Le long et intense marathon promotionnel touche enfin à sa fin : dans une atmosphère de délire généralisé, Star Wars connaît enfin sa suite. On avait laissé nos héros, selon le point de vue que l’on adopte, en train de festoyer dans le village Ewok d’Endor, ou sur Tatooine, là où tout avait commencé, aux origines de Luke Skywalker. Deux souvenirs émus, bien qu’empreints de sentiments différents, dont on avait longtemps pensé qu’ils resteraient les derniers. Deux images dont on sait désormais, une fois l’obligatoire rewatch des six épisodes précédents terminé, qu’elles ne seront plus les points finaux de l’histoire entamée par George Lucas.
Trente-huit ans après Un nouvel espoir, dix ans après La revanche des Sith, la planète entière était prête à remonter à bord du Faucon Millénium et à retrouver Han Solo, Leia Organa, Chewbacca, C3PO, R2D2 et leurs nouveaux amis. Même en essayant de dépassionner le débat à l’excès, difficile d’aborder ce septième Star Wars sans se délester de ses a priori.
La Menace Fantôme
Évacuons d’emblée certains points qui relèveraient de l’approche critique la plus stricte : ce Réveil de la Force ne provoque jamais le coup de poing dans l’estomac que représente pour beaucoup le premier visionnage de la trilogie originale, et souffre essentiellement de son trop-plein narratif, qui se répercute sur une partie des sous-intrigues. Copie un peu légère de l’Étoile noire et de l’Étoile de la mort, la base Starkiller est drastiquement sous-exploitée. Vendue comme infiniment supérieure à ses aînées (que ce soit en taille ou en puissance de feu, on parle d’une base qui aspire des soleils pour détruire des galaxies entières), elle n’atteint jamais le potentiel iconique auquel elle devrait être promise.
L’anéantissement de la République, véritable génocide interplanétaire, est expédié en quelques plans tandis que la destruction de la base s’entremêle avec les autres storylines pour un résultat parfois brouillon. On sent bien la volonté de créer le parallèle avec la destruction d’Alderaan, mais l’exécution, moyenne ne suit pas. Et aussi cruel que cela peut coûter de le dire, même s’il faudra sans doute d’autres visionnages pour se faire une idée définitive sur la question, John Williams est en petite forme sur cet opus qui ne nous offre jamais LE thème intemporel, immédiat, évident, baignant dans un entre-deux bizarre comme évitant constamment la confrontation avec les BO des précédentes trilogies.
L’Attaque des Clones
Qu’on se le dise, le film est rempli de petits défauts assez emblématiques de l’ampleur de la tâche à laquelle était confrontés J. J. Abrams, Kathleen Kennedy, Michael Arndt et tous ceux impliqués sur la genèse de ce Star Wars septième du nom. Car ce Réveil de la Force, de par ce qu’il est et incarne auprès du fandom Star Wars, était par essence condamné à courir plusieurs lièvres à la fois : préserver l’héritage des personnages adorés de la trilogie originale, racheter la franchise abîmée par une prélogie qui a malmené l’oeuvre de Lucas, et préparer l’entrée de Star Wars dans une nouvelle ère non seulement créative (nouveaux réalisateurs, nouvelles stars) et industrielle (entrée dans le giron Disney, annualisation des opus et des spin-offs).
Alors le film adopte une posture dans l’ensemble défensive, essayant de se réfugier dans des figures, des environnements, des péripéties déjà connues. En cela, il est un objet filmique volontiers frustrant, d’autant plus qu’il se présente comme l’opus du grand retour de la franchise. Ce Réveil de la Force devait être l’alpha, l’oméga, et plus encore de choses à la fois. Il n’est rien de tout ça. Acceptant parfaitement le caractère foncièrement déceptif du film (était-il humainement possible de retranscrire en deux heures et quart tout ce qu’en attendaient les fans?), J. J. Abrams livre une œuvre d’introduction (ou de réintroduction), qui joue la carte de la sécurité. Pas la technique la plus risquée évidemment, mais une qui fait particulièrement sens vue l’ampleur de ce à quoi Le Réveil de la Force devait se confronter.
