Madame : instants de vie(s) chéris

Madame s’ajoute à la liste des films que nous avions eu la chance de découvrir avant l’épidémie de COVID-19… et qui aurait dû sortir le 18 mars au cinéma, pile après l’annonce du confinement. Une longue période d’incertitude a suivi pour son distributeur, Outplay Films, qui a finalement décidé de le caler au 26 août, en pensant probablement que les « films porteurs » chers à Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français, allaient sortir aux dates prévues et laisser le champ libre à la fin de l’été. Finalement, Madame fait aussi partie des sorties qui tentent de se faire une place face au sauveur du cinéma. Oui, je vous ai déjà fait une intro du même genre pour parler des Nouveaux Mutants, mais la raison est la même : sauver le cinéma, ce n’est pas qu’aller voir Tenet !

Lorsque l’on commence à regarder Madame, on pourrait avoir l’impression d’être un intrus qui assiste d’un peu trop près à une histoire de famille. Puisque c’est ce que c’est, à première vue : l’hommage d’un homme, Stéphane Riethauser, à sa grand-mère Caroline, décédée il y a une quinzaine d’années. Leurs rencontres filmées sont nombreuses, les messages vocaux bourrés d’humour que cette vieille dame adresse à son petit-fils aussi. Derrière tout cela, il y a bien plus : la volonté pour Riethauser, en retraçant l’histoire de sa grand-mère, de questionner son statut de femme dans une société patriarcale. C’est par extension que le réalisateur revient aussi sur sa propre histoire, les tabous qui ont longtemps entouré son homosexualité refoulée, la question du genre et du regard des autres…

Qu’ils sont mignons tous les deux, vous ne trouvez pas ?

On aurait pu se penser intrus, vous disais-je. Et pourtant, plus les images d’archives familiales se succèdent, et plus l’on se dit qu’on peut tous avoir un peu de Stéphane et Caroline. Pour le réalisateur, sa grand-mère a toujours été une figure d’exemple, dont la vie regorge d’anecdotes et d’épisodes à en faire tourner la tête. Seconde femme de Genève à avoir obtenu le permis de conduire, Caroline a su s’émanciper après un premier mariage forcé, parle de la difficulté avec laquelle elle a dû s’affirmer dans les affaires – un monde d’hommes, comment elle a pu s’offrir des études, des cours de diction… bref : un parcours où, en tant que femme, elle fait figure d’exception.

La complicité entre ces deux êtres est indéniable, il est tout autant difficile de ne pas décrocher un sourire tant les deux aiment se chamailler, ou plutôt tant cette grand-mère aime enquiquiner son petit-fils, « coiffé n’importe comment ». Un petit-fils qui n’a pourtant jamais osé lui confier bien des choses, malgré leur relation sans faille. Alors qu’il reconnaît en elle une personne vaillante, qui a su passer outre l’idée de ce que devrait faire une femme, lui n’a longtemps pas osé lui parlé de « sa différence ». Elle qui était pourtant « sa muse, sa protectrice ».

Riethauser se met tout autant en scène, de l’enfance à l’âge adulte, et utilise également le même prisme qu’il a appliqué en traitant la vie de sa grand-mère : tout ce que l’on attend d’un homme. Le virilisme, le service militaire, la reprise de l’affaire familiale, bref : le cliché de la bonne vieille famille traditionnelle, pourtant confronté aux changements de mœurs et aux révolutions culturelles. Ce faux-personnage, chargé de faire croire qu’il se confortait aux normes sociales (malgré des rébellions), c’est le fameux Riton. Riton, c’est l’ado qui picole, qui fume, qui drague les filles avec insistance, qui détermine si elles sont oui ou non des salopes… C’est l’alter-égo diabolique, pour qui l’homosexualité est une tare, la pride un rassemblement de follasses qui chopent le sida… Pour Stéphane, c’était « jouer la comédie », à l’instar des nombreux films qu’il tournait enfant, mais surtout « mener une double vie ».

Si le cinéaste ponctue régulièrement ces images d’un récit en voix-off, il n’est pas pour autant question d’orienter ce qu’il nous donne à voir. Tout simplement d’offrir son ressenti de l’époque, ou actuel, sur sa propre vie et celle de sa grand-mère. Le tout en admettant d’emblée, dès les premières minutes du film, que tout ce que Madame est n’est qu’une image et non pas forcément la réalité, en sachant que « ce qu'[il] racontera ici sera faussé par ce qu'[il] n’aura pas raconté, pas filmé, oublié, déformé ou délibérément censuré ».

Il y a pourtant quelque chose de profondément universel à travers ces deux parcours et une très grande émotion à travers ces images… Pour moi, Madame, c’est aussi ma grand-mère, qui en aura bien plus compris sur moi que d’autres membres de ma famille sans même que je ne lui en parle. Et si le film m’a autant convaincu, c’est qu’il m’a finalement procuré le même effet thérapeutique que son réalisateur, qui peu à peu se dévoile sous sa véritable identité et s’assume pleinement.

Madame, de Stéphane Riethauser. Avec Stéphane Riethauser et sa grand-mère Caroline Della Beffa. Sortie française le 26 août 2020 (parce qu’il faut bien aussi une grand-mère suisse pour sauver le cinéma !).

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