Adults in the Room : A Bit of a Grexit

« We need adults in the room » : le titre du vingtième long-métrage de Costa-Gavras (et par extension du livre dont il est l’adaptation), on le doit à Christine Lagarde. À l’époque à la tête du Fonds Monétaire International, l’ancienne ministre de l’Économie s’était à l’époque emportée contre la paralysie du processus de négociation de la dette grecque qui opposait la troïka des institutions européennes libérales (le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Comission Européenne) et le gouvernement d’Alexis Tsipras et de son ministre des finances, le charismatique Yanis Varoufakis. Ce même Varoufakis auteur d’Adults in the Room le livre, et source d’inspiration du film de Costa-Gavras.

L’épisode de la crise financière grecque, Costa-Gavras tournait depuis longtemps autour. Depuis l’arrivée de Tsipras au pouvoir en réalité. Le déclic, il aura lieu au moment du référendum du 5 juillet 2015, marqué par la victoire des opposants aux conditions d’austérité totale imposée par la « troïka » en vue d’une renégociation de la dette publique, et surtout par le départ fracassant de Varoufakis, prélude à la volte-face du gouvernement Tsipras qui finira par trahir sa base et se plier aux diktats imposés particulièrement par Wolfgang Schäuble, ministre fédéral des Finances d’Angela Merkel et partisan de l’expulsion de la Grèce de la zone euro. C’est un article que Varoufakis signe à l’époque pour The Guardian, et que lui fait découvrir sa productrice (et par ailleurs épouse) Michèle Ray, qui pousse le cinéaste à contacter l’ex-ministre. Le premier reconnaît, dans le parcours du second, le destin tragique qu’il souhaitait porter à l’écran.

Adults in the Room n’existe encore pas, même dans sa version papier. Costa-Gavras découvre l’histoire avec un petit et un grand H au fil des épreuves des chapitres que lui envoie régulièrement Varoufakis qui, s’il suit l’évolution du projet, n’y prend pas activement part. Il faut dire que sur bien des aspects, la souffrance du peuple grec étranglé par les gestions calamiteuses des gouvernements précédents, et la vie politique à l’échelle européenne, a des airs de tragédie grecque. Et c’est ce canevas sur lequel le réalisateur va construire son film, en en reprenant ses actes, ses péripéties (son omniprésence des figures masculines également dira-t-on), sa musicalité (Gavras fait ici appel à Alexandre Desplat, qui livre une partition inspirée de la musique traditionnelle) et même son choeur antique. Costa-Gavras ne s’embarrasse pas de subtilités (et c’est tant mieux) : en bon héros tragique, son Varoufakis est celui envers lequel le spectateur se montre compatissant.

C’est de ce point de vue théorique et d’écriture qu’Adults in the Room se montre le plus intéressant, et probablement le Costa-Gavras le plus réussi depuis un peu trop longtemps malheureusement (Amen?). Son travail pour plonger au cœur du jargon administratif, du mille-feuilles hiérarchique et des engrenages de domination technocratique est suffisamment poussé pour donner du coffre à sa critique politique mais insuffisamment incarné pour en faire de vrais enjeux de cinéma. Et ce sans jamais oublier qu’il ne tourne pas un pamphlet politique pour Youtube, mais un long-métrage de cinéma. La scène finale dont on ne dévoilera rien, outre qu’elle se montre être l’emprunt le plus manifeste au théâtre tragique antique, est peut-être la meilleure illustration de ce que peut justement apporter l’art : employer les moyens de la fiction pour décrire l’indescriptible, et ce qui échappe aux explications rationnelles.

Tout ce qui a trait à la question des « adultes dans la salle » qui donnent leur nom au film se montre souvent assez réjouissant à voir. Il faut voir cette expression sous ses deux aspects ironiques. Le premier tient évidemment à l’aspect cour d’école que donne Costa-Gavras aux interminables négociations auxquelles se heurtent Tsipras et Varoufakis, faites de mesquineries perpétuelles et de manœuvres d’écoliers pour faire sortir le camp grec de ses gonds. Mais c’est aussi en arrière le regard contempteur des régimes libéraux que met en scène Costa-Gavras ici, réduisant le peuple grec et ses représentants à des ados incapables de gérer leur portefeuille et qui doivent laisser les « grands » frères. Et derrière la figure machiavélique du tout puissant Schäuble, la France du gouvernement Hollande en prend sérieusement pour son grade, réduite au rang de suiveuse affaiblie de l’Allemagne et spécialiste des discours creux et hypocrites. On va pas le cacher, un film qui égratigne de manière aussi savoureuse Michel Sapin et Pierre Moscovici ne peut pas nous laisser insensible.

Et c’est cependant là qu’on commence à toucher aux limites de l’exercice. Car il faut en effet pardonner à Adults in the Room une forme pas toujours à l’avenant du fond, pour rester mesuré. Le travail de pastiche politique fonctionne assez souvent, notamment par les excellentes compositions de Christos Loulis en Varoufakis et Alexandros Bourdoumis en Tsipras. Restent quelques postiches et postures d’imitation qui font un peu tâche, même quand on reste ouvert à l’exercice de la satire politique. Plus généralement, le film se perd parfois dans ses propres ambitions formelles, que ce soit pour des raisons de budget (vous devez vous en douter, ce genre de sujets ça n’attire pas les financements en claquant des doigts) ou de coordination de lieux de tournages (l’essentiel du film, y compris les scènes à Riga, a été tourné à Athènes).

Il y a plein de choses que l’on peut potentiellement reprocher à Adults in the Room, mais pas l’honnêteté de sa démarche. S’il est parfois maladroit dans sa présentation, il n’en reste pas moins un thriller politique robuste doublé du portrait tragique d’un David qui n’a jamais été en mesure de renverser Goliath. Car l’ironie tragique, elle, est encore belle et bien présente : le film sort en salles quelques semaines après le départ du pouvoir d’Alexis Tsipras, balayé lors des dernières législatives par la droite ultralibérale de Kyriakos Mitsotakis, celle-là même que le référendum de 2015 avait massivement rejeté au profit de Syriza. Un adulte de plus dans la salle, en quelque sorte.

Adults in the Room de Costa-Gavras avec Christos Loulis, Alexandros Bourdoumis, Ulrich Tukur…, en salles le 6 novembre

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