Notre amour pour la réalisatrice Naoko Yamada n’est plus à démontrer ; si vous lisez nos articles, si vous nous suivez sur les réseaux, vous avez dû remarquer que nous sommes incapables de nous contenir quand il s’agit de parler de cette artiste. Il faut dire que dans le monde de l’animation aujourd’hui, peu méritent autant notre attention que Yamada ; et pourtant son premier long métrage à avoir été diffusé en France, A Silent Voice, a été très peu soutenu par la presse cinéma.
D’abord apparu chez nous en 2017 au festival d’Annecy en compétition officielle, puis au Carrefour de l’animation au Forum des Images, ce long métrage n’a suscité ni louanges ni critiques… Parce que personne ou presque n’en a parlé en dehors de la presse spécialisée animation japonaise. Quand A Silent Voice est finalement sorti au cinéma, un an après, ce fut un succès modeste même si le film n’a pas réussi à attirer un autre public que celui déjà adepte d’animation nippone. Nous sommes là au cœur d’un problème évident qui perdure dans notre rapport occidental à tout ce qui touche de prêt ou de loin les dessins animés japonais : il y a ce qui mérite de dépasser la niche (qui se résume à Miyazaki, si on est tristement honnête), ce qui tend vers l’universel… Et ce qui doit se résigner à se terrer dans la niche. Cette dichotomie absurde perdure malgré la toujours grandissante diversification de l’animation japonaise. Et si quelqu’un parvient à créer des œuvres autant ancrées dans la culture locale qu’ayant vocation à tendre vers l’universel, c’est bien Naoko Yamada.
Son nouveau film Liz et l’oiseau bleu, s’inscrit encore davantage dans ce double mouvement spécificité culturelle/valeurs universelles : il s’agit d’un spinoff d’une série d’animation de Tatsuya Ishihara sur le groupe de musique d’un lycée japonais, qui enrobe son récit dans un conte de fées européen (Liz et l’oiseau bleu, cqfd), pour finalement ne parler que d’une seule chose : d’amitié. Un concept qui parlera donc à absolument tout le monde sur cette planète, à l’exception de Manuel Valls.
C’est l’histoire de deux lycéennes en fin de scolarité, Mizore et Nozomi, qui sont meilleures amies depuis l’enfance et membres du groupe de musique de l’école… Mais à force de blessures silencieuses et de sentiments jamais exprimés, leur relation est mise à mal. Le moment est venu de choisir une université pour leurs études, leurs carrières, leurs vies respectives, mais elles n’ont pas discuté de leurs choix. La problématique au coeur du film n’est pas plus compliquée que cela : que faire lorsque l’amour ne peut empêcher la séparation ?
Voilà l’intégralité des péripéties du film ; rien de rocambolesque, rien d’excessif. C’est ainsi qu’au sein d’une histoire relativement simple, Naoko Yamada déploie toute la complexité de la nature humaine afin de nous rappeler qu’une tempête dans un verre d’eau, cela reste malgré tout une tempête. Celles et ceux qui ont vus A Silent Voice ne seront pas surpris par cette information : Liz et l’oiseau bleu est déchirant. Derrière la douceur incroyable de l’animation, la légèreté de la musique, tout n’est que mélancolie. Yamada traite l’évolution de cette histoire d’amitié comme un grand récit sur l’amour, comme un livre dont on aurait arraché les dernières pages du livre de peur que la fin soit malheureuse.
C’est peut-être là le plus surprenant dans l’œuvre de Naoko Yamada : elle parvient à s’emparer des créations des autres pour se construire une filmographie à la cohérence remarquable. A Silent Voice était l’adaptation d’un manga, Liz et l’oiseau bleu un spinoff, et pourtant on peut déjà parler d’un style Naoko Yamada, de thématiques récurrentes, voir d’obsessions. C’est en cela que l’on pense à la théorie des auteurs, qui suppose que le réalisateur – ou en l’occurrence la réalisatrice – d’un film dépasse la somme de tous les techniciens et artistes qui travaillent dessus, et qui pose l’idée d’une pensée monomaniaque : l’auteur, autant qu’il se métamorphose, ne fait que raconter la même chose dans tous ses films.
Naoko Yamada est indéniablement et formidablement autrice. Son travail sur le cadre, toujours surprenant, et sur la finesse des mouvements de ses personnages, transpire en permanence la même idée : la complexité des relations que nous entretenons avec notre prochain. Liz et l’oiseau bleu est un film gigantesque de 1h30 à peine, qui mérite donc de dépasser la simple niche japanimation et séduire un public conséquent. Parce que nous méritons ce cinéma de qualité.
Liz et l’oiseau bleu, de Naoko Yamada, distribué par Eurozoom et au cinéma le 17 avril 2019.
Très bel article sur cette superbe oeuvre et cette très grande réalisatrice. Par contre, petites fautes de frappe : les personnages s’appellent Mizore et Nozomi, pas Nazami pour le second 🙂
Merci, c’est corrigé !