S’apprêtant à être diffusés les 6, 13 et 20 juillet 2015 sur Arte, les trois épisodes de La Minute Vieille qui mettent en scène Claude Brasseur et Michel Galabru (ainsi que Michel Robin) ont été tournés il y a près de 18 mois, durant une mémorable journée – studieuse mais détendue – que nous vous relatons ici.
« C’est la première fois qu’un metteur en scène me dit de ne surtout pas apprendre mon texte », confie Claude Brasseur à l’équipe technique qui l’entoure. Il est vrai que l’atmosphère qui règne en cette matinée de février 2014 sur un des plateaux des studios Arte de Vanves possède quelque chose d’inhabituel : aujourd’hui se tournent en effet les trois épisodes « avec guest stars masculines » de la saison 4 de La Minute Vieille, pour lesquels Michel Robin, Claude Brasseur et Michel Galabru succèdent à Anémone, Bernadette Lafont et Judith Magre, invitées vedettes de la précédente saison de ce programme court où des personnes âgées racontent des blagues graveleuses confortablement assises dans leur salon.
L’expérience semble en tout cas aussi intimidante pour les jeunes techniciens que pour ces acteurs chevronnés qui totalisent à eux trois près de 400 longs métrages (et encore plus de pièces de théâtre) mais découvrent là une nouvelle méthode de travail. Alors que la caméra tourne, le réalisateur et scénariste Fabrice Maruca (créateur de cette série comique diffusée chaque été sur Arte depuis 2012) lit en effet à haute voix – et avec un débit rapide – la longue blague qui constitue le cœur de chaque épisode, afin que les comédiens – qui tournent en solitaire, sans interaction avec leurs collègues – reprennent les phrases au fur et à mesure. « Il faut que les trois acteurs ou actrices d’une blague jouent à peu près de la même manière, pour que le rythme soit cohérent au montage. Donc je donne le ton en lisant la blague et ils répètent. En quelque sorte c’est moi qui joue », nous explique Fabrice Maruca. « Et puis c’est généralement très compliqué d’apprendre une blague par cœur, surtout qu’on improvise pas mal sur le plateau. Je change des mots ou en supprime d’autres. Il est donc inutile que les comédiens mémorisent le texte avant le tournage ».
« Arrive une bombasse avec une poitrine de fou »
Si chaque acteur énonce donc chaque blague en intégralité, le montage se chargera au final d’attribuer telle ou telle phrase à tel ou tel comédien. Au programme aujourd’hui : une blague sur un numéro de cirque à caractère sexuel, une autre mettant en scène une jeune prostituée et sa collègue plus âgée, puis une troisième histoire drôle au sujet d’un curé confronté aux étranges mœurs de ses paroissiens. « Pour les comédiens exceptionnels que sont Michel Robin, Claude Brasseur et Michel Galabru, je voulais quand même marquer le coup avec des blagues assez osées et pas trop connues de préférence. Ils ont tous accepté sans problème. Je précise d’ailleurs que je n’ai jamais prétendu inventer de blague, j’utilise des blagues du domaine public que beaucoup connaissent déjà, et je les retravaille en profondeur, en changeant parfois la fin. »
Les répliques salaces et les noms d’oiseaux s’enchaînent à une telle vitesse que Claude Brasseur finit par avouer malicieusement sa honte de proférer de telles grossièretés face à la caméra. Entre deux prises, celui qui incarna le père de Sophie Marceau dans La Boum commente le décor d’appartement qui a été conçu spécialement pour ses séquences (des petites voitures de collection en bois ont par exemple été disposées sur un meuble) : «J’ai gagné le Paris-Dakar en 1983, moi. Par contre, avec ces voitures-là, je n’aurais même pas pu faire le tour de Paris. » Le plaisir de narrer des histoires reste intact chez le comédien, et si nous sommes en train d’assister au tournage d’une série comique dont les épisodes ne dépassent pas les 180 secondes, un puissant parfum de cinéma irrigue clairement le plateau au moment où Claude Brasseur évoque le nom de Michel Galabru, le comédien qui lui succèdera juste après le déjeuner. « Moi, vous savez, j’ai tourné en 1972 avec Michel dans Le Viager, de Pierre Tchernia » rappelle-t-il, avant de préciser que « le gros Gérard », que tout le monde aura reconnu, était également de la partie, de même que Michel Serrault et Jean Carmet…
Quand on l’interroge sur ce qui l’a motivé à signer pour trois épisodes de La Minute Vieille, Claude Brasseur répond qu’il prend cela comme un « exercice ». « Il faut faire des expériences dans la vie. Plus je suis vieux, plus je rigole : c’est bientôt fini, donc autant en profiter. » Le tournage reprend, et voir Claude Brasseur dire avec un air ténébreux et pénétrant qu’ « arrive alors une bombasse avec une poitrine de fou » déclenche effectivement l’hilarité générale.
