Call Jane : tout le monde aime Jane

Vendredi 24 juin 2022 : la Cour Suprême américaine révoque le droit à l’avortement et ouvre la voix à son interdiction dans les états conservateurs, bafouant directement l’arrêt Roe v. Wade signé en 1973. Avec Call Jane, son second film en tant que réalisatrice, Phillys Nagy met en lumière un groupe de femmes qui se réunit secrètement pour pratiquer des avortements clandestins. Dans une société où seuls les hommes sont décideurs, les principales concernées sont prêtes à tout pour reprendre le contrôle de leur existence.

Jane n’est pas qu’un visage. Jane est un groupe. Un vrai groupe de femmes, basées à Chicago, dont les arrangements avec la mafia locale leur a permis d’agir en sous-marin pendant des années. Il a également fait l’objet d’une série documentaire sortie cet été sur HBO aux États-Unis. En projet depuis 2017 et co-écrit par Hayley Schore et Roshan Sethi, Call Jane prend pour parti celui de Joy (Elizabeth Banks), une femme mariée et déjà mère d’un enfant, qui n’a pourtant pas d’autre choix que de mettre fin à sa seconde grossesse.

On va quand même se l’avouer : il est difficile de ne pas confronter Call Jane à L’Événement d’Audrey Diwan, puisqu’ils abordent tous deux – et selon une perspective assez similaire – la question de l’avortement clandestin dans les États-Unis et la France des années 60. Pour autant, le film de Phyllis Nagy se propose d’aller « plus loin », puisqu’il évoque aussi l’organisation de ce groupe clandestin, mené par Virginia (Sigourney Weaver), que Joy finira par rejoindre afin de trouver un sens à ce qu’elle a vécu, mais aussi de nouveaux combats à mener. Dans quelques scènes, Call Jane démontre à quel point les femmes n’ont pas voix au chapitre : quand Joy marche à travers les couloirs de la bibliothèque d’une université de médecine à la recherche d’un livre sur la gynécologie, elle ne croise sur son chemin que des portraits d’hommes. Évidemment. Et quand elle doit demander un droit exceptionnel à l’interruption de grossesse auprès de l’hôpital de sa ville, l’assemblée masculine parle comme si elle n’était pas là, ne songeant qu’à l’enfant à venir et non à la santé de la mère, pourtant mise en péril.

On se prend au jeu grâce à l’interprétation d’Elizabeth Banks et Sigourney Weaver, on prend plaisir à revoir Kate Mara (qu’on pensait quasiment disparue après le désastreux reboot des 4 Fantastiques) dans le rôle d’une voisine/amie/veuve éplorée et on apprécie aussi la bande son d’Isabella Summers, l’une des principales musiciennes de Florence + The Machine. Ce qui n’empêche pas pour autant Call Jane de passer un peu à côté de certains éléments de son sujet en privilégiant une forme trop calibrée : un équilibre entre drame et comédie lisse qui empêche le film d’être plus incisif – ce dont il aurait cruellement besoin aujourd’hui. Par exemple, le groupe des « Jane » est conscient des inégalités sociales de son action. Pour des questions d’origines ou de moyens financiers, l’avortement clandestin peut malgré tout rester inaccessible à certaines femmes : d’où la volonté de Joy de « démocratiser » cette pratique.

Ainsi, le parcours du personnage est beaucoup trop programmatique, mais surtout beaucoup trop facile. Joy ne rencontre jamais d’obstacle, ni de difficulté. Ses problèmes de famille disparaissent comme par magie. Aucune opération ne tourne mal, à tel point que Call Jane fait presque de l’avortement une promenade de santé. Un comble quand ses scénaristes, Hayley Schore et Roshan Sethi, sont aussi derrière des épisodes de séries médicales telles que Code Black et The Resident.

Sélectionné aux festivals de Sundance et de Berlin et désormais projeté en ouverture du 48e Festival de Deauville, Call Jane sortira le 28 octobre aux États-Unis, soit quelques jours avant les élections des midterms. Malgré ses défauts, espérons que ce rappel historique aura son petit effet, d’autant plus quand on voit à quel point la fin du film est cinglante malgré elle : le personnage de Sigourney Weaver dit ne jamais penser qu’elle remercierait un jour les sept hommes de la Cour Suprême qui ont voté en faveur de l’arrêt Roe v. Wade. Quand on voit ce que cette même Cour a fait cinquante ans plus tard…

Call Jane, un film de Phillys Nagy. Avec Elizabeth Banks, Sigourney Weaver, Chris Messina, Wunmi Mosaku, Kate Mara. Diffusé dans la sélection Canal+ Première. Présenté en ouverture du 48e Festival du cinéma américain de Deauville.

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