Pourquoi ce film existe-t-il ? Les plus cyniques parmi nous ont encore du mal à accepter la démarche actuelle du studio de cinéma qui possède à peu près l’intégralité de la planète: ce bon vieux Mickey. Petit récapitulatif :
Depuis quatre ans, voilà que les zigotos se sont mis en tête de faire des remakes de leurs films d’animation les plus classiques, mais avec des vrais comédiens. On a d’abord eu droit à tout plein de beaux acteurs et belles actrices en chair et en os dans Cendrillon. Puis, à un seul interprète entouré d’écrans verts et d’une faune numérique dans Le Livre de la Jungle. Et maintenant on a droit à la Belle en chair et en os et la Bête à la tronche en 3 D. Les prochains sur la liste sont Mulan, qui a fait couler de l’encre ces derniers mois quant aux rumeurs concernant son script qui inclurait un personnage blanc, ensuite Aladdin puis Le Roi Lion. Donc autant vous dire qu’ils ne sont pas prêt de s’arrêter.
« live action » en anglais veut dire que l’on parle de vraies caméras
Bref aparté : J’en vois certain au fond qui ne comprennent pas comment on fait un long métrage « Live Action » du Roi Lion avec que des animaux, à part filmer au zoo de Vincennes en espérant que les félins fassent autre chose que pioncer. En fait, « live action » en anglais veut dire que l’on parle de vraies caméras, c’est-à-dire de prises de vues réelles. C’est la différence majeure avec l’animation par ordinateur où l’on utilise des caméras virtuelles. Donc pour imaginer, pensez au dernier film en date de La Planète des Singes, celui de Matt Reeves. D’ailleurs, on espère que les animaux seront réalisés en stop motion par des comédiens de talent comme Andy Serkis et Terry Notary, et si vous ne savez pas qui est le second, HONTE SUR VOS VACHES.
Et là, beaucoup ne peuvent s’empêcher de penser que les exécutifs de Disney n’y voient qu’une opportunité absolument dégueulasse pour se faire du fric. Et vous n’auriez pas tort très honnêtement, mais je vous interdis de vous arrêter à cela. Oui oui parfaitement, je vous l’interdis. Quoi, t’as cru c’était la démocratie ici ?
« Pourquoi ce film existe-t-il ? » est une question centrale dans le processus de création.
Derrière les exécutifs cupides, les personnes inventives (le « talent » comme disent les amerloques) qui se retrouvent sur ses projets, eux, se posent une vraie question. Cela rend au final ces relectures absolument fascinantes à observer : comment refaire un film iconique en conservant ce qui en a fait un monument pour des générations entières, tout en apportant quelque chose de nouveau ? Et atteindre par-là même les générations suivantes ? On est dans un cas très particulier de remake, et son originalité découle uniquement du fait que l’on parle de Disney. Il faut bien l’admettre : faire une nouvelle version de Robocop n’a pas le même impact que de toucher à La Belle et La Bête, une œuvre charnière dans l’industrie du cinéma.
la Belle et la Bête nommé Meilleur Film aux Oscars
Rappelons qu’en 1991, le film d’animation fait sa première dans une version incomplète suite à beaucoup de soucis de production. Devant des pages de story-board même pas animées, une foule en délire acclame le résultat en standing ovation. Quelques mois plus tard, la Belle et la Bête devient le premier long métrage d’animation à être nommé dans la catégorie Meilleur Film aux Oscars ! Autrement dit, il a permis à l’inconscient imaginaire d’accepter que parfois peut-être, les dessins animés ne soient pas réservés aux enfants. Certains.es rient probablement de la simplicité du propos que je viens d’énoncer, mais dans l’opinion publique, c’est déjà un exploit ! Et d’autant plus aux É.-U., et à l’Académie, où les votants de la catégorie Meilleur Film d’Animation choisissent le long métrage que leurs progénitures ou petits-enfants ont préféré. Si vous cherchiez comment La Reine des Neiges avait pu battre, Le Vent se Lève de Miyazaki, vous avez là une explication tout ce qu’il y a de déprimant.
L’enjeu : trouver un équilibre entre hommage assumé et création novatrice
Le plus choquant dans l’histoire, c’est que jusque là… cette démarche a plutôt été une réussite. Le Livre de la Jungle s’est doté d’un réalisateur aguerri en la personne de Jon Favreau, qui en a profité pour en faire une œuvre au souffle épique et a insufflé une véritable mythologie au monde de la jungle. Cendrillon s’est fait l’honneur d’être réalisé par un Kenneth Branagh en grande forme, qui a réussi le tour de force de rendre son cadrage plus expressif et plus riche que celui du dessin animé. Dès qu’il s’est agi de réinventer, de modifier, c’est une réussite. Quand l’hommage envahit l’image, on est plus réservés. Dans Le Livre de la Jungle notamment, tous les passages qui veulent rappeler le dessin animé ne font que créer un grand écart absolument ignoble entre le style amené par Jon Favreau, plus proche du roman de Kipling, et le dessin animé.
