespéré mais jamais déprimant. Il y a un côté Fuzati dans la façon qu’a le cinéaste de mettre en images la violence des rapports humains dans leur normalité, d’assumer sa propre impuissance face à la précarité de l’existence, d’aborder son absurdité, y compris dans ce qu’elle a de plus cruelle. Tout ceci n’est pas triste, en vérité, bien au contraire, chez lui c’est super gai. Telle pourrait être une possible définition de son cinéma.

Sans doute est-ce de ce côté-là que, pour la première fois, le réalisateur trébuche. En voulant affilier son histoire à un genre précis, le mélodrame en l’occurrence, il s’interdit d’en sortir et, dès lors, n’évite aucun de ses lieux communs. Alabama Monroe est triste, très triste, un peu trop d’ailleurs. On pardonnait volontiers à Valérie Donzelli et Jérémie Elkaim d’avoir tenté d’exorciser leur douleur avec La Guerre est déclarée ; on a moins de scrupules à l’égard du cinéaste belge. Quelles que fussent les faiblesses de La Guerre est déclarée, son auteur ne se servait jamais de la maladie de l’enfant pour tirer les larmes. Pour Donzelli, là où ne subsiste aucun espoir, il faut s’en saisir. Groeningen, lui, ne se contente pas de nous faire pleurer sur les malheurs de la gamine : tout, à vrai dire, finira par s’écrouler. Il ne sauve à aucun moment ses personnages, ne leur offre aucun espoir. A tel point qu’anesthésiés par cette noirceur, on regrette qu’avec cette jolie bande d’acteurs, dont l’auteur sait tirer le meilleur, le film ne décolle pas. Pire encore, il y a, dans le choix de déconstruire l’histoire par le biais du montage, un côté artificiel, donnant l’impression d’un cinéaste ne sachant pas par quel bout prendre son récit.

Tout cela est regrettable, d’autant qu’il y avait dans Alabama Monroe une belle idée, qui sied à ce cinéaste mélomane : faire du film un mélodrame où l’on chante. Les personnages réunis au sein d’une troupe de musiciens vivant pour la country music trouvent toujours un prétexte pour se mettre à chanter. Seuls ces moments, les meilleurs du film, permettent aux spectateurs de respirer. Difficile de rester de marbre lorsque Didier, interprété par Johan Heldenbergh, invective brusquement les spectateurs d’une salle de concert très chic, et que craque la très convaincante Veerle Baetens. On retrouve alors, enfin, ce que l’on aime chez Van Groeningen : sa générosité, son esprit libertaire, plus punk que politique. Ne soyons pas trop sévères, donc : l’auteur a un talent certain de conteur, sait agrémenter son récit de belles images et sublimer son goût pour la musique. Malgré les faiblesses de son nouveau film, Felix Van Groeningen s’affirme comme l’un des plus probants cinéastes populaires européens.

Alabama Monroe, Felix Van Groeningen, avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh, Nell Cattrysse, Belgique, 1h51.

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3 thoughts on “Alabama Monroe : la belgitude des choses

  1. L’axe du mélodrame, pour moi, ne se situe pas dans la mort de la fillette. Ce serait vraiment une appréciation trop réductrice. Pour tout te dire, j’ai trouvé que c’était surtout un film d’amour. Et je n’ai pas éprouvé cette tristesse infinie dont tu parles. Il y avait aussi beaucoup de moments jubilatoires, et au final c’est ce qui m’est resté le plus.

    1. Chaque moment de bonheur est à chaque fois plombé par un malheur, j’ai ce souvenir (cela fait déjà plusieurs mois que je l’ai vu) qu’il n’y avait pas d’autre solution pour être heureux que la mort. Oui j’ai trouvé ce film d’un pessimisme très déconcertant, je préfère ses précédents films qui sans être des références de film joyeux nous offraient tout de même à la fin de quoi respirer.

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