Les coups de cœur de la rédac : Novembre 2024

Nouveau mois, nouveaux coups de cœur !

Qu’est-ce qui a fait vibrer notre rédaction en novembre 2024 ? C’est le moment de le découvrir !

Pauline : Ghost Dog, la voie du samouraï du Jim Jarmusch, depuis mon canapé.

Forest Whitaker pointe un pistolet vers l'objectif.

Forest Whitaker + Jim Jarmusch, ça devrait normalement suffire pour vous convaincre de regarder ce petit bijou, si vous ne l’avez pas déjà vu parce que j’arrive clairement après la bataille. Dans ce film de 1999 (année légendaire du cinéma, faut-il le rappeler) Forest – qui rime avec « best » encore une fois ici – joue un tueur à gages au code éthique calqué sur celui des samouraï. L’honneur avant tout, et la fidélité jusqu’au bout à un petit mafioso qui lui a un jour sauvé la vie par hasard. Bien entendu, un contrat va déraper et va mettre en branle toute une série d’évènements qui viendront perturber la relative tranquillité de ce tueur qui a pour seul.e.s ami.e.s des pigeons, un vendeur de glaces (Isaach de Bankolé) et une petite fille amoureuse des livres comme lui. Jarmusch signe ici un film immensément cool (sinon RZA du Wu-Tang Clan n’aurait pas accepté de faire la BO) sans être superficiel pour autant, tragique et émouvant, où les gens n’ont pas forcément la même langue ni les mêmes codes mais trouvent toujours un moyen de se comprendre quand même.

Maguelonne : Practical Magic ou les Ensorceleuses (??) en français de Griffin Dunne (!!), aussi depuis mon canapé

Practical Magic' Revisited, 20 Years Later - The Atlantic

La spooky season est finie ? Qu’à cela ne tienne ! On est encore en automne et niveau ambiance automnale, difficile de battre ce film de Griffin Dunne (oui oui, l’acteur d’After Hours, le neveu par alliance de Joan Didion, celui-là même). Je ne sais pas comment ce dernier s’est retrouvé à adapter un best-seller de chick lit 90’s mais grand bien lui fasse. Ce qui aurait pu ressembler à un téléfilm Hallmark – deux sœurs orphelines, une malédiction sur leur vie amoureuse, de la sorcellerie « faite maison » – a surpassé toutes mes attentes grâce à l’écriture des dialogues et des personnages, plus fine qu’il n’y paraît, et un féminisme aussi naïf qu’affirmé. Et aussi grâce à une esthétique impeccable : impossible de savoir qui est la plus belle de Nicole Kidman, de Sandra Bullock… ou de la maison de leur tantes (deux sœurs ? Deux très bonnes amies ? Dieu seul le sait, mais l’interprétation de Stockard Channing et Dianne Wiest a parlé directement à mon cœur). Bien entendu, Stevie Nicks est à la bande-son… Je dirais que Les ensorceleuses est un film enchanteur.

Juliette « Antigone » : La bataille du Chili de Patricio Guzmán, disponible sur Arte

Divisé en trois films d’environ 1h30, La bataille du Chili est un documentaire réalisé entre 1975 et 1979, qui relate le coup d’état du général Pinochet sur le gouvernement socialiste-communiste de Salvador Allende. Avec un peu mais pas trop de voix-off, ces chefs-d’œuvre politiques font confiance à leur montage et leurs images filmant tour à tour le Parlement, les discours, les manifestations et initiatives citoyennes où les ouvriers et partisans d’Allende s’expriment. La troisième partie laisse même la part belle aux AG des entreprises récupérées par les ouvriers, offrant des débats et monologues aussi inspirants qu’importants.

