« Django Unchained », Tarantino enchaîne

Vu la réception critique dont il bénéficie (depuis toujours, semble-t-il), est-il possible de formuler des réserves sur le cinéma de Quentin Tarantino sans passer pour un rabat-joie fini ? Peu probable, mais il nous faut néanmoins tenter le coup. En effet, son Django Unchained, loin d’être un mauvais film, nous apparaît comme une petite déception.

Tout d’abord, que nous raconte Tarantino ? L’histoire sanglante d’un esclave libéré par un chasseur de prime allemand qui a besoin de lui, et qui en échange l’aidera à se venger des esclavagistes et à délivrer sa femme. Encore une histoire de vengeance, donc, thème que le cinéaste place au cœur de ses films depuis au moins dix ans, à la manière d’un totem qui lui permettrait de se dissimuler tout en impressionnant l’adversaire. D’abord appliquée au féminisme (combinaison qui fonctionnait plutôt bien car elle semblait toucher à quelque chose d’intime chez le cinéaste), puis à l’Holocauste, la thématique est aujourd’hui déclinée en version anti-esclavagiste. Tarantino, cinéaste humaniste, révolté par toutes les barbaries ? Pourquoi pas. Cependant, le ratage d’Inglorious Basterds témoignait du fossé infranchissable entre la gravité du sujet et la désinvolture du réalisateur: n’est pas Lubitsch qui veut. Avec son petit dernier (qui ressemble par bien des aspects à son prédécesseur), le décalage est moins flagrant, sans doute pour la simple raison que le racisme est encore bien présent dans la société américaine, et donc que, cette fois, Tarantino sait un peu de quoi il parle.

Django Unchained souffre des mêmes maux qu’Inglorious Basterds : un rythme inexistant (le film s’étire en longueurs, s’égare en flash-backs inutiles) et une linéarité du récit assez surprenante de la part d’un ancien « génie » de la brisure narrative ; un bavardage incessant et oiseux qui ressemble fort à de la complaisance ; et un humour assez lourd, exception faite de la scène caricaturant le Ku Klux Klan, qui rejoint un certain esprit de la satire journalistique, à la Mark Twain.

On aimerait en fait que le cinéaste nous épargne sa première partie, qui aligne les scènes mille fois vues, pour aller directement au cœur du film, c’est-à-dire le conflit avec le personnage très réussi de Calvin Candy (Leonardo DiCaprio, parfaitement odieux). Lors d’une scène de dîner dans laquelle, pour une fois, la vanité du dialogue dissimule des tensions sourdes et une menace inquiétante (une sorte de version réussie de la scène de la taverne dans Inglorious), le comique laisse lentement la place au tragique, ce qui sied bien mieux au film. Des « Niebelungen » racontés à Django par le Dr King, jusqu’à la prise de conscience, par ce dernier, de l’horreur d’un système qu’il ne condamnait jusque-là que vaguement, en passant par l’esclave libre réalisant soudain ce qu’il en coûte de vouloir se venger, les meilleures scènes du film se comptent en effet dans le champ de la confrontation au premier degré et des émotions violentes. Ces prises de conscience individuelles, ces parcours de personnages, sont au fond passionnants (saluons au passage la prestation de Samuel Jackson, dont le rôle ingrat ajoute une couche de complexité au film), mais Tarantino s’obstine à les recouvrir de futilités sous prétexte d’un divertissement qui se voudrait pointu et qui n’est souvent que banal, sinon auto-parodique. Au final, un effort mental est nécessaire pour extraire, de toutes les boursouflures du film, l’essentiel : à savoir la transformation radicale du personnage de Django, qui en étapes successives, passe de hirsute et apeuré dans la première séquence, à puissant et fier dans la dernière.

