Blanche Neige version 2012 : Miroir, mon beau miroir

En avril et en juin de cette année sortaient deux produits des studios hollywoodiens qui revisitent le conte des frères Grimm, Blanche Neige : Mirror, Mirror de Tarsem Singh avec Julia Roberts et Lily Collins VS Snow White and the Huntsman de Rupert Sanders avec Charlize Theron et Kristen Stewart. Opaques pour le spectateur, qui n’en demandait pas tant, les sorties conjointes de films s’abreuvant à la même source est la partie émergée de la lutte à l’œuvre dans l’industrie hollywoodienne, et les films sont presque toujours le résultat d’un règlement de compte entre deux studios (Les liaisons dangereuses VS Valmont, Armaggedon VS Deep Impact, Fourmiz VS 1001 pattes, etc.). Les grands patrons appellent ça, pudiquement, « l’air du temps ».  

Côté Blanche Neige, pas de grand gagnant, les deux versions s’en tirent honorablement, même si les recettes de Mirror, Mirror sont supérieures à celles de son concurrent, pour un budget de production plus léger. Les deux films n’ont de commun que le nom de leur héroïne, et ne s’adressent pas au même public. La version de Tarsem Singh est destinée aux plus jeunes de nos spectateurs (dont on voudrait réduire le cerveau en bouillie ). Les intérieurs aux décors démesurés (un effet «conte de fée» ?) sont cohérents, visuellement impressionnants, mais complètement à côté de la plaque : chaudrons rutilants, cuisinières affairées, petit personnel qui soutient Blanche Neige (Lily Collins, particulièrement mièvre) contre son abominable marâtre, qui oublie son anniversaire et lui interdit de participer au bal… La description du monde domestique, en alternance avec celle de l’univers mondain du palais, ouvre l’ère du soupçon : le réalisateur n’aurait-il pas confondu Blanche Neige avec la version Disney de Cendrillon ou de La Belle au Bois Dormant, contes domestiques et sociétaux? Les costumes, qui hésitent entre l’admirable et le hideux (le costumier seul a fait ses devoirs) et l’interprétation de Julia Roberts, amusante mais futile, sont les deux éléments rescapés du conte original. Le réalisateur se coltine le motif principal, le plus évident, tout en l’affadissant et en le neutralisant : l’ivresse de la beauté qui pousse au crime dans le conte original est ici simplement ridiculisée. Le monde des adultes, cruel et monstrueux dans les contes populaires rassemblés par les frères Grimm au 19e siècle, est troqué, deux siècles plus tard, pour un monde absurde dominé par le paraître. Le point de vue est défendable, mais pour le récit d’initiation, on repassera. A partir de cette exposition molle, la découverte par Blanche Neige du monde extérieur mène le film à la catastrophe. De Cendrillon, on en arrive à Robin des Bois, avec des nains montés sur ressorts (littéralement, ils rallongent leurs petites jambes par des accordéons) qui leur permettent de bondir sur les carrosses et de se saisir de l’argent des riches. Dans l’ensemble, les extérieurs, créés par un informaticien en stage, sont hideux, les enjeux risibles et la dernière séquence du film se débarrasse sans états d’âme de la pomme empoisonnée, symbole, s’il en est, du conte, pour placer une scène de danse indienne façon Bollywood dans le Palais (?).

Blanche Neige et le Chasseur est une adaptation plus sérieuse, qui s’adresse à un public adulte (voire des enfants intelligents). Dans cette première réalisation, Rupert Sanders, pubart anglais exilé à Hollywood pour transformer l’essai, réussit un film au rythme parfaitement équilibré, mais peine à affirmer une identité visuelle et pioche sans vergogne chez les petits copains. C’est cohérent quand il pille Peter Jackson (ses nains sont des hobbits), Miyazaki (il reprend quasi plan par plan la scène de l’esprit de la forêt de Princesse Mononoké), voire Luc Besson (Jeanne d’Arc), plus problématique quand il fait un pastiche de la publicité du parfum de Dior J’Adore avec la même Charlize Theron. La connotation n’est pas inopérante sémantiquement (la beauté vendue), mais peu rentable esthétiquement. Mais si Rupert Sanders n’est pas (encore) un réalisateur à suivre, Blanche Neige et le chasseur marque la naissance d’un scénariste. Evan Daugherty, qui avait tenté de placer à Hollywood le scénario pendant plusieurs années, sans succès, et s’est vu acheter par Joe Roth, producteur d’Alice au pays des merveilles, conforté par le succès de ce film adapté d’un conte de fée (le fameux «air du temps» cher aux producteurs) ce qui est probablement le meilleur script de l’année pour 3,2 millions de dollars (l’affaire fit du bruit, lança la concurrence sur les traces de Blanche Neige et le chasseur, d’où la bouse au rabais sortie quelques mois auparavant et sus mentionnée, dont vous pouvez acheter le DVD à partir du 15 août).