Les deux premiers films se centrent particulièrement sur les tentatives d’un parlement majoritairement de droite pour juguler la révolution socialiste en cours dans le pays. Rien de surprenant ni de vraiment dépaysant dans ce portrait d’une droite soi-disant républicaine qui n’hésite pas une seconde à s’allier à l’extrême droite par peur de perdre ses privilèges. Face à cela, le peuple s’organise et continue sans frémir de mener la politique d’un président qu’il appelle jusqu’au bout camarade. Le film rappelle aussi évidemment le rôle mortifère des États-Unis finançant puis soutenant militairement les actions menées par des groupes littéralement fascistes. La fin du premier film offre l’une des images les plus puissante de l’histoire du cinéma sur la liberté disparaissant, sur la violence incomparable des milices fascistes sur ceux qu’ils dépeignent pourtant comme des trouble-paix.

La dernière partie quant à elle remonte un peu dans le temps, avant les trahisons et défaites en mettant en scène le peuple et l’espoir qu’il y eu un temps au Chili. Rien n’est plus réconfortant que de voir ce qu’on nous dit pourtant impossible : une société horizontale où le collectif et l’entre-aide priment sur les injonctions individualistes capitalistes. Des coopératives alimentaires, des usines dirigées par des ouvriers, des travailleurs politisés à la pensée radicale jalonnent cette révolution magnifique. Le dernier plan déchire un peu le cœur mais l’ultime réplique offre un peu d’espoir en nous disant qu’un jour on retrouvera nos camarades.

Renaud : Ma vie en 24 images par seconde, de Rintaro, édité aux éditions Kana

Petit pas de côté ce mois-ci de mon côté avec une bande dessinée que m’a offert un rédacteur du site pour mon anniversaire. L’œuvre est effectivement une bande dessinée d’ailleurs et pas un manga, puisqu’il s’agit vraiment d’une collaboration franco-japonaise qui a poussé l’artiste à mettre en images sa vie et son rapport au cinéma. Rintaro, pour qui ne connaîtrait pas trop son parcours, est un des noms les plus importants de l’histoire du cinéma d’animation japonais, responsable notamment de l’adaptation du Metropolis d’Ozamu Tetzuka et de la série Albator adaptée de l’œuvre de Leiji Matsumoto.

Dans chaque chapitre, qu’il appelle des séquences, Rintaro revient avec précision et honnêteté, candeur et amertume, sur différents épisodes de sa vie : son enfance loin de Tokyo pendant la guerre ; ses fantasmes sur ce que pouvait bien être le cinéma, cet art mystérieux qui obsédait son père coiffeur… La bande dessinée est un véritable trésor ne serait-ce que pour son aspect documentaire autobiographique sur le Japon de l’après-guerre d’une part mais surtout sur les débuts de l’animation commerciale au Japon. Mais le plus fascinant, c’est le portrait que Rintaro dresse de son père en filigrane, à la fois très dur et touchant. Une lecture essentielle pour toute personne s’intéressant à l’animation japonaise !

Mehdi : « Out 1 » de Suzanne Schiffman et Jacques Rivette

J’ai une petite réputation au sein de la rédaction d’aimer les films longs et lents, ce qui me vaut des railleries de la part des rédacteurs et rédactrices les plus taquins. Pour échapper à leurs sarcasmes, j’ai donc regardé Out 1, film de Suzanne Schiffman et Jacques Rivette de 13h.

Non, attendez, restez-là ! Si le film peut effrayer par sa durée hors-normes, il vaut vraiment la peine. Déjà, il est découpé en huit parties, ce qui facilite quand même le visionnage. Et ensuite, il offre des moments de cinéma assez uniques. En s’inspirant vaguement de Balzac, les scénaristes utilisent un pseudo-complot et des enquêteurs pour le moins atypiques qui essayent d’en remonter la piste. En passant d’un personnage à l’autre, en tissant continûment du lien entre le scènes, Suzanne Schiffman et Jacques Rivette nous proposent de nous engouffrer dans cette toile dont on sait qu’elle n’aura jamais vraiment de sens. C’est un plaisir presque ludique même si certains personnages sont particulièrement insupportables (notamment l’excellent Michael Lonsdale). C’est par ailleurs un témoignage tendre et fascinant sur le théâtre amateur et les exercices de répétition qui se transforment presque un rituel de secte loufoque.

