The Last Dance : On achève bien les taureaux

Le confinement imposé par l’expansion internationale de la pandémie de COVID-19 a forcé une partie de notre monde à appuyer sur le bouton pause. Le monde du sport professionnel, tout comme celui du cinéma que nous nous employons régulièrement à outrager dans nos billets, a suivi la tendance.

Et si les choses rentrent progressivement dans l’ordre (on a vu ce week-end les footballeurs allemands nous offrir une parodie de compétition dans des stades vides parce que les droits télé vont pas se payer tous seuls, ma bonne dame), la disparition des retransmissions en direct pendant plusieurs semaines a laissé un grand vide qu’il a fallu.

S’il est avéré que l’auteur de ces lignes, ne s’appelant pas Eddy Mitchell, n’est pas là pour briller de par son érudition en termes cinéphiliques, c‘est parce que cette passion est en partie vampirisée par mon amour du sport, et surtout de la NBA. Quiconque a eu le malheur de croiser mon compte Twitter, particulièrement aux heures déconseillées aux Gremlins, le sait. Et sur bien des points, il faut le reconnaître, le fan de basket raisonne comme le cinéphile lambda.

Le second se dit qu’il est temps pour lui de profiter du confinement et de l’arrêt des cinémas pour se plonger dans des filmographies entières venues d’horizons différents, pour inexorablement finir par mater la dernière croûte sortie par Netflix simplement pour l’attrait de la nouveauté en peaufinant son top 10 des meilleurs sosies du professeur Raoult au cinéma. Le premier quant à lui, se dit qu’il a des dizaines de docus à rattraper sur Youtube et que ce serait bien de pouvoir enfin se mater en entier les finales Pistons/Lakers de 2004 ; pour au final se retrouver à répéter les mêmes mixtapes de dunks de Vince Carter en se prenant le chou pour savoir qui de MJ ou de LeBron a la plus grosse. Carrière, cela va sans dire.

Michael Jordan VS LeBron James. L’équivalent pour les amoureux de la balle oranges des guéguerres les plus creuses de la culture contemporaine que sont Beatles VS Rolling Stones ou De Niro VS Pacino . Déjà parce que ces débats ont été atrocement étirés à l’extrême à coups d’arguments pétés alors que les réponses sont plus qu’évidentes (respectivement Michael Jordan, Beatles et Jack Nicholson). Ensuite parce qu’un bon duel c’est comme un bon pas de danse, ça s’apprécie le mieux quand les deux protagonistes sont en rythme.

L’arrivée sur la chaîne ESPN et sur Netflix du « monumental » documentaire The Last Dance a donc ceci de particulièrement savoureux : alors même que le King James se voit obligé de repartir dans l’ombre quelques temps suite à l’arrêt de la saison NBA en cours, c’est au tour de His Airness de faire son retour en piste dans l’arène médiatique. Prévue initialement pour le mois de juin afin de meubler la longue attente des soirs d’été moites de l’intersaison, la diffusion de The Last Dance a été avancée en urgence pour contenter les appétits de ceux qui aujourd’hui seraient prêts à braver toute mesure barrière pour un bon Timberwolves/Wizards.

Kyo aime ça.

Parce qu’avant d’être un documentaire, The Last Dance débarque avec une aura quasi surnaturelle, la même qui entoure cette année 2020 rocambolesque et tragique. Véritable patch de nicotine pour fanboys en sevrage, le documentaire porte les stigmates du traumatisme international que nous traversons, notamment par les présences des tous récents disparus David Stern et Kobe Bryant. Fini dans l’urgence, le documentaire est devenu un point de rendez-vous bien au-delà du cercle restreint des amoureux de alley-oops, crossovers et autres smashs renversés comme on se plaît à le dire sur France Télévisions. Plus grosse audience de l’histoire d’ESPN pour un documentaire, The Last Dance s’est confortablement installé dans le top 10 des contenus les plus visionnés sur Netflix. Top 10, les amis ! À côté de La Casa de Papel et de ce mélo turc (qui lui n’a jamais joué aux Knicks) au nom imprononçable ! Il n’y avait que Michael Jordan pour accomplir ça.

