Sympathie pour le diable : S’il vous plaît, permettez-moi de me présenter

Paul Marchand est comme d’autres avant lui reporter de guerre, de ce genre de journalistes dopé à l’adrénaline des champs de bataille sur lesquels il se faufile au péril de sa vie pour tenter de rendre vivantes les couleurs de guerre. De raconter les histoires derrière les interminables listes de morts tombés au combat. Flambeur, joueur, grande gueule et incapable de se balader sans un cigare au bec, Paul Marchand est de ces personnages qui semblent voués à un destin hors normes, qui semblent nés pour vivre au cœur du chaos. Vivant à toute berzingue dans les ruines de la ville, il tombe amoureux de sa traductrice serbe, pour laquelle il s’engage dans une route qui va l’amener à transgresser les engagements de son métier.

Paul Marchand a réellement existé et fut connu notamment pour avoir couvert pour plusieurs rédactions francophones le siège de Sarajevo par les forces serbes entre avril 1992 et décembre 1995. Mort en 2009, il est aussi le héros de Sympathie pour le diable, premier long-métrage du québécois Vladimir de Fontenay, celui à qui Niels Schneider prête ses traits. L’histoire de Paul Marchand, voilà quasiment quinze ans que De Fontenay travaille dessus, lui qui a rencontré le reporter de son vivant (rapatrié d’urgence en 1993, Marchand s’était alors installé à Montréal) avant d’adapter son livre. Quinze longues années au cours desquelles le réalisateur tentera en vain de mettre en images ses histoires de guerre, et qui débouchent aujourd’hui sur un film, il le faut le reconnaître, d’une maîtrise assez remarquable, qui plus est pour un premier long.

Transcendée par l’énergie de la caméra portée et un cadrage en format 4/3 qui resserre le champ de l’action, De Fontenay imagine sa caméra comme celle d’un reporter de guerre par un effet de mise en abyme qui prend constamment aux tripes le spectateur. En ne s’éloignant jamais trop loin de son héros et de son photographe Vincent (Vincent Rottiers), le cinéaste parvient à créer une tension permanente même lors de ses instants de répit, qu’il s’agisse d’une partie de poker avec ses confrères belges et américains (où l’on retrouve notamment l’excellent Arieh Worthalter) ou d’une scène intime avec Boba (Ella Rumpf qu’on avait adoré découvrir dans Grave), qui va le faire basculer de plain pied dans les dilemmes moraux de la guerre. Son dispositif ne fait que rendre les embardées, inévitables, de violence plus glaçantes encore.

On sent dans Sympathie pour le diable l’envie de retranscrire non seulement le côté bravache de Marchand, mais aussi son instinct, sa capacité à comprendre toujours où et quand aller faire ses reportages, la méticulosité avec laquelle il parvient à franchir tous les checkpoints et cacher tout ce qui doit l’être. Conscient de l’esprit de corps qui unit indéfectiblement tous les journalistes engagés pour couvrir le conflit, l’homme est aussi irascible, volontiers moralisateur envers ses confrères qui ne se salisse pas suffisamment les mains. C’est peut-être une des limites du film : en restant fidèle à la parole de son sujet, auquel il rend un hommage profond et sincère, Sympathie pour le diable flirte parfois avec l’hagiographie de son personnage principal, dont il ne remet jamais véritablement les principes dans un contexte de guerre qui justement amène à des compromis permanents.

L’une des grandes forces de Sympathie pour le diable est d’arriver à construire un monde en guerre qui montre véritablement que la guerre ne s’arrête jamais et peut s’engouffrer dans les moindres silences. Les moments de calme n’y sont jamais construit comme des bulles déconnectées, mais comme des instants qui précèdent une tragédie inéluctable. Il en découle un thriller nerveux d’une efficacité rare dans le cinéma français, une longue apnée d’une heure et quarante minutes dans laquelle Niels Schneider trouve l’un de ses meilleurs rôles. Sans céder aux sirènes du voyeurisme, Guillaume de Fontenay réussit son hommage et signe une œuvre glaçante comme l’hiver serbe et douloureuse comme la chute d’une région ravagée et ensevelie sous les atrocités , dans un monde où tout fut peint en noir.

Sympathie pour le Diable de Guillaume de Fontenay avec Niels Schneider, Vincent Rottiers, Ella Rumpf, en salles le 27 novembre.

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