Julien : La vie de festivalier cinéma sous un gouvernement de droite

Une partie non négligeable de mon mois de novembre s’est construite autour de l’Arras Film Festival, que je couvre depuis près de dix ans pour Cinématraque et avec lequel je collabore pour la deuxième année au sein de l’équipe du festival. Pendant dix jours, j’ai pu vivre au rythme d’un festival de cinéma en région, armé de mon tour de cou, de ma DOUBLE accréditation et de mon pin’s Sous les écrans la dèche. Pendant dix jours, j’ai pu avoir un avant-goût de ce que connaîtront les cinémas français dans les semaines à venir avec de vraies belles découvertes dont certaines dont je reparlerai prochainement dans ces colonnes : le puissant Quatrième Mur de David Oelhoffen, une douloureuse tragédie sur le théâtre et la guerre et meilleur rôle de Laurent Lafitte depuis qu’il n’est plus Laurent Lafitte de la Comédie française ; le mignon et fragile Joli Joli, première incursion ciné de Clara Luciani au cinéma dans une comédie musicale que personne ne verra car elle sort le 25 décembre ; ou encore le sublime Hiver à Sokcho, chronique douce-amère et entêtante qui ouvrira de manière phénoménale l’année 2025. Pendant dix jours, j’ai pu savourer ces bizarreries de cinéphiles qu’on ne vit qu’en festival, à rattraper des films qu’on ne pensait jamais rattraper (le loufoque Qui chante là-bas?, road movie yougoslave abrasivement hilarant de 1980) et à voir des films que pas grand monde d’autre ne verra (l’épatant U are the Universe, romance extra-spatiale par intercoms interposés venue d’Ukraine).

Et pendant dix jours, j’ai été éloigné des noms Emmanuel Macron, Jordan Bardella, Michel Barnier, Guillaume Kasbarian, Eugénie Bastié ou encore Louis Sarkozy. Dix jours de détox médiatique, mais aussi dix jours à comprendre que le merdier thatchérien colossal qui nous attend n’est qu’un gigantesque gâchis. Tout le monde s’en fout du cinéma sur-subventionné en France? Pendant dix jours, plus de 50.000 billets (dans six salles de projection) ont été vendus dans une ville du Pas-de-Calais, dans une région des Hauts-de-France vitale pour l’économie des tournages, mais pourtant promise (comme dans bien d’autres régions) à des coupes drastiques dans le secteur de la culture et de l’éducation. C’est un chapiteau où se croisent des intermittents du spectacle, des stars du cinéma français de passage entre deux TGV, des musiciens d’En Fanfare (succès mérité en vue pour ce chouette film vraiment populaire) des Parisiens venus boire des bières pendant le week-end prolongé du 11 novembre, des chasseurs d’autographes et des petits vieux venus prendre un café entre deux séances. Ce chapiteau, ça fait 25 ans qu’il tient debout, et c’est celui-là même que ce gouvernement veut s’employer à démonter parce que ça ne rentre pas dans le moule de ce galimatias informe qu’est le projet de vie macroniste. Mais que restera-t-il de nos petites villes et de nos grandes communes quand tous ces chapiteaux seront démontés?

JB : RIP Jim Abrahams

Forcément, moi, je retiens de ce satané mois qu’il a vu disparaître un des zozos dont les films m’ont le plus fait rire de tous les temps. Jim Abrahams, l’un des trois « ZAZ », s’en est allé, et c’est évidemment l’occasion de revoir tous les films du trio, de Y a-t-il un pilote dans l’avion à Top Secret, en passant par les dingos Y a-t-il un flic. J’ai eu la discussion avec un copain pas réceptif à cet humour-là. Lui de dire « mais c’est quoi, qui te fait rire, là dedans ? » Et moi de réfléchir fort, parce que c’est vrai, quand on décrit les gags, ce n’est en effet vraiment pas malin. Mais à bien y songer, je pense que ce qui me fait le plus rire dans ce cinéma, c’est quand la scène est tellement débile qu’on détourne le regard… pour finir sur un arrière-plan du cadre encore plus débile. Et tous ces films-là en sont truffés, de figurants qui, à la revoyure, ont des gags encore plus drôles que ceux du GOAT Leslie Nielsen. L’écran suinte l’humour dans ses moindres recoins, rien n’est laissé au hasard. Derrière leur apparente immense débilité, ce sont je pense des numéros d’orfèvrerie qui n’ont pas grand-chose à envier à Keaton.

