Tout auteur, quel que soit le matériau qu’il manipule, se doit d’être honnête et sincère… Cela ne suffit pas pour créer une œuvre de qualité, mais il faut bien commencer quelque part.
Ce mois d’octobre commençait au Forum des Images une saison de projections endiablées, organisée par deux collectifs monstrueusement cool : Panic ! Cinema aka Yann Olejarz et Chroma aka la team de Karim Debbache. Et comme chez Cinématraque, nous sommes aussi monstrueusement cool, contrairement aux dires des fans de Xavier Dolan (coucou), nous y étions aussi.
Comment en parler après Chroma ?
Ce qui nous a motivés à couvrir cette soirée, c’est ce défi : que dire sur le nanar sorti en 1990 Troll 2 et son documentaire, qui n’ait déjà été dit par Karim, Gilles et Jérémy dans leur chronique vidéo ? Il est inutile de vous raconter à quel point le film est hilarant, mauvais, catastrophique, mal joué mal monté, musicalement pété et scénaristiquement extraterrestre. Pas besoin de vous raconter l’histoire de cette famille qui part en vacances dans la ville de Nilbog, et se retrouve attaquée par des Goblins végétariens qui souhaitent les transformer en plante pour les manger.
C’est en me posant cette question durant la projection que j’ai compris que ne m’y prenait pas de la bonne manière :
il nous est en fait impossible d’en parler en ignorant Chroma.
Parce que l’émission a rendu accessible à un nouveau public un film de niche, elle a imposé dessus une lecture qui est impossible à séparer de la projection. Nous sommes dans la célébration comique du nanar. Ainsi, avant même que la séance commence l’équipe de Panic ! Cinéma, qui a franchement de bonnes idées, s’est servi de la salle pour réaliser une séance de spiritisme et invoquer le grand-père du film. Dès lors, le film que nous avons vu n’est pas seulement le Troll 2 de Claudio Fragasso, c’est tout autant celui de Karim Debbache, Gilles Stella et Jérémy Morvan. Vous pensez peut-être que j’exagère ? Notez pourtant que certains éléments du film ont suscité des réactions du public, faisant écho à la vidéo de Chroma. Comme ce moment où le jeune plaque la fille dans la forêt par exemple, ou lors des plans sur le masque de gobelin préféré de Karim Debbache, nous spectateurs ne réagissions pas seulement à Troll 2.
Ce faisant, nous ne pourrons jamais être dans la situation d’un spectateur lambda, qui serait tombé sur cette œuvre filmique par hasard. Nous sommes face à l’image avec une intention.
Une dimension personnelle
Dès lors que nous avons compris cela, un paradoxe délicieux s’ouvre à nous. Le nanar, dans son aspect communicatif (c’est-à-dire qui fonctionne par stimulation du groupe de potes), est en fait en premier lieu personnel. Il faut d’abord mentionner que le réalisateur de Troll 2 est loin d’être un amateur, et qu’il sait parfaitement ce qu’il fait. Personne d’autre ne comprend ce qu’il fait. En revanche notre besoin de déchiffrer, de saisir ce qui a bien pu se passer pour qu’un tel monument de laideur sublime vienne au jour, nous pousse forcément à associer le film à des personnes. En l’occurence : à son réalisateur, sa scénariste, aux acteurs, au compositeur… et à Karim Debbache. C’est là que la beauté cinématographique naît.
Le documentaire Best Worst Movie
Inutile donc de justifier outre mesure le choix qu’on fait les équipes de Panic ! Cinéma et Chroma d’associer au film le documentaire Best Worst Movie. Réalisé 16 ans après par l’enfant devenu grand qui jouait le héros du film, il s’agit d’une étude de la « cultification » (c’est un mot si je veux) de Troll 2. Il permet aux spectateurs abasourdis que nous sommes de découvrir les personnes derrière le film, ainsi que de rappeler assez violemment à tous que la réalité sera toujours plus dingue que la fiction. Et même absolument pétée en fait.
le film est excellent et comparable à Casablanca
Presque tous les acteurs du film apparaissent dans le documentaire. L’épicier fou qui dans la vraie vie est sorti d’un hôpital psychiatrique pour aller sur le tournage, la mère qui pense que le film est excellent et comparable à Casablanca, mais qui a arrêté sa carrière pour s’occuper de sa vieille mère malade, le vieux grand-père qui est ravi d’avoir pu jouer dans un « mauvais film », la fille qui est toujours comédienne, mais a retiré Troll 2 de son CV, car il lui porte la poisse…
Mais surtout, il y a George Hardy, l’homme qui jouait le père. Le documentaire, sous bien des aspects, parle de lui. Dentiste de profession, il est le type le plus apprécié de sa ville. Toujours souriant, toujours un mot gentil, c’est une sorte de stéréotype vivant de l’américain des publicités des années 50. Et lorsqu’il découvre la sous-culture des fans de Troll 2, une page un peu honteuse de sa vie jusque là, il plonge tête la première dans sa minute de célébrité. On le verra refaire sa réplique culte (« you can’t piss on hospitality! ») des centaines de fois, aller à toutes les projections et recruter les autres membres du casting, jusqu’au réalisateur aigri et méprisant qui ne supporte pas de voir les gens rire de ce qui était pour lui très sérieux.
le montage est génial
Je ne veux pas trop en dévoiler sur le documentaire, parce qu’il mérite d’être vu et non raconté. Sachez simplement qu’il est l’équivalent de tout ce que vous avez pu voir de tordant, cocasse, invraisemblable, démentiel, absurde, émouvant, triste, démoralisant, dans The Office. Sauf que là, c’est la vraie vie. Certes, le montage est génial et le film a une trame narrative qui ne fait pas de lui un reportage, mais… c’est du palpable, et ça vous frappe en pleine face comme si on vous avait lancé les VHS de Troll 2 dans la figure. Je vous assure que voir George Hardy réaliser lors d’une convention que tout ce culte autour de lui est absolument insignifiant, ça vous remue les entrailles.
Best Worst Movie retrace l’humain derrière le monstre en plastique, et nous permet de nous éviter de nous moquer. Le rire devant Troll 2 est pur. Il n’est pas mesquin, parce que nous ne pouvons pas décemment nous attaquer à l’œuvre en connaissant ses dessous. Nous y associons forcément des personnes, que nous avons désormais l’impression de connaître, des personnes fragiles, comme nous, comme les membres de Panic ! Cinéma, et de Chroma.
Il fut difficile en effet durant la séance, de ne pas avoir une pensée pour Karim Debbache. L’homme qui, osons le dire a permis de remplir la salle, n’est pas venu, son grand-père venait de décéder. C’est terriblement triste, bien évidemment, et se retrouver alors devant Troll 2, avec le papi fantomatique, devient encore plus impossible à dissocier de la personne de Debbache. Moment grave, qui n’a pas empêché François Descraques, parrain de la soirée, de rebondir sur un lapsus de Yann Olejarz en annonçant, sur le ton de la blague, que son frère (Raphaël) n’était pas là parce que son grand-père aussi était mort. Voilà, c’est un peu con, mais dans cette petite anecdote on retrouve toute la substance de la soirée : de l’individuel, de l’humour, de la vitalité, de la vie. Bref, du cinéma quoi.