Première qualité, si l’adaptation a souvent été qualifiée de «libre» par la communication entourant le film, probablement pour ne pas décourager les adolescentes rebelles, cible assumée du film, le script prend très au sérieux les thèmes majeurs du conte, tout en leur trouvant un développement narratif et un équivalent visuel.

A l’origine

Les frères Grimm ont retranscrit les contes perpétués par des conteurs et conteuses dans les campagnes de ce qui n’était encore qu’une confédération d’états placés sous le commandement de Napoléon. Après l’abdication en 1815 et la victoire de la Prusse sur l’Autriche, le pays se cherche une identité que les frères Grimm contribuent à construire grâce à leur travail sur la langue allemande (ils étaient philologues) et sur le folklore avec ces contes populaires issus d’un monde sur le point de disparaître (la Révolution Industrielle n’est pas loin). Pour un scénariste américain, l’archaïsme pose un problème particulier. Difficile d’adapter à l’histoire du pays ces contes noirs du Nord de l’Europe. Mais plutôt que d’opter pour un univers imaginaire (et meilleur marché) à l’instar de Mirror, Mirror, Evan Daugherty ancre le récit dans ce qui pourrait être l’équivalent de ces temps anciens et sombres dans l’imaginaire américain : une Angleterre fantasmée, période médiévale dont il utilise l’accent et le vocabulaire comme autant de signes archaïsants et déréalisants. A cet égard, le tournage dans le parc national du Pembrokeshire, comté sauvage du Pays de Galles, offre un décor somptueux pour l’une d’une des dernières scènes du film, la charge à cheval du château sur les plages désertiques. Le réalisateur s’est également entouré de spécialistes de la période médiévale anglaise. Ce soin dans la construction de l’univers apporte une très belle cohérence visuelle dans les décors, les costumes, et décline et actualise aussi plusieurs des motifs présents dans le conte. Dans le Blanche Neige des frères Grimm, la reine coud devant une fenêtre encadrée d’ébène qui donne sur un jardin enneigé. En se piquant, son saisissement esthétique devant le tableau de la goutte de sang, de la neige et du bois noir lui fait former le souhait d’avoir une fille aussi blanche que la neige, rouge que le sang et aux cheveux noirs comme l’ébène. La scène d’ouverture du film est quasi identique à celle du conte mais troque le pragmatisme domestique allemand (elle coud) pour un équivalent symbolique (elle se saisit d’une rose rouge à laquelle elle se pique le doigt) non dénué de sens (la rose est le symbole dans la littérature médiévale de la jeune fille vierge).

De la même manière, sans que cela soit toujours une conséquence du déplacement du conte dans cet univers médiéval, le scénariste en conserve les éléments principaux et les réagence pour leur insuffler la force que la connaissance de l’histoire par le public leur a fait perdre. Contrairement à Mirror, Mirror qui se débarrasse de la pomme comme d’un accessoire poussiéreux, Evan Daugherty ne cède jamais à la facilité et recrée une histoire autour du fruit défendu qui, au moment opportun, se révèle un des pivots de la narration, surprenant même le spectateur qui, pris dans le déroulement narratif, en avait oublié toute la charge symbolique initiale.

Miroir, mon beau miroir

Le film conserve la noirceur du monde horrifique des adultes dans lequel l’héroïne évolue, en le renforçant et en l’actualisant. La nouvelle reine Ravenna n’est pas seulement prête à tuer Blanche Neige pour conserver sa beauté, mais aussi toutes les jeunes femmes du royaume dont elle absorbe la jeunesse dans une cérémonie qui invoque le souvenir de la Comtesse de Bathory (quand Mirror, Mirror proposait une scène de spa !). En négatif de cette beauté, la tribu qui accueille Blanche Neige lorsqu’elle s’échappe du château rassemble des jeunes femmes qui, pour survivre au règne de Ravenna, se sont défigurées. En ravageant leur beauté, elles ont perdu tout intérêt pour la reine. Mais Evan Daugherty creuse toutes les acceptions de cette beauté, quitte à expliquer, sinon excuser, la cruauté de la reine. Sortilège trompeur, la beauté est un pouvoir mais aussi un fardeau que les hommes exploitent à leur avantage. Enlevée à sa famille, Ravenna ne fut gardée en vie que parce que sa beauté avait un prix, tandis que sa famille est massacrée. Son règne se transforme alors en symbole de la vengeance de toute la condition féminine.

Soumise au pouvoir destructeur de la Reine, Blanche Neige, enfermée dans une tour où elle attend la mort, incarne le versant lumineux de cette sombre beauté : la pureté. Répondant au motif du miroir, le récit développe, par antithèse et par extension, les différentes formes de beauté, opposant blessure narcissique, fanatisme et désir de vengeance de la Reine au courage, à la générosité et à la force lumineuse de Blanche Neige.

