Chez Nous : Le Front National est un parti comme un autre

La polémique est sortie en moins de temps qu’il n’en faut à Jean-Jacques Bourdin pour dire « Bonjour Florian Philippot » dans sa matinale de BFM TV. « Odieux film de propagande électorale financée par le service public » !, « Entreprise de destruction d’un système dépassé » ! « Émules de Goebbels« , rajouta même le toujours aussi délicat et distingué Gilbert Collard. Sans même savoir de quoi aller parler exactement le film en question, les soldats du Rassemblement Bleu Marine ont fondu une durite comme un flocon de neige au soleil et se sont emparés de leur beau costume traditionnel de victime pour jacter, éructer les inepties dont on les sait coutumiers, de préférence avec des mots-valises dignes des meilleures spectacles de Jean Roucas. Haro sur le cinéma anti-patriote ! Rendez-nous nos comédies de beaufs sur les accents des Roms et les femmes avec un zizi !

une sorte de bingo du frontiste

Bon, il est vrai que Chez Nous s’avançait aussi bien dissimulé qu’une 205 tunée sur une nationale picarde. Avec des flammes sur le côté, un gros aileron et une figurine de Johnny qui remue la tête quand tu prends des dos d’âne, et tout. Une leader charismatique (et blonde), héritière du passé sulfureux du parti de son père, ripolinant sa xénophobie rance sous les traits d’un « rassemblement » pour la défense des travailleurs et de la patrie… La comparaison est poussée jusqu’au mimétisme, le bastion nordiste où se déroule le film porte le nom d’Hénart, très proche de celui du fief de Marine Le Pen, Hénin-Beaumont, où règne le très aimable et toujours galant Steeve Briois. Si l’on y rajoute le bar identitaire inspiré de la tristement fameuse Citadelle à Lille et l’évocation des grands traits communément associés à l’imaginaire de ces mêmes identitaires (obsession pour la boxe, l’autodéfense, le matériel, les postures et les coupes militaires), on obtient un long-métrage qui ressemble par moment une sorte de bingo du frontiste, communément appelé aussi « le jeu du FN ».

les ravages du capitalisme de masse avec un gros monstre qui s’appelle Sarkozilla.

C’est ce qui frappe évidemment en premier dans le film de Lucas Belvaux, son approche sans gants d’un parti qu’il ne peut expressément pas nommer sans risquer de se prendre un procès pour infraction de propriété intellectuelle. Il en ressort un premier abord bizarre un peu balourd, comme quand on jouait sur les vieux épisodes de Pro Evolution Soccer avec l’équipe de France de Zedane ou le Brésil de Roberto Larcos. On sait pertinemment qu’on parle du Parti-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom mais il faut quand même se fader les circonvolutions terminologiques dignes d’un conte de fées inventé par ton tonton communiste (j’en ai jamais eu, j’extrapole) qui t’expliquait les ravages du capitalisme de masse avec un gros monstre qui s’appelle Sarkozilla.

Un peu pataud pour certains dans son approche, Chez nous se rapproche en quelque sorte du précédent effort de son réalisateur, le magnifique mélo Pas son genre. Solidement ancré les deux pieds dans les clichés (le prof de philo parisienne, la coiffeuse arrageoise), Lucas Belvaux tirait de ses personnages une émotion de la petite touche jamais misérabiliste. L’essentiel, c’est qu’on accepte que l’approche brute de décoffrage puisse aller de pair avec un sens réel de la sensibilité. Chez nous, bien qu’abordant un virage radicalement différent, n’en manque pas non plus.

Chez Nous n’est pas un grand film politique

Certes, Chez nous s’égare un peu dans des sous-intrigues survolées par manque de temps (l’ado de la meilleure amie et son blog conspi) au risque de flirter par moments avec le reportage d’Enquête d’action. Mais il n’en demeure pas moins que sa mécanique d’analyse du basculement du vote ouvrier populaire reste assez juste, surtout dans sa façon de mettre en images sa répercussion sur le regard des autres. La méfiance, la confrontation violente avec la pensée communiste qui a façonné l’électorat de ses régions, le déliement des langues et des haines… Chez Nous n’est pas un grand film politique, mais illustre bien cette nouvelle adhésion aux idéaux du FN, celle née autour des discussions avinées lors des repas de famille et des chroniques d’Eric Zemmour sur le trajet du boulot. Et illustre aussi la désillusion des candidats manipulés par un parti qui ne les informe même pas du projet qu’ils défendent, juste là pour sourire à la caméra, un phénomène loin d’être isolé.

la toujours impeccable Émilie Dequenne.

