Atteint du virus du cinéma depuis qu’il a découvert le cinéma de Luc Moullet (dont il fut l’acteur, le temps du Siège de L’Alcazar), Antoine Desrosières a un temps croisé la route d’Agnès Varda (Les Cents et mille nuits de Simon Cinéma) puis de son fils Mathieu Demy avec qui il a tourné deux longs métrages : A la belle étoile, en 1993, puis Banqueroute en 2000.
En 2015, Cinématraque le découvre avec Haramiste, véritable coup de cœur de la rédaction que l’on ira jusqu’à soutenir le temps d’une présentation du film en avant-première dans un moment très particulier : la vague d’attentats djihadistes. Il n’était pas forcement évident, dans ce contexte, de sortir une comédie avec deux jeunes filles voilées avec du sexe plein la bouche. L’irrévérence qui détermine l’humour de Desrosières et ces deux jeunes actrices et coscénaristes (Souad Arsane et Inas Chanti) avait tout pour se mettre à dos les fachos et les fous de dieu. Pourtant et sans doute, justement, pour ces raisons, le moyen métrage réussit à tenir plus d’un an dans les salles parisiennes.
L’expérience a été si enthousiasmante pour le trio qu’il/elles ont décidé de poursuivre leurs collaborations en creusant toujours un peu plus la question de la découverte de la sexualité chez les adolescentes. S’il/elles ont décidé de conserver la sororité de Rim et Yasmina, les gamines ne sont plus exactement les mêmes, et la religion est à peine esquissée. Il s’agit aujourd’hui pour elles et lui de dépasser l’impasse de l’éternel débat médiatique de « l’Islam, religion qui opprime les femmes ». Dans A Genoux les Gars, ce sont des corps féminins qui s’expriment et s’opposent à la pression sociale tout entière dirigée par la violence patriarcale. Une domination masculine qui bénéficie de tout un tas de canaux (les médias, la publicité, le cinéma, les séries, les réseaux sociaux, la famille… les lois antisociales) pour s’imposer à celles qui auraient l’outrecuidance de se considérer comme femmes, libres de leurs paroles, de leurs corps, de leurs pensées.
A Genoux les Gars est un acte politique
À Genoux les gars devrait rassurer ce beau monde qui peuple la Croisette. Il ne s’agit pas ici de dénoncer le gotha du cinéma (comme l’a pourtant fait avec talent la seconde saison de 10 %), mais de prendre la jeunesse populaire comme exemple de la perversité de la domination masculine en France. Pourtant, le message se veut universel et le viol qui est filmé, point de bascule du film, n’est pas spécifiquement une spécialité des milieux défavorisés. Bien au contraire, les agresseurs y sont deux garçons proches de la victime, ce qui est pour le coup une des caractéristiques des cas de viols les plus fréquents, quel que soit le milieu social. Si cette scène et une autre similaire, où le chantage devient une arme de domination, ne prêtent pas à la rigolade, le naturel du trio revient très vite au galop et la mécanique de l’humour s’impose définitivement. C’est d’ailleurs à travers le comique des situations et la maîtrise des vannes que Yasmina va reprendre le dessus et, avec sa sœur, décider d’un plan pour se venger des deux mecs qu’elles fréquentent. Et c’est une fois qu’elle aura réussi à prendre le pouvoir qu’elle décidera de s’impliquer dans une histoire plus épanouissante avec un dealer croisé quelque temps plus tôt. Le film se clôt sur un très beau plan final de plaisir féminin qui rappelle le pouvoir de l’image et la maîtrise du cinéaste. Si Antoine Desrosières se met au service de ses actrices tout au long du film et donne à voir un couple d’actrices rappelant la drôlerie mélancolique de Ilana Glazer et Abbi Jacobson de Broad City (un projet d’extension en série existe d’ailleurs concernant A Genoux Les Gars), c’est bien lui le cinéaste qui imagine le point final de son histoire.
A genoux les gars ! d’Antoine Desrosières, avec Souad Arsane, Inas Chanti, Loubna Abidar, Sidi Mejai, Mehdi Dahmane