Les meilleures bandes originales 2023 : le cinéma en musique

On avait commencé l’an dernier à vous parler des meilleures compositions musicales du cinéma, on remet ça en 2023 parce que cette année les partitions ont été particulièrement gratinées et savoureuses. Mes critères pour juger ces partitions sont bien sûr totalement arbitraires, puisqu’ils combinent deux paramètres totalement antithétiques (y’a rien de plus poétique qu’une contradiction dans la vie) :

  • La pertinence filmique de la composition et de la production
  • La qualité mélodique de la musique sans les images

A partir de ces pré-requis, et en me basant sur mes écoutes répétées durant toute l’année 2023, voici donc la liste des plus belles pièces musicales – sachant que sont exclues celles dont les BOs sont sorties mais pas les films en France (The Zone of Interest, Poor Things…).

La plus sous-côté de 2023 : Sirocco et le Royaume des Courants d’air (Pablo Pico)

Si vous appréciez les jolies compositions pour orchestre, vous ne pouvez pas passer à côté de la carrière de Pablo Pico. La douceur, la légéreté de ses envolées musicales sur le long métrage d’animation de Benoït Chieux n’ont pas vraiment d’égal. Chaque lieu du Royaume des courants d’air a droit à son thème, chaque personnage à son motif. C’est la plus grande pépite de 2023, dans le sens où il faut vraiment chercher pour aller la trouver, le film étant largement passé inaperçu. Ce qui est bien dommage car il est très beau !

La plus surprenante de 2023 : Le Garçon et le Héron (Joe Hisaishi)

La surprise, ce n’est pas de voir Joe Hisaishi dans un top des meilleures BOs de l’année, le papy a l’habitude de sortir des bangers aussi facilement que ton boulanger sort des baguettes traditions délicieuses. Non, c’est plutôt la teneur de sa composition qui surprend, tant elle est austère. Le piano domine la partition comme rarement dans un film de Miyazaki, mais là où on se rend compte que Joe Hisaishi est bien un dieu vivant parmi les mortels, c’est qu’avec seulement un accord bien frappé il parvient à raconter tout un changement d’atmosphère. Ce n’est pas le disque le plus facile à écouter de sa carrière, mais c’est paradoxalement celui qui a sans doute le plus de caractère, de vivacité. Les accords de piano accompagné par les cordes sur la fin du film (« The Great Collapse » sur le CD), c’est d’une perfection chirurgicale.

La plus posthume de 2023 : Killers of the Flower Moon (Robbie Robertson)/Monster (Ryuichi Sakamoto)

Le hasard aura voulu que deux immenses compositeurs décèdent avant de voir le résultat de leur travail au cinéma cette année. Robbie Robertson, ancien membre de The Band et collaborateur de Bob Dylan, contribue immensément à la réussite du dernier film de Martin Scorsese ; ses rythmes entêtants décorés par des mélodies en spirale à la guitare électrique donnent au long-métrage sa densité narrative. Pour le dire de manière moins opaque et pédante, la musique accompagne parfaitement le parcours criminel des protagonistes et fonctionne comme un bruit de fond entêtant, qui installe un malaise constant. Le tout en piochant autant dans l’identité musicale du western, avec son americana matinée de blues, que dans la musique native américaine… C’est très, très fort.

Pour Ryuichi Sakamoto, je triche un peu. Cela faisait longtemps que Kore-Eda voulait travailler avec lui, mais le compositeur ne s’est pas senti d’attaque pour composer l’intégralité d’un score. Il a au final réutilisé des compositions originales, en plus de deux pièces écrites pour le film. Le résultat est certainement le score le plus épuré de cette sélection, mais aussi un des plus aériens et enivrants.

Les plus introuvables de 2023 : Le Vourdalak (Maïa Wifaras, Martin Le Nouvel) et Jawan (Anirudh Ravichander)

On arrive sur la phase où je commence à m’énerver. Le Vourdalak, un des plus beaux films français de l’année, a aussi une des compositions les plus originales, riches et mélodiques de la période. Le duo Wifaras/Le Nouvel a livré une partition qu’on croirait tout droit sortie de l’époque où se passe le film, qui parvient à remplire l’espace sonore très habilement malgré le petit nombre de musiciens. C’est d’une beauté ahurissante et ça serait certainement le meilleur disque de l’année… S’il EXISTAIT ! Non content d’avoir distribué le film dans très peu de salles, The Jokers semble plus occupé à vendre des pin’s Wong Kar Wai à 50 euros plutôt que de tenter de faire vivre les si belles musiques du duo. Et si jamais des gens de The Jokers me lisent : je sais bien que les temps sont durs et que c’est difficile, et que c’est très facile pour moi de dire ça derrière mon clavier. C’est exactement pour ça que je le fais, parce que c’est facile. Mais les gars bordel, je le veux ce disque !

