Le Ciel Attendra, énième film prospectus pour les neuneus

Il faut du cran, pour s’infliger un énième film-prospectus sur l’embrigadement de gamins paumés par Daesh. Perso, je n’ai jamais eu aucun cran lorsqu’il s’est agi d’aller au cinéma. Sauf à Cannes, une fois, quand j’ai été voir un film russe de 1h50. Ça s’appelait Okhotnik, et passée la première heure de plans fixes sur des cochons dans une étable, j’ai décidé que je n’aurais plus jamais de cran.

MAIS là, pour Le Ciel Attendra, le film était diffusé dans la salle 1 de l’Omnia de Rouen, et j’avais d’excellents souvenirs de cet écran de cinéma : il fallait que j’y retourne, genre 15 ans après.

– Je vous laisse ici cette excuse pour quand vous voudrez faire semblant que vous ne voulez pas voir un film, mais qu’en fait, bon, ça vous intrigue quand même pas mal –

En tout cas, une fois installé et convaincu qu’en effet, c’est certainement la plus chouette salle du monde, il est plus facile de se laisser bercer par les images que de se barrer. Alors j’ai vu Le Ciel Attendra, auquel je décerne d’office le tant convoité « Prix Dzibz du film au titre le plus neuneu ». Mesdames et messieurs, applaudissements.

« Le Ciel Attendra », non mais ce titre, sérieux… On dirait un sermon d’une maman toute nase après que sa fille lui a sorti des propos du genre « j’irai au ciel en me faisant kamikaze ». « Oui ben écoute ma p’tiote, le ciel attendra, hein, d’abord t’as ton DM de maths à terminer. »

Bon, c’est l’histoire d’une gamine un peu relou, du genre à militer pour des causes justes mais un peu chiantes, que tu nommes déléguée pour qu’elle arrête de te casser les couilles avec ses collectes de stylos billes. Elle est un peu toute seule, elle a vite fait des potes mais pas de copain. Sa seule façon de pécho, c’est via Facebook. Un dénommé Mehdi, avec un lion sur son avatar l’accoste dans un moment de deuil (elle a perdu sa mamie) et, petit à petit, la prend dans les filets du complotisme, puis de la radicalisation.

C’est aussi l’histoire d’une autre demoiselle, brune, à qui la police en début de film annule par un assaut dans sa maison où elle priait pépouze la petite escapade qu’elle avait prévue en Syrie. Et c’est enfin l’histoire de Clotilde Courau, qui cherche sa fille, partie en Syrie, et pas revenue.

Ce sont des histoires qui se croisent et s’enchevêtrent, comme chez Inarritu, donc. Ecrites donc par des scénaristes dont on devine les « checks » fiers d’eux pour chaque trouvaille de recoupement.

« Bien joué, Edouard, le coup de la dame dont on découvre que c’est en fait la maman »,

« Oh, ce n’est rien, Marie-Hortense, à côté de ton magnifique retournement de situation final »

« Disons que nous sommes justes tous deux talentueux »

RIRES, puis check poitrines

« Edouard, tu ne penses pas que nous pourrions passer à l’étape supérieure, ensemble ? »

« Genre… »

« Genre écrire un film sur les consoles de jeu vidéo qui incitent à la violence. »

« Est-on vraiment prêts pour ça ? »

Bref. Dans mon siège bien rembourré de l’Omnia rouennais, je dévore ce film prospectus m’expliquant ce qu’il faut faire, puis ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on a un gamin basculant vers la radicalisation. Je note tout sur mon petit calepin, ça peut toujours servir, si un jour j’en ai marre de mon gosse et que je veux de manière subtile le faire partir loin loin loin.

Le tout, dois-je bien l’avouer, est plutôt malin et efficace, bien moins couillon en tout cas que Les Cowboys sorti l’an dernier.

Néanmoins, Le Ciel Attendra revêt le défaut de tous ces films, à savoir qu’il cherche à tout prix, non pas à raconter des histoires, mais à nous montrer des choses. Il n’y a aucune place à la fiction, à l’ellipse, au cinéma. Non, le film est un amas de vérités générales que l’on connaît déjà peu ou prou, mais qui se dressent devant nous sans que l’on ait le temps de les reconstruire nous-mêmes. De temps à autres, le film use et abuse des mêmes mécanismes de propagande que ceux qu’il s’évertue à diaboliser. Et c’est énervant.

Même si son propos est le plus souvent nuancé comme il doit l’être, Le Ciel Attendra a tout de même pas mal la gueule d’un film « je sais tout » à propos d’un sujet dont on ne sait en réalité pas grand-chose. Du factuel, si : Facebook comme vecteur principal d’embrigadement, le voile intégral comme potentiel détecteur de radicalisation et le complotisme comme première marche vers le djihadisme.

Tout ce mécanisme ainsi que sa montée en puissance sont bien montrés dans le film, mais tant martelés qu’il ne reste aucune place pour le reste. C’est un peu comme si l’on se disait qu’avec ces ingrédients, on en arrivait automatiquement à créer des terroristes.

Pourtant, seul le cinéma peut rendre compte de ces blancs, ces ingrédients mystérieux qui font franchir le pas d’une radicalisation quelle qu’elle soit. Nocturama, sorti il y a quelques semaines, avait l’intelligence de ne rien nous expliquer. De nous laisser regarder, réfléchir, comprendre qu’il n’y a pour le moment pas grand-chose à comprendre d’autre qu’il s’agit pour ces jeunes de donner un sens à leur vie. Dans une scène d’exposition interminable où chaque mouvement semble calculé, les terroristes de Bonello déambulent dans les métros parisiens. Ils savent où ils vont, mais pas nous. Ca s’appelle du cinéma. C’est un peu plus chiant sur le coup, mais après ça décante efficacement dans la tête.

Le Ciel Attendra, c’est certainement le haut de gamme des films prospectus. C’est bien joué, pas mal réalisé, écrit sans trop de gros sabots, mais ça manque tout de même cruellement de cinéma. De fait, c’est le genre de film contribuant à l’abêtissement général.

C’est un peu comme un discours d’un politicien un tantinet habile. Ca passe tout seul, pourvu que l’on ne se demande jamais si c’est pas un peu nase quand même. Et ça contribue finalement à l’annihilation de l’esprit critique, à l’avènement du pré-maché : bref, à tout ce qui favorise le déploiement de divers embrigadements.

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1 thought on “Le Ciel Attendra, énième film prospectus pour les neuneus

  1. C’est censé évoquer les questions propres à la radicalisation et il n’en est jamais question. Il s’agit davantage d’embrigadement, ce qui n’est pas du tout la même chose. Impossible de penser ces questions autrement qu’en prenant des victimes pour modèles !

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