La véritable grande idée du film, c’est bien évidemment de faire incarner la nouvelle tête de gondole de l’extrême-droite locale par la toujours impeccable Émilie Dequenne. Elle, l’étiquetée des Dardenne (ces deux fils d’un résistant coco), les chantres du cinéma social qui ont plus que quiconque mis en image le désœuvrement social des grands bassins miniers et industriels du Nord et de la Belgique. Elle, la parfaite femme moyenne par excellence, jamais aussi forte que lorsqu’elle se frotte à des personnages abrasifs dans leur réalité, fières dans leur misère et misérables dans leur grandeur. Elle enfin, capable d’incarner, sans mièvrerieni mépris, la femme du peuple, la mère de famille aimante à qui on ne prêtera jamais une mauvaise pensée, juste prisonnière de sa classe et de son statut et qui se laisse berner par les fausses solutions à un problème très réel.

quelque chose qui rend Chez nous honnête, à défaut d’être brillant.

Chez Nous est avant tout une ode au jeu de son actrice, mais pas uniquement. Il montre aussi ce que peut être la noblesse de l’engagement politique, y compris dans un parti comme le Front national. Quasiment présenté comme un acte féministe, cet engagement devient le point de basculement d’une émancipation personnelle, d’un combat sincère d’une femme qui pense qu’on lui laisse enfin le pouvoir de changer les choses et de se faire entendre pour elle-même. Il y a dans cette démarche aussi sincère qu’au fond assez naïve, qui s’écrase sur la réalité du fonctionnement des appareils politiques, quelque chose qui rend Chez nous honnête, à défaut d’être brillant.

Il est ridicule pour un militant frontiste de considérer Chez Nous comme un instrument de PROPAGANDE DES MERDIAS ISLAMOGAUCHIASSES À LA SOLDE DES SODOMITES DE BRUXELLES. Au moins aussi ridicule que de considérer la très bonne série Baron noir comme une odieuse conspiration de droite pour se payer le parti socialiste. Au fond, les deux œuvres partagent les mêmes traits. On y voit des appareils politiques verrouillés à triple tour, vérolés par leur communication, où les idéalistes se font broyer par les combines de l’ombre, où les cadavres dans les placards y sont enfermés à double tour par leurs fossoyeurs. Les hommes d’affaires véreux sont à Philippe Rickwaert (Kad Merad) ce que les militants du GUD, du Bloc identitaire et les milices néo-fascistes sont à Agnès Dorgelle. Et ce ne sont pas les idées qui provoquent la chute du château de cartes, mais bien la petitesse de ceux qui les incarnent.

le Front national « tel qu’il est », sans pour autant qu’on s’attarde trop sur justement ce « tel qu’il est »

L’un des grands éléments de langage que l’on a pu lire à propos de Chez Nous est qu’il présentait le Front national « tel qu’il est », sans pour autant qu’on s’attarde trop sur justement ce « tel qu’il est ». Car au fond, la véritable ambition de Chez nous, c’est de présenter cet avatar du FN… comme un parti comme les autres. Bien évidemment, les roquets qui entourent l’héritière de Montretout ont été prompts à dégainer une bonne vieille polémique stérile comme ils en ont l’habitude, relayés en masse par leur armée de Minions numériques. Le département marketing en charge de Chez nous s’en est à juste titre gaussé. Car difficile de ressortir du film sans se dire qu’on n’a pas déjà vu ces tambouilles de com et ce lessivage électoral ailleurs.

un énième avatar vicié dudit système

Au fond, c’est certainement ça qui devrait vraiment faire le plus criser le Front national : que Chez Nous nous rappelle dans sa petite cruauté que le porte-voix des antisystèmes n’est au fond, qu’un énième avatar vicié dudit système. Reste qu’à l’heure où la ligne politique « présentable » et axée sur le social du Front, celle incarnée par ce marathonien stakhanoviste des plateaux télé qu’est Florian Philippot, se laisse submerger par celle prônée par la nièce Le Pen (celle de Génération identitaire, des apôtres du Grand Remplacement et de la remigration, marchant main dans la main avec la Manif pour Tous et les cathos restés coincés en 1717), on se demanderait presque si le film de Lucas Belvaux n’arrive pas trop tard après la bataille.

Chez Nous, de Lucas Belvaux avec Emilie Dequenne, Catherine Jacob, André Dussollier. 1h57

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