Côté court 2013 : compte-rendu et palmarès

Pour la France de Shanti Masud s’enclenche avec un travelling flouté et s’achève par un fondu enchaîné sur les rives de la Seine. Entre ses deux bords fluides, le film coule son amour des corps dans un mouvement nonchalant, qui capture le spectateur dans une étreinte langoureuse, différée. De ce court aux antipodes des schémas traditionnels, on voudrait retenir les traits de fusain des jeunes femmes, les détails burlesques en arrière-plans. Ils sont quelques-uns, garçons et filles, à tisser un groupe impromptu, habitant les reflux d’un spleen tranquille et aéré. Les personnages semblent des marins sans attaches, la douceur, le désir qui infusent leurs gestes ne durent qu’une nuit. Le film décline des motifs, la peur du départ, la lumière photographique, « l’astre noir de la mélancolie », qui s’ornent d’un noir et blanc fulgurant, hommage aux visages du temps présent et aux chambres chères à Eustache. Pour la France compose une ode sur le souvenir, film amoureux ouvert sur sa propre plénitude, au lyrisme ardent et bouillonnant d’inventivité.

Comme Shanti Masud et Isabelle Mayor, Sébastien Bailly appartient à la génération dorée, quoique moins médiatisée, du jeune cinéma français, dans la galaxie du court métrage. La sobriété qui émane de ses films est précieuse. Deux ans après Douce, Où je mets ma pudeur impose une écriture qui parvient, de nouveau, à transcender un canevas d’une simplicité liminaire. Hafsia, jeune étudiante en histoire de l’art, porte le hijab. Problème : lors d’un examen, elle va devoir l’enlever. S’appuyant sur des idées de mise en scène qui le détachent du tout-venant, le film prend son sujet à bras-le-corps en confrontant le cas de conscience d’Hafsia au tableau lui-même, La grande Odalisque d’Ingres. Cette dialectique se voit formulée dans un exercice de montage lors de la scène au Louvre, puis déclinée oralement au cours de l’épreuve. En deux séquences puissantes, le récit épuré devient un écrin pour Hafsia Herzi. Grandiose.

Do you believe in rapture ? d’Émilie Aussel alterne plans de groupe et portraits serrés d’une certaine jeunesse. L’auteur saisit ce qui fait et défait le groupe, le sel de la bande, à travers le nouage bien connu du documentaire et de la fiction. Les témoignages en face caméra, entrecoupés de riffs de guitare, décrivent les émois amoureux. Or, le fil rouge tient lieu d’une problématique qui retranche le tout dans un regard sage et ethnographique. L’approche invite au respect, mais s’en tient à des partis-pris embedded d’investigation qui musèlent la mise en scène. Finalement, l’auteure s’en remet à des figures de skate-board et à un final en images de synthèse noyé de spiritualité. Dommage.

Odile et Marcel, deux petits vieux, déclinent à petits feux. C’est dimanche, leur dernier certainement. Avec Le Tableau, Laurent Achard cultive son goût pour les plans-séquences naturalistes, poursuivant un enregistrement scrupuleux du monde tel qu’il s’écroule. Il réalise ici son film le plus académique et porte à son paroxysme cette propension maniaque à filmer la mort au travail : vider le cadre, stabiloter les détails. Et il n’en démord pas, tant les figurines semblent figées dans le formol, la photographie automnale embaumant leurs derniers instants. Le devenir du film est la taxidermie ; le plan-tableau, plus précisément, que traversent des vieillards aux allures de santons. Un programme d’entomologiste. En résulte un film de décorateur mortifère, qui échoue à faire ressentir la vie qui trépasse.

Land of my dreams de Yann Gonzalez forme un contrechamp idéal à cette inertie ambiante. À Porto, Bianca retrouve sa mère après une longue absence. Ensemble, elles vont parcourir les routes en présentant un spectacle de striptease. La beauté lascive du film tient dans une poésie fiévreuse qui fraye avec le ridicule, mariage du sordide et du faux que pérennise le style souverain de Gonzalez. Porté par une Julie Brémond qui explose son image de pin-up paumée, le cinéaste saisit la déréliction d’une femme-enfant, éveillant un no man’s land provincial qui suinte le désir. En même temps, la caméra ravive les lumières cerclées de la ville et les objets d’un tableau de Hopper, des néons, teintes rouges au jukebox d’une époque révolue. Une torpeur anime ces âmes seules, au cœur d’un périple forain et d’une nuit noire qui va les dévorer. Ressuscitant la mythique Lost Highway de Lynch, le cinéaste exalte et embrase le plan, traçant un sillon outrancier, foncièrement maniériste. Dans la bande et au centre, assurément.

Chère Clarisse Hahn,

Je suis surpris que Queridos amigos n’ait obtenu aucun prix… Ton film dure vingt minutes, mais les lettres qui incrustent l’image nouent une relation tenue et intime au spectateur. Par-delà une histoire mouvementée avec un prêtre mexicain, tu crées une correspondance qui verse dans la métaphore. D’Hôpital à BOYZONE, tes films repoussent en général l’idée de finitude, créent des relations inédites avec ceux que tu filmes, et dissipent les frontières entre cinéma et installation. Cette matière contemplative, qui va à l’encontre du spectaculaire et qui taille dans la chair des plans, peu importe quels écrans et quelles salles, elle investit, tant elle nous traverse. Queridos amigos tient de la formule magique. Merci à toi.

Gilles Lyon-Caen.


Les principaux prix de Côté court 2013 :

Grand Prix Côté court : Abismo d’Antoine Barraud

Prix spécial du Jury : Tristesse animal sauvage de Florian Berutti

Prix du public : Coda d’Ewa Brykalska

Prix de la presse : Pour la France de Shanti Masud

Prix de la jeunesse : La Fugue de Jean-Bernard Marlin

Prix du GNCR : Le Tableau de Laurent Achard

Prix de la résidence : Sarah Klingemann,pour son projet Résidence nomade

Grand Prix Côté court expérimental – essai – art vidéo : JJA de Gaëlle Boucan

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4 thoughts on “Côté court 2013 : compte-rendu et palmarès

  1. Moi j’ai détesté « là ou je mets ma pudeur », j’ai trouvé le film scolaire, plat, une mise en scène attendue et molle et surtout Hafsia Herzi très très fausse et à côté du personnage. Beaucoup d’ennui et de déception

  2. Et tant d’autres. C’est une évidence, et vous avez raison. Bien aimé Après un rêve ou d’autres en section Expé – essai…

  3. Cher Gilles

    Il faut aussi aller voir les films en Panorama!!!
    Vous avez raté par exemple le nécessaire « le terrain » de Bijan Anquetil, le si simple et délicieux « après un rêve » de louise Narboni et le fou et troublant « pan » de Frédéric Bayer Azem…
    Effectivement le film de Clarisse est une merveille.

    Marie Hèlene

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