Car aux yeux du grand public, il y a deux types de basketteurs : Michael Jordan et les autres. Ce sport a eu beau voir défiler un nombre non négligeables de stars et de prodiges, certains d’entre eux apparaissant même dans The Last Dance (Magic Johnson ! Larry Bird ! Isiah Thomas ! Bill Cartwright !), aucun n’arrive à la cheville du numéro 23 des Bulls en terme de notoriété. La sienne dépasse le cadre du basket-ball et même du sport. Mohammed Ali, Pelé, Federer, Tiger Woods, Serena Williams, Michael Phelps… Jordan les regarde tous droit dans les yeux, voire d’un peu plus haut pour certains.

Son incommensurable popularité se voit, se sent, se ressent même tout au long des dix épisodes de The Last Dance. Elle a quelque chose qui relève de l’évidence même. Michael Jordan est lui-même, physiquement, un monument, l’un des athlètes les plus parfaits qui ait jamais vécu. Son mètre quatre-vingt-dix-huit, son regard de tueur et son sourire de prédateur sont toujours intacts en 2020. Parce qu’il a symbolisé plus que tout autre le concept même de performance sportive pendant ses quinze saisons professionnelles, Michael Jordan est devenu par nature une figure on ne peut plus cinégénique.

« Annnnnd now… From North Carolina, at guard, 6’6… Miiichaaaeeel Joooordaaaaaaan »

Là réside la principale réussite de la série documentaire de Jason Hehir : saisir ce qui fait le mythe Jordan. Et comme souvent, ce qui fait le mythe, ce sont les images. Et des images, Michael Jordan en a laissé derrière lui des dizaines. Tout le monde a en tête au moins une image de Michael Jordan. Pour beaucoup, c’est l’extension aérienne iconique du Jumpman prêt à dunker, devenu le logo ornant des paires de baskets qui ont comme peu d’autres marqué la sneaker culture, et la mode moderne bien au-delà.

Jordan, c’est The Shot, The Shrug, The Flu Game, les concours de dunks contre Dominique Wilkins, le layup avec changement de mains en finales NBA, le shoot sur le Jazz en 98, le meme Crying Jordan, le bras de 18 mètres de long dans Space Jam, la Dream Team 92, la pub géante Nike dans les rues de Barcelone, la tronche de Guillaume Durand sur le plateau de Nulle Part Ailleurs, les costumes informes quinze fois trop grands… Michael Jordan est un générateur à images vivant et The Last Dance parvient parfaitement à en saisir la teneur et à montrer ce qui les rend si mythiques. Les meilleurs moments de ces dix épisodes y sont liés, car ce sont ceux qui montrent comment l’homme est devenu la légende universelle. Ces images, elle deviennent tout d’un coup plus vivantes et humaines que jamais.

Une des images les plus marquantes du documentaire, et qui résume à elle seule tout le storytelling que Jordan transmet : le joueur s’effondre dans les vestiaires, en larmes, ayant remporté le championnat le jour de la fête des pères. un an et demi plus tôt, il annonçait sa retraite après le décès de son père, assassiné.

C’est le frisson qui parcourt les dernières images de l’épisode 1 au son du Sirius de The Alan Parsons Project, véritable introduction aux exploits à venir d’Air Jordan. C’est le bruit de l’homme qui pleure la mort de son père en remportant son quatrième titre le jour de la Fête des Pères. C’est la rage quasi surhumaine qui exsude de sa manière de franchir chaque obstacle, de voir chaque adversaire comme un ennemi mortel à terrasser. C’est en cela que The Last Dance parvient à trouver son équilibre, en montrant comment Michael Jordan est un véritable démiurge, créant de la narration à partir de rien, allant jusqu’à s’inventer des intrigues et des motivations parfois inexistantes (une pensée pour le pauvre LaBradford Smith).

La structure du documentaire aurait pu se révéler confuse, et a sans doute égaré les néophytes par moments au cours d’un énième aller-retour temporel. Mais dans sa manière de parvenir à faire de chacune de ces images iconiques l’écho d’une autre, The Last Dance arrive parfaitement à son but : montrer que chacune d’entre elles est le fruit d’une évidence.

