L’Indomptée : Ou comment vous rendre nostalgique de votre terminale L

On rentre dans le vif de la compétition avec un très joli film sur l’Art avec un grand A, les femmes, le rêve et la puissance créatrice. Une oeuvre dense et drôle, qui oscille avec délice entre drame intimiste et immersion progressive vers le fantastique.

L’indomptée est le premier film de Caroline Deruas, scénariste de La Jalousie et Un été brûlant, deux films de son compagnon-réalisateur Philippe Garrel. Ce détail sur l’intimité de la jeune femme a son importance, car pour sa première œuvre, la réalisatrice a choisi de se livrer à une remarquable mise en abyme, en s’inspirant très largement de sa vie personnelle.

L’indomptée est le premier film de Caroline Deruas, scénariste de La Jalousie et Un été brûlant

L’histoire de L’indomptée se concentre sur le personnage de Camille (Clotilde Hesme), jeune écrivaine néophyte et prometteuse, sélectionnée pour être l’une des pensionnaires de la Villa Médicis à Rome, maison franco-italienne accueillant des artistes pendant un an. Elle est accompagnée par sa fille et par son mari (Tcheky Karyo), beaucoup plus âgé qu’elle, grand écrivain déjà reconnu. Or, très vite, l’équilibre du couple se brise dans cette Villa chargée de secrets. La rencontre de Camille avec une photographe magnétique, Axèle (Jenna Thiam), sera déterminante pour la jeune femme alors en panne d’inspiration, entre amitié, envie et source créatrice.

La survenance du fantastique dans un film sur le processus créatif n’est pas anodine

D’emblée, la mise en scène talentueuse de Caroline Deruas nous plonge dans les dédales de cette Villa, à la fois accueillante et menaçante, éternelle et pourtant sur le déclin. Et, comme dans un rêve, la cinéaste quitte doucement le réel pour nous emmener dans les jardins de la Villa suivre Axèle, lorsqu’à la tombée de la nuit, les statues et fantômes des anciens pensionnaires reprennent vie. Un peu comme si la Vénus d’Ille se retrouvait dans l’univers contemplatif de Sorrentino. La survenance du fantastique dans un film sur le processus créatif n’est pas anodine : « le seul réel dans l’art, c’est l’art », d’après Paul Valéry (quand on vous disait qu’on avait kiffé notre terminale L). Le superbe travail sur la couleur tantôt glaciale lorsque les statues s’humanisent, tantôt crépusculaire avec le personnage d’Axèle participe d’ailleurs au mystère de ce film « transgenre », et de manière plus générale, à la définition de ce qu’est une œuvre d’art.

« Le seul réel dans l’art, c’est l’art »

La Villa cristallise les doutes, mais aussi la complexité de la place de la femme-artiste, impeccablement rendue par le duo d’actrices (mention spéciale à la solaire Jenna Thiam). Dans les jardins de la Villa, les femmes ont du mal à s’imposer. Elles courent, boitent, se meurent comme si finalement elles n’y avaient pas leur place. Axèle est une femme profondément libre mais blessée, elle représente au départ tout ce que Camille n’est pas. Le sujet du livre de Camille se consacre d’ailleurs à la première femme pensionnaire de la Villa au XIXème siècle et à la difficulté qu’elle a eue de s’émanciper de la domination masculine, y compris dans le domaine artistique. D’après le personnage de l’écrivain (magnifique Tcheky Karyo, tout en nuances), persuadé que sa femme lui échappe à mesure qu’elle écrit, « les femmes n’ont pas la nécessité de créer ». Dans ce film, c’est finalement uniquement le personnage de Camille, femme, artiste et mère, qui arrivera à apprivoiser les secrets de cette Villa. L’homme quant à lui est la plupart du temps décrié : castrateur et malheureux avec la figure de l’écrivain, peureux et fuyant avec celle de l’homme marié, voleur bien qu’attachant avec le vieil italien.

Cette richesse dans le propos nous fera regretter un peu la chute du film, finalement assez consensuelle. Sans spoiler quoi que ce soit, on aurait aimé à la manière des Innocents de Jack Clayton, rester dans le doute entre réel, rêve et imaginaire, dans ce lieu où tout s’entremêle et où même la temporalité semble en suspens : les fantômes des anciens pensionnaires revenant hanter les nouveaux, les statues se faisant les confidentes inattendues et charnelles du chagrin des hommes, l’année de pensionnat passant bien malgré nous comme un éclair.

L’indomptée, de Caroline Deruas avec Jenna Thiam, Clotilde Hesme et Tcheky Kario.  Sortie le 1er Février 2017. 1h38.

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