La revanche des Sith
Malgré ses aspects de redite, ce Réveil de la Force introduit une nouvelle donne qui, quant à elle, mérite qu’on s’y attarde dans le détail. Plus intéressant est notamment le traitement que reçoit ce Premier Ordre, nouvelle organisation reprenant le flambeau de l’Empire, ses couleurs et sa philosophie. Sauf que le Premier Ordre est ici devenu une organisation clandestine, retranchée sur sa base, et qui entend reconquérir les terres qu’il considère comme les siennes. L’organisation politiquement enraciné, reposant sur l’instauration d’un régime totalitaire, a laissé la place à une armée sans terre, radicalisée. Les nazis d’hier sont devenus les terroristes d’aujourd’hui.
Dans l’ensemble, la nouvelle donne impliquée par le Premier Ordre est une des réussites du film, si l’on excepte ce Leader Suprême Snoke au design étrangement en décalage avec les standards de la saga et qui ressemblerait plus à une créature échappée du Seigneur des anneaux. Ici encore, le sentiment de déjà-vu se fait sentir avec ce tandem formé par le général Hux et Kylo Ren, dont la dynamique essaie de faire ressurgir du passé le souvenir du Moff Tarkin et de Vador tel qu’à l’œuvre dans l’opus original.
Sauf qu’ici, la dynamique se renverse : Hux est présenté comme un fou, un possédé, un ayatollah insensible et inhumain, n’existant que par sa soif de destruction et comme le maillon fort et dur tandis que Kylo n’est, à sa façon, presque pas encore un Sith. Jusqu’ici, Star Wars nous avait davantage habitué à nous montrer des Jedi tentés par le côté obscur de la Force que des Sith tentés par un retour vers la lumière. Un Sith au costume en apparence trop lourd pour lui, trop humain, qui doute, se dévoile, avec un jeu particulièrement réussi sur son rapport au costume. Un Sith qui, au final, ne peut s’affirmer comme tel qu’en accomplissant un acte charnière retrouvant toute sa cohérence quand on le contextualise dans l’histoire de la saga.
Un nouvel espoir
Kylo Ren est l’incarnation même de la nouvelle génération et de sa prise de pouvoir sur la saga. Oui, certes, le film est une ode à Han Solo, ré-érige Luke Skywalker en icône, réaffirme la finesse du caractère de Leia. Mais aucun d’entre eux n’est le cœur du film, qui parvient à faire exister sa nouvelle génération grâce à un travail de characterization des plus efficaces. Le badass Poe Dameron, l’inquiet Finn et l’intrépide (et féministe!) Rey, tous prennent corps et substance en quelques scènes, et suscitent immédiatement l’affection. Ils sont la principale réussite du film, à l’image également de l’irrésistible BB-8 qui justifie pleinement l’enthousiasme démesuré dont les fans ont fait preuve à son égard.
Difficile d’imaginer ce Réveil de la Force autrement que comme une note d’intention et une main tendue de la part de J. J. Abrams, qui souligne perpétuellement sa connaissance et son assimilation des codes de Star Wars. C’est aussi ce qui définit profondément ce Réveil de la Force : c’est un film qui réapprend à être Star Wars. À nous replacer aux manettes du Faucon Millénium, à rire devant un Star Wars, à nous dépayser, à nous émerveiller devant l’étendue des pouvoirs de la Force, bref, à vivre ce dont une bonne partie de la prélogie nous avait privé. Un choix tout sauf étonnant de la part d’Abrams, qui opère une nouvelle fois une transition méta (parfois un peu trop méta pour justifier certains deus ex machina) pour se réapproprier en douceur un héritage, qu’il s’agisse d’un univers (Star Trek) ou d’un artiste (Super 8).
Le Réveil de la Force n’est que le premier volet d’une nouvelle trilogie, un volet d’exposition qui choisit de mettre en valeur ses héros au détriment de personnages secondaires sciemment sacrifiés (Phasma, et dans une moindre mesure Poe Dameron) et amenés à prendre leur envol sous l’aile de Rian Johnson, puis de Colin Trevorrow, réalisateurs des épisodes VIII et IX. Dès lors, on ne peut que se dire que l’appréciation que l’on se fait du Réveil de la Force et aussi lacunaire que susceptible d’évoluer en regard de ce que proposeront les prochains volets. Et le fait est qu’en l’état, on a forcément très envie de les voir.
