« Les Stolbys, ce ne sont pas que des montagnes, c’est une façon de vivre » explique l’un des protagonistes. De la même façon, Alexander Kuznetsov ne filme pas seulement des alpinistes, mais une communauté d’hommes se réunissant pour célébrer la liberté. Sous forme de documentaire, le réalisateur suit en effet un groupe d’alpinistes dont on ne saura rien, si ce n’est qu’ils se retrouvent régulièrement dans une isba illégale cachée dans les montagnes russes. C’est en gravissant celles-ci que ces alpinistes bravent les régimes autoritaires, hier celui du communisme, aujourd’hui celui de Poutine.
Cette recherche de liberté, qu’incarne le groupe, est une critique du régime de Poutine et un exemple de résistance pour une Russie qui semble condamnée à subir le joug d’un pouvoir liberticide. Quelques plans, très beaux, servent de métaphore à ce combat, rapprochant les difficultés de l’ascension à la lutte ardue pour une société meilleure. Les alpinistes écrivent sur les rochers, génération après génération, depuis plus d’un siècle, en lettres peintes, le mot « liberté ». Et quand ce n’est pas la mise en scène qui prend en charge le message politique du film, ce sont les hommes eux-mêmes qui se permettent quelques tirades sur la société russe. Le film ne tombe pas dans le didactisme et les discussions ne sont jamais trop appuyées. Ce ne sont pas des tribunes, donc, mais des témoignages à travers les yeux critiques, mais non résignés, d’une partie de la Russie que l’on entend rarement.
Ne pas s’attendre toutefois à une galerie de visages fermés : c’est aussi une atmosphère joyeuse que dépeint le cinéaste. Mieux, il nous fait partager ces moments en intégrant la caméra au sein de la bande, qui chante beaucoup, joue de la guitare, mange et discute du monde. La joie de vivre de ces familles est communicative. La chaleur humaine permet ainsi de supporter la nature peu accueillante des rochers russes et l’on comprend rapidement que si ces isbas résistent aux temps et à tous les pouvoirs, c’est grâce à la solidarité de ses habitants de passage, qui ont compris que la liberté ne supposait pas toujours la solitude.
On peut peut-être reprocher une certaine naïveté au film,regretter sa courte durée (1h07), qui l’empêche de prétendre à une dimension supplémentaire. Rien n’est dit des différences de parcours ou de motivation des alpinistes. Rien ne montre non plus un quelconque découragement, ni une interrogation sur l’efficacité et le sens de leur lutte. C’est le choix du cinéaste que de ne pas personnaliser l’action collective, pour la rendre plus belle à l’écran, mais peut-être moins concrète. L’image de la petite fille écrivant le mot « liberté » à coups de pinceaux maladroits est la preuve que, plus que tout autre chose, c’est un message d’espoir que veut transmettre Alexander Kuznetsov.
Territoire de la liberté, Alexander Kuznetsov, Russie / France, 1h07.