Il ne faut pas prendre The Last Dance comme la « vérité sur l’ère Michael Jordan ». En laissant Jordan interférer dans la production, l’équipe de Jason Hehir s’est exposée à une critique qu’elle n’a jamais cherché à esquiver. The Last Dance est une ode à Jordan, ne s’amuse qu’à l’égratigner très superficiellement (sur son goût pour les paris, son caractère tyrannique, son refus de l’engagement politique public contrairement à des personnalités comme Bill Russell, Kareem Abdul-Jabbar ou LeBron James) et ne prend pas de gants pour esquinter parfois abusivement certains de ses adversaires, qu’il s’agisse des Bad Boys comme Isiah Thomas ou du pauvre Jerry Krause, souvent inutilement rabaissé en dépit de son impact colossal sur la dynastie des Bulls.

Et tous importants et forts qu’ils aient pu être (Scottie Pippen, Dennis Rodman, Phil Jackson ou Toni Kukoc), ses lieutenants sont forcément voués à ne devenir ici que des figurants de luxe, des seconds rôles de la légende. The Last Dance n’est probablement pas, du point de vue de l’histoire du basket-ball, une œuvre parfaite, et elle ne mérite pas d’être considérée comme parole d’Évangile. Ce n’est même pas à vrai dire une œuvre destinée aux fans les plus hardcore en quête de révélations fracassantes. Pour qui s’intéresse un peu à l’histoire de ce sport, The Last Dance n’apprend fondamentalement pas grand chose et permet à peine de régler certains débats de longue date (la véritable raison du Flu Game, de la première retraite de 1993…). Les amoureux de tactique auraient aimé passer plus de temps à disserter sur l’attaque en triangle de Tex Winter, entendre plus de Toni Kukoc et de Ron Harper et un peu moins de Carmen Electra.

« That’s life »!

Le rédacteur en chef de Cinématraque se permet d’interrompre ici l’article de Julien pour apporter quelques précisions… Car oui, nous sommes plusieurs à avoir l’obsession basket-ball dans l’équipe. Une autre rédactrice de l’équipe, Salomé, se moque souvent de moi car je répète à qui veut l’entendre que dans ma jeunesse j’ai été CHAMPION DU LIMOUSIN…

Pour découvrir Michael Jordan sous un angle bien plus riche, et surtout bien moins flatteur, on ne peut que vous conseiller l’excellent livre Michael Jordan : The Life, de Roland Lazenby. C’est un pavé de plus de mille pages qui va jusqu’à retracer l’histoire de la famille Jordan, et explore bien plus en détail la personnalité mégalo du géant qu’il a été. Si The Last Dance raconte magnifiquement le mythe qui continue de nous faire vibrer, ce bouquin met en lumière tout ce qui reste caché dans le documentaire, tout en explorant en profondeur la psyché de MJ. Lecture indispensable donc.

Mais en faisant le choix d’orienter sa diffusion vers le plus grand public qui soit par l’intermédiaire de Netflix, The Last Dance était dès le départ condamné à vouloir s’adresser à tout le monde. Et ça, au sortir des dix heures de ce marathon de cinq semaines, on peut dire que le documentaire a parfaitement réussi à le faire. Ceux qui connaissent l’essentiel de la carrière de Michael Jordan y retrouvent la pure adrénaline qu’ont ressenti ceux qui ont eu la chance de voir se construire, année après année, le mythe Michael Jordan et les moments de légende qui l’entourent. Les autres, eux, découvriront un personnage bigger-than-life dans une histoire rocambolesque où se mélangent pizzas avariées, road-trips dans les casinos de Las Vegas, trash-talk à l’ancienne (Straight up bitches!), méditations amérindiennes et la partie de coin toss la plus intense de l’histoire. Ah d’ailleurs vous savez, ce garde du corps incroyablement badass qui vole le show dans cette scène de l’épisode 6 ? Il s’appelle John Michael Wozniak, et il est malheureusement décédé le 18 janvier dernier. Huit jours avant Kobe Bryant. Putain d’année 2020.

The Last Dance de Jason Hehir, série documentaire en 10×50 minutes, disponible en France sur Netflix

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