Je pourrais mettre chacun de leurs films en coup de cœur de novembre, mais j’imagine que vous les avez autant usées que moi, vos VHS d’antan. Alors je choisis une scène, d’un mauvais film, plutôt. Ça s’appelle L’Esprit Coubertin, et c’est globalement raté de bout en bout. Cheap, mal joué, assez peu inspiré, le film fleure l’aubaine d’un mauvais délire entre potes mais sur un sujet sexy, celui des JO de Paris. Rien ne sonne juste, mais le temps d’une scène, au tout début du film, tandis qu’un dialogue idiot entre Laura Felpin et Emmanuelle Bercot à l’arrivée au Club France nous fait lever les yeux au ciel, ceux-ci s’arrêtent en arrière-plan sur une porte tournante où sont bloqués des personnages. C’est l’équipe des perchistes, qui galèrent à faire rentrer les perches dans l’édifice. Trop longues, elles ne passent pas ladite porte. On les reverra en arrière-plan pendant tout le dialogue, sans que jamais la caméra n’appuie sur leur mésaventure. Le seul gag à m’avoir beaucoup fait rire pendant le film. Sûrement parce qu’il dégage cette même modestie que les péripéties de figurants des films des ZAZ. Un gag l’air de rien, pour la beauté du geste. L’esprit Coubertin.

Gabin : Here, le nouveau flop non mérité de Robert Zemeckis, noyé au milieu de suites/remakes/soft reboots à crever

La sortie du nouveau film de Robert Zemeckis est ce qu’on appelle un suicide mėdiatique. Here, personne ne l’était. Quelques journalistes triés sur le volet pour une ou de rares projections presse, sous couvert d’un junket dont personne n’a dû voir les résultats. Même SND, distributeur français du film, semblait ne pas y croire vu le peu de salles projetant le film. A-t-il été muselé par l’Amėrique ? On ne le saura probablement jamais, mais ce Bienvenue à Marwen-like est des plus déprimants.

L’autre problème de cette sortie française, c’est le sous-titre trompeur qui a été donné au film : « les plus belles années d’une vie ». Parce que c’est un mensonge. Here est ce qu’il est littéralement. C’est un endroit. Ici et maintenant, la vie défile sous vos yeux, génération après génération. Qu’elle soit belle… ou non. Et c’est justement dans ses moments les plus durs que le film est le plus beau, le plus déchirant. Quand un couple se déchire après des années de vie commune, puis découvre la maladie de l’un d’entre eux. Quand une famille noire explique à son fils, d’un air grave, la conduite à tenir afin d’éviter tout coup de sang d’un policier. Il y a ça et là des moments de vie qui restent universels, alors même que le monde évolue.

Si l’idée de rajeunir Tom Hanks et Robin Wright à grands renforts d’intelligence artificielle est des plus discutables, force est de constater que le résultat demeure toutefois stupéfiant. Et quitte à choisir, je préfère que ma nostalgie soit déclenchée à l’idée de revoir le couple de Forest Gump dans un projet complètement différent que dans les suites hollywoodiennes également sorties ce mois-ci. La filiation ratée (et les singes en CGI) de Gladiator 2 et l’affront qui sert de suite à Vaiana (une série Disney+ convertie en film après l’échec de Wish, parce que les suites c’est mieux, surtout quand elles sont produites par des équipes non-syndiquées) sont pourtant ce qui rassemble davantage dans les salles ce mois-ci… et c’est bien dommage.

Pour parler encore mieux du film de Zemeckis, n’hésitez pas à lire la critique de Renaud de Cinématraque mais aussi sur Comicsblog parce que oui : c’est une adaptation de bande dessinée. Ouf, non ?

 

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