Terreur sur la ville : Slasher sur le fil du rasoir

terreur sur la ville

Sur le poster du film Terreur sur la ville créé par le célèbre Ralph McQuarrie, en dessous du très beau titre original The Town that Dreaded Sundown (littéralement, la ville qui craignait le coucher du soleil), un message simple et efficace : « a true story ». Pas inspirée de faits réels, ce sont des faits réels. Aucun détour. C’est une histoire vraie, point barre. Pourquoi ce choix, et comment en est-on arrivé là ?

En 1946, dans la petite ville de Texarkana, à cheval sur les états de l’Arkansas et du Texas, une série de crimes violents terrorisent les habitants. Une âme mystérieuse et dangereuse rode la nuit, et fait huit victimes : cinq personnes assassinées et trois blessées. Toutes les attaques ciblent des couples, en sortie ou chez eux ; autrement dit il n’y a nulle part où se sentir protégé… La panique s’empare de la ville. Et surtout, le tueur n’est jamais retrouvé malgré de nombreuses enquêtes.

Arrive en scène le producteur et réalisateur indépendant Charles B. Pierce, fascinant personnage comme on peut en voir apparaître au début des années 70 dans l’industrie cinématographique américaine. Alors que les studios s’embourbent dans un système qui ne convainc plus, l’âge d’or du cinéma rebelle fait ses armes loin de Los Angeles et découvre que l’on peut faire du cinéma sans se perdre dans les étoiles de Hollywood. Charles B. Pierce est une figure bien installée dans l’Arkansas : il a commencé par créer une agence de pub, avant de recueillir les fonds nécessaires pour produire un petit film d’exploitation jouant sur le folklore local. The Legend of Bobby Creek, son premier film, est un succès immédiat des circuits underground (notamment des réseaux de drive-in et à la télévision locale), et d’autant plus que le film n’avait coûté que 160 000 dollars. Le projet de Terreur sur la ville paraît donc évident pour ce réalisateur, et à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’il s’agit d’une histoire similaire : s’appuyer sur des peurs et traumatismes du territoire, cela devient très vite une marque de fabrique. Mais surtout parce que cela permet de produire pour pas très cher un film qui va jouer sur le scandale, et donc probablement comme le disent les économistes, « rapporter la thunasse sa mère ».

Quel est le résultat à l’image ? Il est… Particulier. Surtout parce qu’on a l’impression de découvrir plusieurs films en même temps, aux énergies totalement différentes. Il y a d’un côté l’enquête qui ne peut que piétiner, puisque les forces de l’ordre n’ont pas la moindre piste. Deux figures se dégagent et font office de protagonistes dans l’histoire ; le sheriff Norman Ramsey interprété par Andrew Prine (qui n’a pas dû avoir trop de mal à se projeter dans l’histoire puisqu’il a été longtemps suspecté d’avoir assassiné sa femme, le petit fun fact mais sans le fun du jour) et un envoyé des Texas Rangers, le capitaine Morales interprété par Ben Johnson (qui à priori n’est pas suspecté d’avoir assassiné quelqu’un, mais qui est un excellent cavalier et acteur de Western, le petit fun fact mais avec le fun du jour). A leur côté, on suit plusieurs pistes qui ne mènent nulle part dans une approche stylistique proche d’un film d’enquête… On a l’impression d’être face à un proto-Zodiac.

the town that dreaded sundown

En plus de cela, on a toute la partie qui dépeint la ville et tente de lui donner une atmosphère. Cela passe d’abord par les décors, qui sont la ville elle-même (apparemment assez déserte pour n’avoir aucun travail de gestion des foules à faire lors des prises de vue), mais aussi par une narration qui accompagne le récit en voix-off. Les mots prononcés par Vern Stierman (collaborateur régulier du cinéaste), qui relatent les faits avec une rigueur journalistique, contrastent avec son ton digne d’un doubleur de bandes-annonces pour série B. Le paradoxe est bien là : on s’inspire très directement de faits réels, mais pour en faire un film d’exploitation qui a pour but de faire peur, de choquer.

Et c’est là que les meurtres détonnent totalement avec le reste du film. Ce sont les seuls à avoir une mise en scène volontairement travaillée, avec un jeu sur la lumière, le hors champ et même des zooms sur le visage cagoulé du tueur. Autrement dit, on est dans le slasher, avec un meurtrier insaisissable et identifié par sa tenue, ses bruits (il respire très fort sous son sac à patates, il aurait pu faire un effort pour s’assurer d’avoir de l’oxygène quand même), et des séquences qui vont consciemment aller vers de la mise en scène. Le plus choquant dans tout ça étant que certaines des scènes de meurtres sont totalement inspirés des récits authentiques de 1946… Mais je vous rassure, celui qui implique une femme attachée à un arbre, et un trombone avec un couteau attaché au bout, n’est pas réel.

Un film pareil appelle forcément une réception critique compliquée. Terreur sur la ville a effectivement connu un certain succès auprès du public dans les années 70 avant d’être rapidement oublié. La presse n’est pas totalement enthousiasmé à l’époque mais de nos jours le film a été assez diffusé à la télévision pour connaître une réévaluation. Certains disent qu’il est aujourd’hui un film culte, mot très souvent mal compris dans le langage commun puisqu’il ne juge en rien de la qualité de l’œuvre, mais uniquement des interactions répétées avec le film qui l’empêche de disparaître.

S’il y a un endroit où l’accueil de Terreur sur la ville a été plus que mitigé en revanche, c’est bien dans la ville en question. A Texarkana dès la campagne de pub, la mairie a exprimé son mécontentement face à l’exploitation évidente d’une tragique histoire locale pour vendre des sensations fortes. L’affiche de Ralph McQuarrie comprenait notamment la mention « le tueur est toujours dans les parages » (« still lurking ») et le maire a voulu la faire retirer, mais cela n’a jamais été fait.

Cette situation montre en fait que le film de Charles B. Pierce préfigure autre chose qu’un simple slasher ; d’une certaine manière il annonce le succès de la saga Scream. En effet, avec un film de tueur mystérieux qui s’appuie sur des faits réels non sans une certaine forme de cynisme, on a un peu l’impression d’être à l’intérieur des œuvres de Wes Craven, dans lesquels les films Stab reprennent les événements de la vie horrible de Sydney Prescott. Cette dimension métafilmique était tellement évidente que Ryan Murphy s’en est emparé en 2014 et a proposé à Jason Blum de produire une suite spirituelle au premier film, qui intègre tout cela.

Aujourd’hui, il est difficile de voir Terreur sur la ville comme une œuvre choquante. S’il exploite (le cinéma d’exploitation ne s’appelle pas comme ça pour rien) une tragédie pour créer du frisson, il demeure assez banal et assez inoffensif pour ne pas choquer plus que ça, mais il mérite d’être vu par les archéologues du genre. Une curiosité comme le cinéma américain ne pouvait en produire que dans les années 70, à la marge de Hollywood.

Terreur sur la ville, un film de Charles B. Pierce, disponible dans une version restaurée chez Rimini Editions.

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