Alors que le festival de Cannes 2025 touche à sa fin, il est temps de prendre des nouvelles de ses plus vénérables et incontournables représentants. Les Dardenne sortent un film? Bien évidemment il se retrouve sur la Croisette. Et peu importe si la qualité des derniers films des frères belges se soit montrée indigne de leurs standards, entre le catastrophique Jeune Ahmed et un Tori et Lokita ruiné par une fin moralement plus que douteuse. A 74 et 71 ans, Jean-Pierre et Luc Dardenne sont donc à nouveau dans la liste des heureux élus sur la Croisette pour leur treizième long-métrage, Jeunes Mères.
Jeunes Mères suit l’histoire de cinq pensionnaires d’un centre pour adolescentes mères de famille, mineures ou toutes récentes majeures, dans la région de Liège. Elles s’appellent Jessica, Perla, Julie, Naïma et Ariane, viennent d’un milieu défavorisé et portent chacune un parcours de vie compliqué, nécessitant leur accompagnement par une structure spécialisée. Juliette (Babette Verbeek), enceinte et prête à accoucher, retrouve la trace de sa mère biologique, qui l’a abandonnée à la naissance. Perla (Lucie Laruelle), retrouve quant à elle son compagnon et le père de son petit garçon à sa sortie de prison, prête à fonder un foyer. Julie (Elsa Houben) s’appuie sur son copain Dylan, qui a comme elle a grandi pour la rue, pour se sortir de ses addictions pour devenir une bonne mère. Ariane (Janaina Halloy), s’apprête quant à elle à placer son enfant en famille d’accueil au grand dam de sa mère envahissante. Naïma (Samia Hilmi), enfin, débute un nouveau chapitre professionnel après avoir renoué avec sa mère.
Le film des Dardenne s’intéresse en réalité plus particulièrement aux quatre premières héroïnes, l’histoire de Naïma passant au second plan par rapport aux autres. Cela pourrait être un problème, mais ce choix au contraire allège un peu une narration qui souffre grandement de ce vignettage permanent. Il ressort de ce film-dossier l’impression d’être devant un catalogue filmique de situations, comme si les Dardenne avaient envie d’embrasser dans le même film tous les profils possibles de jeunes mères au profil social complexe. L’intention est louable, et pourrait donner lieu à un résultat réussi. Le problème, c’est que le sens de la concision des deux cinéastes, d’ordinaire une de leurs plus grandes forces, se retourne contre leur film. En une heure et quarante minutes, difficile d’avoir le temps de proprement s’attacher à ces jeunes femmes dont le parcours semble parfois survolé de manière un peu trop scolaire (l’intrigue de Juliette, notamment, en pâtit fortement, avec une India Hair tristement sous-utilisée).
Chacune de ces Jeunes Mères aurait mérité son propre long-métrage, tant on sent que leur histoire porte en elle le sujet d’un film complet. Cet éparpillement narratif aurait pu être compensé en s’intéressant à leurs interactions, rendues possibles par leur hébergement dans le même lieu. Mais ces interactions restent réduites au minimum, le film préférant rester au plus près des développements de chacune d’entre elles. Résultat : le travail d’exposition nécessaire achevé, on est déjà presque à la moitié du film. Assez rageant.
D’autant plus rageant que chacune de ces Jeunes Mères sont touchantes, et malgré une interprétation parfois inégale d’une actrice à l’autre, on sent les Dardenne retrouver un peu de leur mojo quand il s’agit de les filmer. La mise reste plus programmatique que du temps de leurs chefs-d’œuvre, mais les revoir enfin filmer des êtres en difficulté autrement que comme les véhicules de toute la souffrance du monde a quelque chose d’assez rassérénant. Le final du film, apaisé et réconciliateur, marque aussi un pas dans la bonne direction pour le redressement de leur cinéma social. Il offre même dans quelques faces-à-faces édifiants (ceux d’Ariane et sa mère ou de Perla et sa sœur notamment) la promesse, trop rapidement éteinte, d’un grand film de colère et de passions.
On peut donc raisonnablement affirmer que Jeunes Mères est la proposition la plus aboutie du cinéma des Dardenne depuis presque une décennie, ce qui n’est en soi pas véritablement un exploit. Il reste cependant un film un peu fragile et trop souvent prisonnier de son dispositif, qui peine à faire exister en même temps et sur un même plan des personnages qui aurait mérité un peu plus de temps et d’attention. Parfois en difficulté sur l’exercice du film choral, les Dardenne parviennent toutefois à éviter (la plupart du temps) le piège du misérabilisme qui avait plombé leurs précédents longs-métrages. Et puisque leur film se termine sur une note d’espoir, au sein d’une sélection qui nous a offert pas mal de motifs d’optimisme pour l’avenir cannois, on peut se permettre de partager une forme d’optimisme et de croire que les Dardenne ne sont pas encore totalement carbonisés.
Jeunes Mères de Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy, en salles depuis le 23 mai