Je n’avais pas disparu, mais jeudi, c’était le jour du Gaillac Primeur, l’équivalent du Beaujolais nouveau, mais avec du vin du coin (Le « Gaillac », qu’ils l’appellent). Et puis il faisait très beau, et on a le droit aussi de se reposer. Mais avec mon collègue Benjamin, croyez-le ou non, on a quand même un peu bossé. Certes, dans d’excellentes conditions : ce fut un réel plaisir de rencontrer Claude Le Pape, co-scénariste de l’excellent Les Combattants, pour une interview décontractée (bientôt sur Cinématraque) et, plus tard, le temps d’un cocktail. Et parce que c’était le jour du Primeur, Les Oeillades ont pensé qu’il serait opportun de projeter le nouveau documentaire de Paul Lacoste, Vendanges. On avait découvert le cinéaste avec son fascinant travail sur le dialogue père-fils Entre les Bras, où il témoignait de son amour des restaurateurs des arts de la table. Un regard bienveillant, à l’image de celui de deux hommes pour qui le partage du savoir culinaire et le plaisir de faire découvrir au plus grand nombre la cuisine est primordial. Un documentaire marquant qui, à l’image du travail des Bras, pouvait se targuer d’être aussi consistant sur le fond que dans la forme. Vendanges n’est pas forcément au niveau de son prédécesseur ; plus ténu, il s’attache à dresser le portrait des vendangeurs. Si’ l’on retrouve le sens graphique du cinéaste, celui-ci, en voulant rendre justice à chacun, reste à la surface de son sujet (la précarité, l’évolution sociologique des vendangeurs). Dommage. Rencontré plus tard dans un bar, le cinéaste est conscient de la modestie de son projet, et l’on espère tout de même qu’il s’agit, entre lui et nous, du début d’une longue et belle amitié. On l’aime, il nous aime, tout va bien.
De l’amour, de la bouffe et de la joie de vivre, on en retrouve dans le premier film de Louis-Julien Petit, Discount. Prix du public a Angoulême, le film est effectivement une réussite dans le registre du cinéma populaire. Bien que doté d’une mise en scène plus modeste que Les Combattants, Discount fait mouche. Solidarité est le maître mot de l’équipe du film, de la productrice aux figurants, en passant par le distributeurs, les acteurs et le cinéaste. L’application autoritaire d’un management à la cool, particulièrement immonde humainement parlant, transforme les travailleurs des circuits de la grande distribution en bagnards à la sauce Cayenne. Nous ne sommes pas en Corée du Nord, mais dans le Nord de la France. Ici, il n’est pas question de famine, mais de surconsommation, de crédits et d’endettements. Le résultat est le même : la nourriture existe, mais rares sont ceux à pouvoir se permettre de manger convenablement, à leur faim, voire à y accéder. Les directives européennes obligent les grands magasins – ils le feraient sans doute, quoi qu’il en soit – à détruire la nourriture non achetée. Les séquences les plus troublantes du film sont sans doute celles où les acteurs, reproduisant le travail quotidien des forçats de la grande distribution, piétinent la nourriture dans des grands conteneurs, avant d’asperger le tout d’eau de Javel, pour s’assurer qu’aucun SDF ne puisse ensuite s’en nourrir. Aujourd’hui, s’il faut attendre 10 ans pour que des policiers ayant tué des enfants soient jugés (et obtiennent probablement un non-lieu), les plus démunis, qui osent prendre de la nourriture dans des poubelles, sont présentés à la justice, parfois en comparution immédiate, pour ensuite purger des peines de prison ferme. C’est notre monde – celui pour lequel nous votons. Le sujet de Discount pourrait pousser les spectateurs à la révolte, mais à l’image de La Part des Anges de Ken Loach, le cinéaste épice son film d’une belle humanité et d’un humour bienvenu.
Intéressant, enfin, de terminer la journée avec Printemps Tunisien, qui s’attache à décrire les premiers soubresauts de la révolution tunisienne, dont l’Histoire retiendra qu’elle commença avec l’immolation d’un vendeur de fruits et légumes a Sibi Bouzid. Tout au long du festival, très fréquemment, lors des débats avec le public, la répression du mouvement pacifique contre la construction du barrage de Sivens est revenu dans les discussions. Difficile de comprendre la position du gouvernement et son mutisme face à un crime d’Etat. Toujours est-il que mon passage en terre albigeoise, et la vision de la programmation du festival, pousse a penser que la colère n’est plus locale, limitée a une Zone A Défendre, ici ou là. Il est certes difficile de deviner quelle forme cette colère prendra dans un proche avenir, mais elle semble de plus en plus impossible à contenir.