Tour de France de Rachid Djaïdani

Mon Gégé est fatigué. Il boîte, éructe, s’asphyxie : « J’ai le souffle de Michel Piccoli avec vingt ans de moins ». On a peine à le voir demander une chaise pour présenter son dernier film à la Quinzaine des Réalisateurs, parce qu’il n’arrive bientôt plus à tenir debout. Entre deux blagues potaches, il déstabilise son auditoire et se fait plus grave quand il avoue être « fatigué de vivre et effrayé de mourir ». Le « monstre sacré » du cinéma aurait-il baissé les bras ?

Depuis quelques années maintenant, Gégé a reconstitué à travers ses rôles sa propre trilogie autour des liens familiaux en perdition. Dans Valley of Love, le film le plus douloureusement autobiographique, il partait avec Isabelle Huppert aux Etats Unis, sur les traces de leur fils disparu. Dans la fable bucolique Saint Amour, il parvenait à renouer les liens avec un fils qu’il ne comprenait plus. Dans Tour de France, Gégé devient plus humaniste en s’ouvrant et en s’attachant à un jeune ami de son fils, alors que ce dernier a coupé les ponts depuis bien longtemps.

Sur ces trois road-movies cherchant non pas la femme mais le fils, Tour de France est à l’évidence celui qui convainc le moins, bien que bourré de bonnes intentions. Suite à un clash violent et franchement bizarre avec un autre rappeur, le talentueux Far’Hook doit quitter Paris et se faire oublier avant de regagner Marseille pour donner un concert. Son producteur Bilal lui propose de prendre sa place et d’accompagner son père Serge-Gégé dans un tour des ports de France. Problème pour Serge : Far’Hook est musulman, et c’est précisément l’Islam qui d’après lui a éloigné de lui son fils Matthias… qui n’est autre que Bilal.

Cette histoire un peu bancale mais loin d’être inintéressante sert bien entendu de prétexte pour confronter deux univers totalement différents : à mon extrême droite, Serge soit l’archétype même du Français prolo bourru, qui confond Arabe et Bédouin et ne jure que par le passé. A ma gauche, un jeune rappeur intelligent, français et arabe « Mais qu’est-ce que vous avez à toujours vouloir tout ramener à mes origines à la fin ? Est-ce que je vous demande ce que vous faisiez en 1940, moi ?».  Entre scènes de rap et complicité peu à peu naissante entre les deux extrêmes, Tour de France se veut être une croisade contre l’intolérance et les clichés, et une ode à la diversité. Parce que c’est ça la France, comme dans la chanson de Marc Lavoine.

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Le problème de cette jolie intention se traduit essentiellement par un manque de finesse côté réalisation. Rachid Djaïdani graisse presque tout le temps le trait de ses deux personnages ou oublie au contraire complètement Bilal, personnage pourtant clé dans l’existence du binôme. Gégé insiste lourdement sur « La France, tu vois cette Belle France » de Vernet et des peintres du XVIII ème, quand il s’adresse, condescendant, à Far’Hook… ce qui n’empêchera pas ce dernier de lui rétorquer un peu plus tard le poème de L’Albatros de Baudelaire. En 1h35, Rachid Djaïdani s’attache à démontrer au spectateur de manière beaucoup trop didactique et « politiquement correcte » que tout n’est jamais ni noir ni blanc… ni arabe, vrai citoyen de seconde zone (« la faute à qui si on a des barbus, hein » hurle Far-Hook). Même le sempiternel contrôle de police – délit de faciès ne nous est pas épargné, et c’est d’ailleurs l’élément catalyseur qui fera comprendre à ce bêta de Serge que non, c’est pas facile d’être Français et Arabe encore aujourd’hui dans notre pays. Certaines scènes restent cependant mémorables, lorsque le réalisateur se laisse aller à un peu d’audace dans les dialogues et surtout grâce à la musique. Les solos de rap de Far’Hook, tous très justes et qui seront adoubés en dernier lieu par le rappeur Mos Def (« Toi Paris mon amour, Paris mon enfer, toi qui as emmuré ton cœur dans de grands ensembles en pierre »), nous font regretter paradoxalement le manque d’endurance de Rachid Djaïdani à restituer cette verve et cette ferveur tout au long du film.

Reste Gégé, immense comme à son habitude. Même de dos, fredonnant du Reggiani, il impressionne. « J’adore le rap. J’adore les voyous », a-t-il dit pour présenter son film. Même s’il cabotine par moment (eu égard à sa version rap de la Marseillaise, un peu gênante), le roc, le cap, la péninsule du cinéma français est bien là, prêt à tout pour changer les choses. Relève toi, mon Gégé. Le Roi n’est pas mort, vive le Roi des voyous.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
[usr 2.5]

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Un film de Rachid Djaïdani, avec Gérard Depardieu, Sadek, Louise Grinberg

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