Sur l’étagère, on a déjà un monument du cinéma
La Belle et la Bête rencontre évidemment le même problème, mais décuplé au centuple. Comment une nouvelle adaptation peut-elle réussir à exister dans un espace filmique aussi étroit ? Sur l’étagère, on a déjà un monument du cinéma d’animation, une comédie musicale sur scène à grand succès. Et l’on a, également, une série télévisée qui a servi de brouillon à Game of Thrones, une bouse ahurissante de Christophe Gans le faussaire francollywoodien, et bien évidemment le gigantesque Jean Cocteau.
C’est là qu’on peut faire confiance à Disney ; ils n’engagent que de bons réalisateurs, ou au moins des cinéastes qui ont une vraie patte d’auteur malgré des filmographies hasardeuses. Jon Favreau, Kenneth Branagh, et bientôt Guy Richie pour Aladdin ( celle/eux qui n’étaient pas au courant, prenez une pause pour respirer, je sais que ça fait un choc, mais en fait c’est plutôt génial quand on y pense)… Pour le film qui est un pilier fondateur de l’âge d’or de Disney, il fallait choisir un réalisateur de talent !
Donc, là c’est Bill Condon. Un type dont les derniers faits d’armes sont les deux volets conclusifs de la saga Twilight.
Partez pas ! En vrai, il a fait un super film ce type ! En 1998.
Il y a 19 ans.
J’ai le droit de placer un ptit « mdr » ici ?
L’échec majeur du film de 2017 : sa réalisation
Oui, vous vous en doutiez, en l’annonçant comme ça, je n’allais pas forcément dire du bien de son boulot. Histoire d’écrire enfin quelque chose sur le film et en une phrase : sa première heure est infecte, la deuxième est géniale. Et un des défauts majeurs de la première heure, c’est une mise en scène absolument ignoble, catastrophique, et à la limite de l’insulte quand on connaît l’esthétisme du dessin animé qu’il est censé adapter.
Certes, les scènes n’ont aucun rythme, les acteurs soient trop souvent mal dirigés et les choix de mouvements et de cadrages soient d’une banalité affligeante. Mais il faut quand même dire un mot sur le fait que c’est ultra super moche. Mais alors vraiment papier peint à fleurs de la maison des années 70 achetée sur le bon coin moche !! Tout est recouvert d’un vernis numérique tellement lisse, tellement huileux qu’on ne comprend pas comment les personnages font pour ne pas se péter la gueule en permanence. Prenez Lumière, le superbe rôle français qui est logiquement doublé par l’écossais Ewan Mc Gregor (on pardonne, il est brillant). Son esthétique dans le dessin animé est bien plus qu’un symbole ! C’est une merveilleuse d’expressivité, dans la moindre de ses courbes et surtout dans ses sourcils. Les plus français du cinéma depuis Maurice Chevalier, c’est dire ! Dans le film live de 2017… bah c’est moche. Pire, ce n’est pas mémorable. C’est bien simple, je possède actuellement un Lumière grandeur nature version 1991 sur mon étagère. Si l’on m’offrait la nouvelle figurine de 2017, même si ce n’était que sur un pin’s ou un mini porte-clés, je ferais semblant d’être content pour ne pas offenser mon ami.e.. Puis je le jetterai à la tronche de quelqu’un qui supporte François Fillion.
le film est encore plus musical que l’original
Malgré ses limites évidentes, l’ambition de Bill Condon est colossale : il souhaite conjurer Cocteau et le conjuguer à la Disney. Et avec un bonus comédie musicale scénique en prime.
Concentrer toutes ces différences influences sans d’autres intentions plus cohérente, plus claire ou plus poussée mène tout droit à la catastrophe, c’est sûr. D’ailleurs quand on associe les termes conjurer, conjuguer et concentrer, on voit bien le dénominateur commun entre les trois.
Mais cela me permet d’indiquer un point intéressant : le film est encore plus musical que l’original. Des chansons de la version scénique (aussi composées par le géant Alan Menken) sont intégrées au film, et même dans les motifs musicaux on retrouve des passages connus, pour les fans hardcores. Cela a son charme, et donne une identité tout de même distincte à ce patchwork d’influences diverses et variées.
