Suite à notre dossier sur le Carrefour de l’Animation, nous avons décidé de poursuivre l’aventure avec le Forum des Images et vous parler de leur jolie programmation. Tout au long du mois de janvier et de février, nous vous proposons de petits articles ponctuels pour parler États-Unis à travers le prisme du cinéma. Le cycle « Le Monde est Stone », une sélection de films sur les États-Unis, choisis en partenariat avec Oliver Stone. Le réalisateur sera là pour présenter ses propres films, et on vous en parlera aussi, naturellement.
Le hasard fait parfois très bien les choses : nous avons vu (Violences à) Park Row de Samuel Fuller le jour de la projection privée de Pentagon Papers de Steven Spielberg au UGC Normandie. Deux films qui, à plus de soixante ans d’écart l’un de l’autre (Park Row est sorti en 1952) se permettent de faire la gloire du métier de journaliste. La presse comme quatrième pouvoir, comme vraie menace face aux dérives de la politique, bref : l’héroïsme à l’ancienne quoi. Fort à parier que le film de Spielberg, lui-même héritier des grands comme Ford et Capra, s’inspire directement du cinéma américain moins connu de Samuel Fuller, qui représente le journaliste comme un guerrier, sans peur ni sans reproches.
L’histoire, très rapidement : nous sommes à New York en 1886. Notre héros, Phineas Mitchell, est un journaliste avec une éthique droite comme la bite d’un cinéphile devant un film d’Alain Guiraudie. Après s’être fait renvoyé du Star pour avoir critiqué la philosophie du journal, il décide de monter avec les moyens du bord un journal indépendant, qui sera là pour les citoyens et pour l’Amérique. S’ensuit alors une guerre entre le petit journal de Mitchell, le Globe, imprimé sur du papier de boucher, et le Star. Une guerre entre Phineas Mitchell et son ex-patronne Charity Hackett, qui n’a « de charité que le nom », qui va assez rapidement dégénérer… On se retrouve avec un mort sur les bras, des bombes, des patates dans la tronche sous la statue horrifiée de Benjamin Franklin, saint patron des journalistes. Heureusement, le vrai journalisme sortira vainqueur de ce conflit infâme… Chose que l’on n’ose espérer aujourd’hui, puisque les publications indépendantes ont presque toutes disparues. Coucou Rupert Murdoch !
une éthique droite comme la bite d’un cinéphile devant un film d’Alain Guiraudie
Park Row est avant tout une ode à la gloire des indépendants. Le film s’ouvre sur tous les noms des publications locales des USA en 1952, et est directement dédié à ses héros de la patrie, les journalistes. Face au Star, qui a des impératifs de vente et qui se permet de diffuser des fausses informations, le petit Globe met en avant le factuel et se démarque en proposant aux citoyens de payer de leur poche pour que la Statue de la Liberté, cadeau de la France aux USA, aient un socle digne de ce nom pour l’accueillir. Démarche patriotique ultime quoi. Mais ce rapport aux indépendants, à la structure qui profite de sa taille réduite pour conserver sa liberté, fait directement écho à la situation de Fuller au moment du film : la légende dit que Zanuck lui aurait proposé un gros budget pour en faire une comédie musicale. Fuller a répondu en claquant la porte, puis a fondé sa propre boite de production afin de sortir le film qu’il voulait tout seul comme un grand. Et ça se voit : les décors sont peu nombreux et tout pourraves. Mais Fuller n’en a rien à péter, il mise tout dans sa mise en scène. Et à raison : ce qu’il fait avec sa caméra pour 1952, ça en jette de la pastèque sur un bon steak. D’ailleurs, il paraîtrait que c’est son film préféré : il n’est donc pas trop tiré par les cheveux de voir en Phineas Mitchell un alter ego de Samuel Fuller, dirigeant son équipe de tournage de main de maître, avec les moyens du bord mais dans les meilleures intentions.
Pour autant, la morale reste relativement étrange. Déjà, il faut que je vous parle de comment le Globe se lance au début du film : Phineas Mitchell dénonce un type à la police qui a sauté du haut du Brooklyn Bridge pour un pari. Il se sert de cette histoire comme numéro 1, en sachant que la publicité ferait du type un héros à sa sortie. Quand on pense à l’éthique journalistique… C’est pas franchement à ça qu’on pense. Mais cet opportunisme est pourtant bien une caractéristique essentielle d’un mode de pensée américain indémodable ; même la presse se retrouve enfermée dans les codes de l’American Dream, cet idéal de la réussite des petits qui oublie souvent de se poser la question de ce qu’est la réussite.
Si vous souhaitez réfléchir avec nous à ce genre de questions, n’hésitez pas à faire un tour au Forum des Images pour voir du film, et bien sûr de continuer à nous lire sur les films suivants : on en a pour jusqu’à fin février !
Park Row, de Samuel Fuller, avec Gene Evans. Sorti en 1952