Trance : du chignon de Kim Novak au sexe de Rosario Dawson

Complice du vol d’un tableau de Goya, Simon reçoit un violent coup sur la tête. Il est dès lors incapable de se souvenir de l’endroit où il a caché le tableau. Franck, à la tête du gang ayant fomenté du vol, fait appel à une hypnothérapeute, Elisabeth, pour lui rendre la mémoire.

Le nouveau film de l’impayable Danny Boyle est-il aussi bête qu’il en a l’air ? Deux fois oui, une fois non (et pourtant décidément oui) : tour de la question en trois points.

1/ Peu d’auteurs convoquent une telle variété de régimes d’images : les shows télévisuels et l’imagerie touristique (l’Inde exotique et bigarrée de Slumdog Millionaire), la publicité (James Franco, déshydraté, rêve, dans 127 heures, de réclames de sodas) et, ici, les oeuvres de Rembrandt ou Goya, les écrans de télésurveillance… Mais Boyle échoue invariablement à en évaluer la nature, à en canaliser le flux : faute de disposer d’un système qui lui soit propre, comment les intégrerait-il à la matière de ses films ?

Passée une introduction précise et enlevée (présentation du personnage de James McAvoy, récit du vol), Trance prend la forme d’un labyrinthe mental, aux coordonnées établies par les protagonistes eux-mêmes, variant au gré de leurs mensonges et manipulations, proche en cela d’Inception (dans l’esprit de qui se trouvait-on, tout ce temps ?). Boyle suggère au spectateur que la distance au réel s’évalue au grain de l’image, au degré de décadrage ou au recours à des filtres colorés. L’oeuvre d’un cinéaste confondant mise en scène et identité visuelle – après tant d’images en pure perte, ne reste plus à Rosario Dawson qu’à se retrancher elle-même dans une image, la surface lisse d’un iPad, et abritant à son tour une image, celle du Goya dérobé. Mise en abyme gratuite et inopérante : à aucun moment, les images n’entretiennent entre elles le moindre rapport – de critique, de commentaire.

2/ Quid de l’hypnose ? De Mabuse au Tourneur de Night of The Demon, sans doute l’un des thèmes fondamentaux du cinéma, puisqu’engageant tout à la fois le corps du film et celui du spectateur, dont il évoque l’état de conscience, pris dans le dispositif de la salle – une analogie théorisée notamment par Raymond Bellour. Étranger à ces questions, Boyle en use comme d’une simple machine à twists (les révélations se succèdent, à mesure que McAvoy recouvre la mémoire). L’occasion de compliquer artificiellement un récit par ailleurs faiblard.

3/ Curieuse fixation de Boyle sur les organes génitaux : celui de Vincent Cassel, dissimulé au spectateur, mais que Dawson contemple, fascinée (sa seule vue enraie le rapport de force qu’en déclinaison de femme fatale, elle tente d’instaurer avec les hommes du récit), et celui de Dawson, plein cadre et – la grande affaire du film – intégralement rasé, pour correspondre à l’idéal de « pureté » de McAvoy.

Le full frontal de Dawson, d’abord envisagé comme un geste gratuit, révèle en vérité le fond du film. Rapport à la peinture, dans le spectacle de laquelle s’absorbent les regards ; vertige identitaire et caractère hypnotique ; chronique d’une obsession amoureuse et d’un dévastement affectif ; soumission d’une figure féminine au fantasme d’un homme perturbé ; mystification criminelle ; récit en deux temps (le premier n’apparaissant qu’à la faveur de flash-backs), orchestrant le retour de l’être aimé pour la réplique d’une relation passée : Boyle livre ici sa propre version de Vertigo, en troquant le chignon de Kim contre le sexe de Rosario.

Deux motifs d’érotisme pileux (parfaite symétrie des scènes : Kim Novak ajuste sa coiffure puis, sortant de la salle de bains, avance vers James Stewart, face caméra ; au son d’un rasoir électrique, la silhouette de Dawson se meut à travers la vitre dépolie de la salle de bains, avant d’en sortir pour marcher vers McAvoy), dont la seule vision renvoie James & James, bouleversés, à la réminiscence d’un amour disparu. Au halo nimbant alors Novak, lui conférant les atours d’une apparition, répond d’ailleurs le flou dans lequel est maintenu le corps de Dawson, jusqu’à ce qu’enfin, le point soit fait sur son sexe. Signe des temps : à la suggestion hitchcockienne, Boyle a substitué la littéralité d’un nu.

Il y avait donc quelque chose à voir dans Trance : plus que le surgissement – laborieux – de la mémoire de son protagoniste, celui d’un autre film. La seule trace de cinéma dans le film de Danny Boyle ? Elle est signée Alfred Hitchcock. 

Trance, Danny Boyle, avec James McAvoy, Rosario Dawson, Vincent Cassel, Royaume-Uni, 1h35.

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