La réussite du film : son méchant
Je disais plus haut que la deuxième heure du film est géniale, et je le pense sincèrement. Bon, peut-être qu’une fois que l’on s’est habitué à la laideur de l’image et la médiocrité de la mise en scène, on en devient plus tolérant, mais tout de même : il y a de l’idée.
le problème Emma Watson
Et cela se révèle tout particulièrement dans ce qui reste le succès du film, le formidable Gaston. Oui parce que là, c’est vraiment un putain de méchant ! Ces agissements sont terribles dans le second acte du film, sans parler de l’attaque du château dans le dernier où l’on retrouve logiquement le dessin animé. Mais en plus sale, plus vicieux, plus bâtard. Luke Evans a tout le charme qui était nécessaire pour élever Gaston et en faire le méchant qu’il a toujours mérité d’être, et c’est tant mieux. Et son second, LeFou, ne fait que par contraste ajouter à son charme tout en ayant le sien. En un mot, merveilleux.
Bien sûr, il reste le problème Emma Watson, qui n’est que correcte en Belle, là où le rôle appelle à bien plus de grandeur dans toutes les gammes demandées. Mais c’est ce qui m’amène au point suivant…
Disney et le progressisme social : plus une tortue qu’une souris…
Il faut finalement penser Emma Watson plus comme une activiste féministe (parfois ethnocentriste) que comme une actrice à ce stade. Le rôle de Belle a toujours eu une forme progressiste, et là le script essaie de forcer le trait. À aucun moment ici on n’a l’impression d’un syndrome de Stockholm dans la relation avec la bête : non, on a plutôt le sentiment que Belle tombe amoureuse de la bibliothèque du château. En fait, la qualité majeure du film est son script, c’est indéniable ! Et il n’y a pas de surprise : il est écrit par Stephen Chbosky, qui est l’auteur du meilleur personnage écrit pour Emma dans The Perks of Being a Wallflower (Le Monde de Charlie), et de son premier rôle adulte à la personnalité féminine fortement engagée.
C’est finalement sur ces points que la relecture Disney en live action se démarque le plus : cette volonté de se réinventer en étant plus inclusif et plus moderne. Et du point de vue de l’héroïne, un véritable effort est réalisé pour développer le personnage et en faire une figure, un modèle au-delà de ce que proposait déjà la version de 1991.
Sauf qu’il y a assez de hic pour faire penser que le film a le hoquet.
(not so) GAY !
Le premier, c’est qu’intégrer des rôles de couleur partout c’est bien. Mais leur donner uniquement des personnages secondaires ou qui ne font que meubler (donc du doublage), ce n’est pas vraiment du progressisme. Le second, c’est bien évidemment ce dont tout le monde parle : le fameux premier personnage Disney officiellement gay.
Voici ma pensée : c’est du foutage de gueule pur et dur et sur toute la ligne. Et tout ça, c’est la faute du réalisateur qui a décidé de le divulguer à la presse. Premièrement, il n’aurait pas dû en parler parce que je vous jure ça correspond à UNE DEMI-SECONDE DE FILM sans dialogue. Lors de la première, cette petite suggestion a fait réagir quelques spectateurs à peine. Beaucoup (lisez : les conservateurs) n’auraient pas remarqué ce détail. Deuxièmement, parce que c’est précisément… un détail ! Un fragment ! Une broutille de rien de tout ! Appeler ça le premier personnage gay de Disney, c’est tout bonnement scandaleux. Dans le film, il n’y a absolument rien. Donc c’est de la publicité mensongère.
Le résultat est doublement négatif ici
Le résultat est doublement négatif ici : d’abord les concerné. e. s vont se sentir DEGOUTE.E.S par une représentation aussi minable et minime. Franchement, ce n’est pas en jouant sur la trope du meilleur ami amoureux sans le savoir et en accordant une fraction de seconde à une ambiguïté d’orientation sexuelle qui va vous faire gagner un prix Nobel les copains. Et ensuite… si vous n’en aviez pas fait tout un foin, chers messieurs de chez Disney, et bah peut-être que vous n’auriez pas eu à gérer tout un tas de problèmes. Comme, par exemple, de se voir refuser la sortie du film en Malaisie, une interdiction au moins de 16 ans en Russie et plein de soucis dans vos états de bouseux comme l’Alabama. (Je m’excuse pour toute personne habitant l’Alabama et n’étant pas un redneck).
Donc en résumé, ce n’est pas le plus réussi du processus, ce p’tit film. Malgré cela, aucune raison d’en douter il va rapporter un max de pognon, mais je peux vous dire qu’on attend beaucoup mieux pour les volets à venir. Et que très honnêtement, toute cette entreprise de réinvention est fascinante, et que je ne suis pas prêt d’arrêter d’en causer !
La Belle et la Bête, de Bill Condon, écrit par Stephen Chbosky. Musiques de Alan Menken. Avec Emma Watson, Dan Stevens, Luke Evans.