Et le western spaghetti, dans tout ça ? A la vérité, difficile d’en trouver la trace hormis dans quelques zooms et ralentis d’un effet pas toujours très heureux, et dans une scène de fusillade lorgnant ouvertement sur Peckinpah  (où s’arrête la citation, où commence le plagiat ?). Le film est bien trop soucieux de son savoir-faire pour évoquer le déséquilibre baroque des productions italiennes, et aussi beaucoup trop sûr de son talent pour vraiment séduire au-delà des pointes de réussites flagrantes qui se manifestent par endroits. Et il se clôt sans surprise sur une victoire presque monotone à force d’être attendue, torsion de l’Histoire saluée de toute part comme une audace incroyable (encore une fois, comme dans le précédent : mais la torsion étant, cette fois, beaucoup plus proche de la réalité, elle en devient également plus intéressante), mais qui nous apparaît aussi comme une ultime pirouette permettant à Tarantino de se cacher une nouvelle fois. On se demande alors s’il ne s’est pas tout simplement perdu lui-même en cours de route (quelque part entre les deux Kill Bill), et s’il nous racontera à nouveau un jour une histoire aussi personnelle (et donc, réellement touchante) qu’il avait semblé le faire avec son chef-d’œuvre : Jackie Brown

Django Unchained, Quentin Tarantino, avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo di Caprio, Etats-Unis, 2h44.

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17 thoughts on “« Django Unchained », Tarantino enchaîne

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    1. Bien content de trouver un allié. Cependant, je ne vois pas ce que Cannes vient faire ici: le film n’y était pas, et est sorti en janvier dernier.

  2. Un véritable plaisir de lire ton article. Je ne suis pas une inconditionnelle de Q.Tarantino , bien que chacun puisse avoir un avis différent , j’ai la vague impression que beaucoup maintenant crie … un peu trop vite … au chef d’oeuvre lorsqu’il s’agit d’un Tarantino , comme c’est le cas d’ailleurs pour énormément de réalisateurs. Bref , au sujet de Django , j’aurais du mal à ajouter quelque chose à ta critique. Quand je regarde un film comme Jackie Brown ou encore Pulp Fiction je me dis qu’il y a eu un petit changement de direction de la part de ce réalisateur et pas forcement le bon. Je trouve que ça manque cruellement de subtilité , il retombe toujours dans les mêmes codes et ça me lasse tout simplement , le seul moment où j’ai vraiment rigoler c’est l’attaque du KKK, après le casting est bon , la bo est entraînante … mais il n’y a plus aucune surprise ! Pendant tout le film j’avais qu’une envie : voir  » il était une fois dans l’Ouest » , je sais que son intention n’était sûrement pas de faire un vrai western spaghetti mais je trouve que son univers inséré dans un pseudo-western ne fonctionne pas, comme ce fut le cas pour Inglourious Basterds. J’étais sûrement en manque d’une certaine authenticité … si on peut dire ça pour un film. Enfin tout ça pour dire que je suis plutôt d’accord avec toi !

  3. Je ne suis pas spécialement fan de tarantino, et j’ai apprécié kill bill mais je l’ai trouvé curieusement moins « courageux » que IB et DU, entre autre par la profusion des references stylistiques (pour être plus précis, il est de mon opinion plus facile de stimuler 5 fois avec 5 emprunts a des styles différents par l’avantage de la nouveauté que de produire le même effet 5 fois dans le même style, avec la difficulté croissante de cohérence, de pertinence etc etc). Je pense que ces 2 dernieres films constituent un autre exercice et sont plus clivants par l’absence de l’univers « pop « de rue » américain contemporain » (comme dans la plupart des autres films de QT) qui est par essence très digeste..
    Sans parler de « génie » ou « de névrosé raté qui finallement ne dit rien », je reconnais que QT dans Django a le mérite de produire ce qu’il sait bien faire : un film au SECOND DEGRE (au moins) avec un traitement « comics », prennant des thèmes (parce qu’il faut bien un thème dans un movie hein ?) complexes et sensibles donc potentiellement générateurs de dramaturgie stimulante, pour en faire un film jouissif, divertissant et doté d’une imagerie assez puissante, pour peu qu’on en attende pas la reflexion la plus ébouriffante du 21e siècle sur la traite négrière et l’esclavagisme aux US (meme si encore je trouve la partie documentaire du contexte esclavagiste assez réaliste).
    Mais est-ce de toute façon la pretention in fine de Tarantino ?
    J’en doute.