Le chasseur

La seule véritable infidélité de cette version envers le conte tient dans le personnage du chasseur. On pourrait la retenir contre le scénariste de Blanche Neige et le chasseur si l’on retenait également contre celui de Mirror, Mirror le personnage du prince (niais), accessoire dans le conte et qui est pourtant largement développé dans de nombreuses scènes qui poussent à bout la patience du spectateur. Dans le conte, c’est le hasard d’un cahot lors du port du cercueil qui libère les lèvres de Blanche Neige du morceau de pomme empoisonné qui lui donne l’apparence de la mort. Mais faire du hasard un agent narratif est un tour de force difficile à demander à un film hollywoodien, même de la qualité de celui-ci. Evan Daugherty développe donc à partir de rien ce personnage : veuf (sa femme a été tuée par Ravenna), vieux, alcoolique, il sera le mentor de Blanche Neige et lui apprendra ce qu’un conte du 19e siècle ne pouvait apprendre à une jeune fille : pour survivre à la cruauté et retrouver ce qui lui a été volé, Blanche Neige devra apprendre à se battre, convaincre des hommes de la suivre et tuer son adversaire. On rêve en pensant à la charge érotique de cette histoire d’amour si le chasseur avait été incarné par Viggo Mortensen, comme ça a été envisagé un temps.

Chris Hemsworth, trop jeune pour le rôle, réalise une performance qui n’est pas déshonorante mais un peu lisse, loin du niveau en tout cas des deux reines. Charlize Theron trouve, pour une fois, un rôle à la hauteur de son talent et la brûlante Kristen Stewart (plutôt que de Twilight, on se souviendra de l’explosive scène de drague autour du feu d’Into the wild) incendie la pellicule. Cette histoire d’amour et le déplacement de l’univers de l’Allemagne du 19e siècle à l’Angleterre du 15e obligent à faire quelques ajustements dans le parcours initiatique de Blanche Neige. Le chasseur reprend une partie des caractéristiques des adjuvants (personnages qui aident le personnage principal dans sa quête) que sont les sept nains. Dans un premier temps, alors qu’il la traque à mort dans le seul endroit dans lequel le pouvoir de la reine est inopérant, la Sombre Forêt, il a pitié de la petite fille orpheline et maltraitée. Puis il protège la jeune vierge qui n’a pas encore rejoint le monde des hommes et possède un pouvoir sur la nature et les animaux, sensibles à sa pureté. Enfin, il seconde la femme qui réclame son royaume par les armes. Si les deux premières étapes sont directement issues du déroulement narratif du conte, la troisième en modifie la lettre, sinon l’esprit. Dans le conte, la jeune fille accepte le rôle de femme en se mariant avec le prince et se venge de la reine en la faisant danser dans des chaussures en fer rougies dans le feu. Dans le film, modernité oblige, Blanche Neige ne passe pas par la case mariage pour acquérir le pouvoir et se venger. Elle endosse la posture virile du chevalier et combat loyalement la Reine à l’épée.

Canevas repris, reconstruits, épurés et polis par des générations de conteurs, les contes de fées se métamorphosent sous la caméra. Représentés dans leur habitat traditionnel, le « Il était une fois » (Mirror, Mirror mais aussi Peau d’âne de Jacques Demy), ou déplacés dans le temps et l’espace (jusqu’à la plus grande contemporanéité avec Reese Witherspoon en petit chaperon rouge mal élevé dans Freeway), ils laissent transparaître  les préoccupations immémoriales des hommes et leurs réalisations qui, selon l’époque et le conteur, trouvent un sens à chaque fois nouveau (la morale de l’histoire, donc). La jeune fille made in 2012 devra donc choisir entre une Blanche Neige réactionnaire sous des apparences trompeuses d’émancipation et une Blanche Neige vulnérable mais maîtresse de son destin. Gageons qu’à notre époque, même les petites filles ont fini de jouer à la dînette.

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9 thoughts on “Blanche Neige version 2012 : Miroir, mon beau miroir

  1. Non, ton papier est super (et on l’aime pour plein de bonnes raisons, sa pertinence et ton érudition) ! Mais quand on commence à laisser des commentaires, Gaël et moi, une fois sur deux, on raconte n’importe quoi 😉 Je ne sais pas d’où ça nous vient…

  2. Je savais que je n’aurais pas dû me fader tous les contes des frères Grimm et passer la moitié de mes vacances sur ce papier (car rides de front plutôt que teint doré) pour tout concentrer sur des photoshop avant/après de Lily Collins…
    Ô miroir, mon beau miroir…

  3. Passionnant disais je et Lilly Collins est merveilleuse dans sa pâle imitation d’Audrey Hepburn…. Et puis elle revient de loin…

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