Le cas Jawan est légèrement différent, puisque toutes les grosses sorties du cinéma indien ont droit à un disque avec les chansons dans toutes les langues du pays. Jawan ne fait pas exception. On trouve sur le CD la magnifique « Zinda Banda » qui vous donnera envie de d’aller en prison pour pouvoir danser avec SRK, mais comme d’habitude avec le cinéma indien, impossible d’obtenir le score très rock qui colore le film autour des chansons. Et c’est bien dommage car si on retrouve le thème épique et entraînant de Jawan dans certaines des chansons du disque (et sur le « Jawan title track » qui est très haut dans mon Spotify Wrapped de l’année)… Ce n’est pas assez !

La plus « ah ouais mais ce film existe ? » de 2023 : The Pigeon Tunnel (Philip Glass, Paul Leonard-Morgan)

Qui était au courant de l’existence d’une partition cosignée cette année par un des plus grands compositeur de musique de tous les temps, j’ai nommé le fou furieux Philip Glass ? Je répète, qui était au courant de l’existence d’un documentaire sur John le Carré avec une bande-son orchestrale ultra mélodique et plus riche qu’un dîner chez ta grand-mère ? Personne, parce que si les séries Apple TV passent trop souvent inaperçues en ce bas monde, c’est encore pire pour leurs longs-métrages. Bref, celui-ci je ne l’ai pas vu mais j’ai écouté le disque une bonne dizaine de fois parce que c’est Philip Glass, et qu’il ne va pas trop dans l’expérimental frappadingo pour une fois. C’est banger en gros, pour utiliser le terme scientifique.

La plus « plaisir vraiment coupable parce que putain y’avait mieux avant » de 2023 : Mission Impossible Day Reckoning Partie 1 (Lorne Balfe)

La musique de Lorne Balfe pour les dernières aventures de Tom Cruise le kamikaze n’a rien d’un chef d’oeuvre. Le boug n’a pas l’amplitude d’un Joe Kramer (les cuivres qui arrivent sur « Meet the IMF » pour Rogue Nation, c’est de l’or) ni évidemment celle d’un Danny Elfman, mais il a UN thème très balourd qu’il surjoue à toutes les sauces… Et putain qu’il est bien. Aucune subtilité mélodique, pas de nuances que de la violence, mais le fait est que j’ai plus écouté le morceau « I was hoping it’d be you » sur le disque que 95% des autres BOs de l’année, et que je dois être honnête avec moi-même : Lorne Balfe a signé un chef d’oeuvre mélangeant le tragique et l’épique en quelques notes et percussions entraînantes. Est-ce que c’est le seul bon thème sur un disque de DEUX HEURES de musique ? Oui. Totalement. Mais il est VRAIMENT bon.

La plus accomplie de 2023 : Across the Spider-Verse (Daniel Pemberton)

Daniel Pemberton est un des compositeurs les plus prolifiques de notre époque. Rien que sur l’année 2023, il a quatre projets qui ont vu le jour dont deux séries. Mais aucun autre n’arrive à la cheville de ce qui restera sans doute comme son premier vrai grand chef d’oeuvre : sa deuxième partition pour la saga animée Spider-Verse. Principalement parce que l’identité musicale de Pemberton correspond parfaitement à la combinaison ancien/moderne qui est la note d’intention du film. Visuellement comme musicalement, Across the Spider-Verse est un patchwork, un mélange qui pioche dans toutes les techniques artistiques pour se réinventer.

Et si Daniel Pemberton n’est pas le plus grand en termes de compositions thématiques riches et mélodiques, il en a assez sous le capot pour savoir identifier tous ses personnages et ses univers avec très peu d’éléments. La musique électronique, la batterie punk et la guitare rock se marient comme jamais avec l’orchestre et ses violents mélodramatiques dans cette partition, ce qui en fait assurément le disque le plus moderne, singulier, et original de l’année. Tout en restant mélodique ! Si vous en doutez ne serait-ce qu’un instant, je vous conseille d’écouter « Nueva York Train Chase », où Pemberton utilise avec brio l’écriture électro pour amener le thème orchestral au moment du drop. Quand nos ancêtres ont inventé le mot « art », ils pensaient à ce morceau déjà.

La plus mieux de 2023 : Godzilla Minus One (Naoki Sato)

Mais voilà désolé Daniel, le gagnant de l’année c’est Naoki Sato. Le compositeur japonais fait la totale dans Godzilla Minus One, et navigue dans le drame humain à la Ozu jusqu’à l’horreur traumatisante du kaiju et de la destruction qu’il entraîne avec lui. On a des thèmes, des nappes musicales très modernes, des choeurs aériens, des citations musicales du score de 1954… Naoki Sato commence le film en posant des identités mélodiques très distinctes, pour finalement les rassembler dans un final pétaradant qui hurle une chose et une seule : l’envie de vivre.

A écouter pour affronter l’avenir qui s’étale devant nous, bien plus terrifiant qu’un Godzilla géant. On aura besoin de tout cet espoir mélodique pour tenir.

 

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