« Ca suffit, Galabru ! »
Après le clap de fin pour Claude Brasseur, la pause déjeuner prend place au restaurant qui fait face aux studios. Assis à la table des producteurs de la série, Michel Galabru et Claude Brasseur discutent joyeusement. Ce sera leur seul échange de la journée, car il faut ensuite regagner le plateau pour le tournage des séquences de Michel Galabru. Le décor a entretemps changé : une cheminée, du papier peint à l’ancienne, un saucisson, une vieille pendule en bois, une carafe d’eau, un verre de vin rouge et un fauteuil du XVIIIème siècle, « loué pour l’occasion », peuplent l’appartement décrépit du personnage. Alors que l’inoubliable interprète de l’adjudant Gerber dans la saga du Gendarme, installé dans un imposant fauteuil, se concentre silencieusement en attendant que l’équipe soit prête, son visage apparaît sur le moniteur de contrôle et impressionne tous ceux qui y jettent un œil. Michel Galabru ressemble de fait à un paisible monarque qui fixe avec intensité la caméra comme s’il se préparait à la dompter – tout le contraire de Claude Brasseur qui fuyait souvent la caméra du regard au beau milieu d’une prise, dans une attitude plus tendue.
Rompu à l’art de la comédie, Michel Galabru instaure d’emblée une diction joviale. S’emparant de la blague du cirque, il appuie volontairement sur les voyelles des mots « acrobates », « clowns » ou « chevaux », tel un conteur halluciné. Ajoutant au texte que lui lit Fabrice Maruca des mimiques, des soupirs appuyés et des interjections indignées (« Alors là ») ou amusées (« Ha ha »), le comédien crée en direct sa propre musique et s’amuse comme un garnement lorsqu’il doit prononcer le mot « foufoune ». Parfois désorienté par la vitesse avec laquelle le réalisateur lui dicte les blagues et par certains mots dont il ignorait jusqu’ici l’inexistence, l’acteur de 92 ans demande ce que signifie le terme « H.S. » et doit s’y reprendre à plusieurs fois pour prononcer cette sonorité inconnue. Michel Galabru prend aussi l’habitude de s’auto-flageller lorsqu’il bute sur certains dialogues et hurle un tonitruant « Ça suffit Galabru ! » après une nouvelle bafouille. Mais, quelques minutes plus tard, étant finalement parvenu à prononcer le mot « Twix » qui lui posait problème, le comédien crie enfin victoire: « Excellent, Galabru ! » se félicite-t-il. Lors d’une dernière pause, le réalisateur apprend à son acteur que le monteur de La Minute Vieille n’est autre que le fils de Jacques Villeret, Alexandre. « Ah bon ? Il a quel âge le fiston maintenant ? » demande avec surprise Michel Galabru, qui se sent visiblement comme un poisson dans l’eau sur ce plateau qu’il n’aura finalement fréquenté que deux heures.
Interrogé pour les besoins du making-of, le comédien reconnaît qu’il était au départ « inquiet » à l’idée d’expérimenter cette méthode de tournage qui consiste à répéter une blague par fragments progressifs. Mais « c’est très bien comme système », conclue-t-il, avant de rappeler que les compliments adressés par le réalisateur pendant les prises « fouettent la vanité bête du cabot que je suis». Michel Robin avait lui affirmé en début de journée qu’il ne connaissait pas l’existence de la série auparavant, tandis que Claude Brasseur avait déclaré ne plus regarder la télévision depuis belle lurette. On a effectivement le sentiment après cette journée de tournage que ces acteurs légendaires sont venus, curieux et intrépides, dans les studios de Vanves sans trop savoir à quoi s’attendre mais sont finalement repartis amusés et rassurés. Avant de quitter le plateau, Michel Galabru livre ainsi une ultime pensée personnelle : «L’homme naît plus cochon que la femme ».
Diffusion au mois de juillet 2015
Tournée en février 2014, cette salve de trois épisodes (initulés Tour spectaculaire, Secret professionnel et Remplacement) sera donc diffusée près de 18 mois plus tard. Si la saison 4 commencera le samedi 4 juillet par un épisode montrant les habituelles mamies de la série (Claudine Acs, Michèle Hery, Nell Reymond et Anna Strelva), les plaisanteries de Michel Robin, Claude Brasseur et Michel Galabru seront diffusées à 20h45 les lundis 6, 13 et 20 juillet. Fabrice Maruca résume ainsi la situation: «Chaque année, on a rajouté quelque chose : en saison 1, on a découvert le concept de ces vieilles dames qui racontent des blagues vulgaires dans leur appartement, en saison 2 on a ajouté des épisodes avec leurs maris, en saison 3 on a eu trois actrices célèbres (Anémone, Judith Magre et Bernadette Lafont) en guest stars et pour la saison 4, diffusée en 2015, on aura ces trois guest hommes. »
A propos du créneau estival de diffusion, que certains pourraient trouver trop confidentiel, Fabrice Maruca affiche au contraire sa satisfaction. « Moi je suis très heureux. Avec la saison diffusée cet été, la série aura été à l’antenne quatre ans de suite, à raison de deux mois par an. L’été est un bon créneau, ça marche pas mal et il y a un relais Internet assez important, avec par exemple la création récente de la chaîne YouTube de La Minute Vieille ».
En attendant le début des festivités, un avant-goût est visible sur le site d’Arte, qui a mis en ligne la première moitié de l’épisode Tour spectaculaire. Il manque donc la chute de la blague, qui ne sera révélée que le 6 juillet. Amateurs de vannes crues et de bons mots, à vos pronostics !
La Minute Vieille, saison 4. A partir du 4 juillet 2015, à 20h45 sur Arte. Une série écrite et réalisée par Fabrice Maruca, produite par Caroline Solanilas et Laurent Ceccaldi.