  4. Merci pour cet article dont je partage en grande partie l’analyse.

    Juste je me permets de pinailler sur un point, un détail : d’après Wikipedia le Ku Klux Klan est fondé en 1865, or l’action du film se déroule en 1858-1859. Donc soit nous avons affaire à un bel anachronisme, soit l’habitude d’aller lyncher des Noirs avec torches et cagoules existait avant la guerre de Sécession comme le suggère le film. Si un spécialiste des Etats-Unis au XIXe siècle est de passage et a une réponse je suis preneur. Cela étant un tel anachronisme dans ce film constituerait un écueil supplémentaire à ce film qui nous livre une image factice et stéréotypée du XIXe siècle en dépit, ou à cause de sa volonté d’apparaître décalé.

    1. La scène sur le KKK est plus une scène évoquant les prémisses de la naissance du KKK, et donc si on peut la qualifié de fantaisiste, elle n’est en rien anachronique. La notion de lynchage existant depuis 1837, et des comités de vigilance le pratiquant contre les noirs ou les abolitionnistes (comme dans cette scène) existait probablement avant 1865.
      Mais l’Histoire intéresse moins Tarantino que l’histoire.

  5. Mince! Aurais-je trouvé la seule page web où Tarantino n’est pas considéré comme un dieu vivant mais simplement comme un cinéaste pas forcément mauvais mais pas non plus génial et qui fait un cinéma très inégal, alternant le meilleur et le pire (surtout le pire depuis quelques années….) Vous l’aurez compris, je ne l’aime pas le Quentin. Je trouve son cinéma vulgaire, racoleur, plagiaire et d’un ennui absolu. Il n’a rien à dire et le dit pourtant dans des dialogues-fleuves consternant de vacuité et d’ennui et toujours hors-sujet. Quant à la rhétorique… le nazi, c’est mal. Alors on le torture et on le massacre. Mais c’est pour de rire parce que c’est cool en fait. L’esclavage, c’est mal. Alors le mec du KKK on le torture et on le massacre. Mais c’est pour de rire parce que c’est cool en fait. Et si le réal’ cool n’était qu’un bon gros réac’, un bon gros beauf’ patenté? A mon avis, je ne suis pas loin de la vérité.

  6. Merci mille fois de dire si bien des choses confuses, diffuses… je jugerai moins sévèrement tout ça, car je juge plus radicalement des choses que je trouve plus graves encore, mais tout est juste, sur-juste…
    J’ai particulièrement aimé la description du point précis où s’est perdu Tarentino « entre les deux Kill Bill »…
    Quand j’ai vu Kill Bill I, j’ai été tellement subjuguée et éblouie de la puissance cinématographique de ce film « parfait », que je suis retournée le voir, 3 jours après (à l’époque je n’étais même pas encore abonnée en illimitée, je payais ma place plein pot en francs je crois); depuis je cherche ce Tarentino géniale partout dans ses œuvres sans le retrouver…
    Je dois dire cependant que contrairement à Benjamin, j’ai d’avantage eu l’impression de respirer son odeur avec DJANGO, que dans le très ennuyeux Inglorious…
    J’ai été prise ici par le coté jouissif du film, et j’avoue qu’au vu des contenus, que c’est justement cela qui m’a posé problème…

    1. Merci Eve. Je précise juste deux choses: lorsque j’écris que Tarantino s’est perdu entre les deux Kill Bill, c’est avant tout une formule. Je considère Kill Bill comme un seul et même film, pour moi loin d’être parfait malgré ses qualités… disons que c’est un peu un film « limite » (multiplication des genres cités, étirement excessif des durées, mégalomanie générale) et j’ai le sentiment que Q.T a du mal à en revenir.
      Quant à Django, je le trouve moi aussi meilleur que Inglorious (film que je qualifie de ratage: c’est pour moi son plus mauvais, je n’y trouve rien à sauver). Voilà.

      1. Pour moi c’était mieux qu’une formule, c’est un point névralgique!
        et je te suis aussi sur Inglorius, rien à sauver… Relativement, Django était une bonne surprise, moins prétentieux, un peu décalé, et puis moins barbant tout simplement.
        J’ai aimé de Django ce qu’il m’a donné à penser… je vais essayer d’écrire là dessus.
        C’est effectivement un film ou rien ne va de soi (pour le dire vite!).
        je ne suis pas très pro pour parler de la forme, que j’ai plutôt aimé, mais le fond était plus que dérangeant. (à suivre…)

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