L’Empire contre-attaque
Si l’on résume de manière appuyée ce septième épisode à un remake d’Un nouvel espoir, il est aussi une manière de tuer le père, à plusieurs niveaux. Dans le film certes, mais aussi dans le rapport qu’il entretient avec l’héritage de George Lucas. On peut comprendre que le géniteur de la saga soit resté discret dans ses effusions tant ce Réveil de la Force se montre sélectif dans ses références et (plus ou moins) indirectement critique envers la prélogie. Toutes les références du film renvoient à la trilogie originale : le film débute sur Tatooine/Jakku avec un droïde transportant des plans dans le désert, les rebelles doivent détruire une Étoile noire, un(e) jeune chevalier Jedi perd sa figure tutélaire avant de rencontrer celui qui se chargera de son apprentissage…
La prélogie, elle, reste lointaine, très lointaine, comme reléguée au rang d’oeuvre parallèle de l’univers étendu. L’ordre du conseil des Jedi est devenu un mythe, une légende, une histoire dont personne ne sait plus réellement si elle est vraie ou fausse. La Force devient un tout symbiotique que seuls les élus peuvent ressentir, et plus question de midichloriens cette fois-ci. Et les Stormtroopers ne sont plus des clones usinés à la chaîne mais des jeunes enfants embrigadés dont on lave le cerveau pour faire des machines à tuer (autre signe de l’évolution politique à l’oeuvre entre l’Empire et le Premier Ordre).
Le choix de reprendre le cours normal de la chronologie des événements permettait cette mise à distance, et Abrams ne s’en est pas privé. Ce dernier accomplit en réalité l’opus qui permet d’exorciser les années de frustration accumulées contre ce que Lucas à fait de son œuvre matricielle. La reprise en main d’un fan pour les fans, ou en tout cas une ambition un peu plus évoluée que la machine à cash opportuniste que brocardent certains, tout heureux de tomber à bras raccourcis sur l’empire du mal qu’est Disney.
Le Retour du Jedi
Le Réveil de la Force n’est pas qu’un film de fan-service, c’est une œuvre qui rebat les cartes et remet l’église au centre du village en rappelant quel est le cœur irréductible de Star Wars : la Force, le sabre, le Faucon Millénium… tous totémisés et transmetteurs de mémoire, à l’image de la jolie scène du coffre de Maz Kanata. C’est une œuvre de déblaiement, d’épuration, qui peut autant accueillir les néophytes que les fans de la première heure, pour peu qu’ils acceptent qu’Abrams prenne son temps pour faire ses preuves. Tout compte fait, ce temps du fan service n’était-il pas au final nécessaire ?
L’idée qui porte le projet d’Abrams, c’est que c’est en nous réaccoutumant à des images bien connues que nous apprendrons à apprivoiser les nouvelles. Cette transition, qui s’opère tout en douceur, parvient à faire naître un nouveau monde en même temps qu’il orchestre le crépuscule d’un ancien. Plutôt que de prendre le pouvoir et d’imposer ses nouveaux héros, Abrams les développe à côté des anciens pour former un trait d’union, comme les deux soleils qui brillent avec autant de force dans le ciel de Tatooine, avant de leur donner leur propre envol.
Au final, les dernières images du Réveil de la Force nous poussent à imaginer que la transition est belle et bien accomplie. Battant encore plus en brèche le topos de la « damsel in distress » que ne le faisait la première trilogie, Star Wars VII se clôt sur des images hybrides, des face-à-face, des associations inédites que J. J. Abrams et son successeur Rian Johnson vont pouvoir creuser à leur guise. Nous laissant à mi-chemin entre la douceur rassurante des retrouvailles (l’apprentissage de Rey par Luke sera-t-il le même que celui de Luke par Yoda?) et le frisson tressaillant du chemin qui s’ouvre devant nous.
Ce Star Wars : le Réveil de la Force est-il parfait ? Absolument pas. Confronté à la nécessité de rassurer tout le monde, J. J. Abrams livre un film qui s’attache avant tout à ne froisser personne et à réhabiliter un projet qui devait composer avec son lot de réticences. Soucieux de ne pas s’écarter du canon narratif et esthétique élaboré par Lucas, tout en s’éloignant de ses travers, Le réveil de la Force est avant tout un film de transitions, qui cherche à remettre tous ses éléments en place pour éviter une sortie de route rédhibitoire. Une approche prudente, mais qui transpire d’un amour et d’un respect sincère pour une mythologie que le film ne cesse de conforter en l’enrichissant. Il y a beaucoup à dire et analyser sur ce qui de toute manière, ne pouvait synthétiser en deux heures et quart les préoccupations de tous. Beaucoup trop en tout cas pour mettre hâtivement Le réveil de la Force dans le même panier que certains de ses prédécesseurs.
Star Wars : le Réveil de la Force de J. J. Abrams, États-Unis, 2015, 2h15