Peu de visages ont été plus connus au Japon que celui de l’actrice Kinuyo Tanaka. Ayant sur son CV des rôles de tout genre, interprétés chez Ozu, Mizoguchi ou encore Nomura, elle connaissait l’industrie du septième art comme peu pouvaient s’en vanter. C’est ce qui l’encourage en 1953 à marcher sur les plates-bandes de ses Pygmalions et, à la grande surprise des studios japonais, à devenir réalisatrice. Kinuyo Tanaka réalise six long métrages en l’espace de neuf ans, tous témoignant d’une connaissance admirable de son art et de la culture de son pays. Grâce à Carlotta et au festival de Locarno, les films ont été restaurés et sortent pour la première fois au cinéma en France.
Situé dans la deuxième moitié des années 50, après la loi interdisant la prostitution au Japon, La Nuit des femmes suit Kuniko, une ancienne travailleuse du sexe, qui vit dans une « maison de réhabilitation », entourée de femmes qui faisaient le même métier qu’elle. La mission des femmes à la tête de ces maisons (rattachées à l’État) est de trouver un emploi aux anciennes travailleuses du sexe et ainsi les réinsérer dans la société.
Sororité
Kinuyo Tanaka nous fait voir d’emblée une chaleureuse sororité dans cette maison (j’en profite pour vous recommander l’excellent Working Girls de Lizzie Borden sur ce sujet), et ce dès le début, à l’occasion d’une séquence où les femmes de la « haute société » visitent la maison pour l’ajouter à leur liste de bonnes œuvres. On comprend alors que les vrais éléments problématiques ne seront probablement pas ces femmes à la marge de la société, mais bien la société elle-même.
De fait, l’héroïne va aller de déception en déception au gré de ses emplois dits « respectables », et être confrontée aux préjugés ainsi qu’aux tentatives d’exploitation de son passé dès lors qu’il est révélé par accident, ou par choix. Perspicace, la réalisatrice ne limite pas le problème aux hommes libidineux, puisque les femmes font partie intégrante des problèmes de Kuniko : soit par mépris de classe, comme dans la séquence du début, soit par manque de réflexion/d’éducation sur le sujet, ou simplement par égoïsme – profiter de plus faible que soi pour arriver à ses fins.
La différence de sororité entre le « monde réel » et la maison de réhabilitation est assez criante tout le long du film, mais elle l’est encore plus lorsque Kuniko travaille dans une usine composée exclusivement d’ouvrières à qui elle raconte sciemment son passé. Pensant travailler et vivre au sein d’une communauté qui l’accepte et ne voyant pas (à juste titre) la différence entre vendre son temps, ses capacités intellectuelles et/ou sa force physique et vendre son corps, la désillusion n’en est que plus cruelle, pour elle comme pour nous.
Difficile de ne pas penser le film comme une suite logique au rôle que Tanaka a joué dans Les femmes de la nuit de Mizoguchi.
Le poids des traditions
Lorsqu’elle finit enfin par trouver des employeurs ouverts d’esprit et même par trouver l’amour, ce sont les conventions qui viendront contrarier son bonheur, la condamnant sans pitié alors même qu’elle n’avait été condamnée ni par la justice ni par la loi. Son seul et dernier refuge sera une autre communauté de femmes (les ama, pêcheuses en apnée traditionnelles), loin de tous et de tout.
Visionnaire et fort intelligent, en plus d’être simplement superbe, La Nuit des femmes met également en lumière à quel point les femmes de talent (mentionnons également la scénariste du film, Sumie Tanaka, qui collaborait régulièrement avec Tanaka) ont toujours existé dans le cinéma, la plupart ayant déjà compris à leurs époques respectives comment fonctionnaient les rapports de force et les enjeux propres à leur genre. Les voir ressortir de la confidentialité, à l’instar de Kuniyo Tanaka, n’est pas un des moindres plaisirs de cette rétrospective.
La Nuit des femmes, un film de Kuniyo Tanaka, ressortie cinéma via Carlotta à partir du 16 février 2022.
Tanaka Kinuyo herself went through a severe bashing by her fellow Japanese women when she returned from her trip to the USA as a civil ambassador of friendship between the two countries after WWII. This has been attributed to the fact that she wore a western afternoon dress, sunglasses and a fur coat on her return as well as to the fact that she started using some English phrases and manners like tossing kisses to people, even though she wore kimono when she had left Japan. While in the USA, she seems to have visited film studios, met some actors/actresses, and learned the latest method of makeup in Hollywood. She must certainly been influenced by the culture there, but then on her return she was treated with condemnation for having become too Americanized from her short period of stay. Her popularity as an actress then dropped quickly from that of a star to out of the top ranking. She is said to have confided with someone that she did not even receive one fan letter in 1951. See www. kinuyo. info, for example. I do not know how much her experience like this has made her direct a film like this. If someone could delve into this matter a little more with data, it would be interesting, yet, evidence in the form of documents should now be difficult to be obtained, not to speak of interviews. Tanaka remained single for all her life except for a short experimental period of marriage with one of the film directors of her age. It certainly is premature to connect these facts into a context, yet, I think it is interesting to know.
Thank you Mineko, it was quite interesting to read !