Depuis quand n’avez-vous pas éclaté de rire au cinéma ?
Comment explique-t-on qu’à la manière du jumpscare dans les films d’horreur, plus jamais on ne souffre en salle d’une crise réflexe de rire, incontrôlable et inattendue ? Ce rire qui jadis, lorsqu’un Pierre Richard se prenait subitement une porte nous contaminait forcément ? A-t-on épuisé le filon ? Est-on devenu des spectateurs bougons qui se contenteront désormais de sourire voire pouffer au cinéma ?
Pourtant, devant nos petits écrans, bien aidés par nos dénicheurs de vidéos drôles favoris, nous sommes bien plus bruyants. Car le web regorge de vidéos aussi courtes qu’hilarantes, déclenchant un fou rire immédiat et puissant. Prenez par exemple ce joueur de trombone éternuant dans son instrument en plein concert :
La vidéo est assez révélatrice de ce qui nous fait rire dans ce type de contexte : c’est lorsqu’il vient se nicher dans un quotidien plan plan que l’humour fonctionne le mieux. Il y a ces gens, qui écoutent cette musique calmement, et l’internaute rebelle excité n’a qu’une envie : que tout déraille. C’est une cassure de rythme, un salutaire grain de sel dans l’engrenage bien huilé.
Par exemple, imaginez Greta Gerwig qui se prendrait soudainement un poteau dans sa belle scène de course à la liberté dans Frances Ha…
Quel est l’intérêt de filmer la ligne d’arrivée d’une course de rollers ?
« Attention à la mousse ! » Non, il n’y avait a priori aucun intérêt à filmer ça, et pourtant quelqu’un a cru en ces images, quelqu’un a pris sa caméra et s’est posté là, pour capter on-ne-sait quoi. Ce qui en ressort, c’est un grand moment de chutes où, sûrement à l’instar des premiers spectateurs en salle devant l’arroseur arrosé, le spectateur n’attendait que le drame. Et comme des gamins au cirque, on a ri de bon cœur.
C’est dans cet humour par accident que naît l’humour qui fonctionne le mieux en 2014, si l’on s’en réfère aux décibels. Comme l’expliquait justement Elsa dans son bel article sur les comiques dépressifs, l’équation est celle du moins par moins qui donne du plus. Plus les personnages sont dépressifs, plus ils sont drôles. Et plus ils sont vénères, plus ils provoquent l’hilarité. Tenez, regardez la meuf de Nils, qui ne voulait que faire une vidéo de vacances :
Imaginons maintenant cette vidéo décontextualisée, dans un film des frères Dardenne, où la famille de Nils s’est endettée et a vendu ses enfants pour acheter cette caméra. On toucherait là à un summum de l’humour, façon Eric Judor, où le spectateur n’aurait d’autre choix que de se cacher et rougir d’avoir souri, comme l’adolescent se sentirait gêné d’avoir sursauté comme une flippette en plein milieu du film d’horreur où il a emmené sa copine.
Maintenant relisez ce paragraphe en imaginant que je rigole.
Parce que c’est sur ce double effet Koulechov global que l’on gagnerait à plus surfer. Est-ce sérieux ? Suis-je sérieux ?
Pourquoi n’ose-t-on pas plus coller à la réalité de la vie lorsqu’il s’agit d’humour, de ridicule, de couacs ? Pourquoi Kéchiche et consorts, pourtant si attentifs à ancrer leur personnages dans la vraie vie se refusent-il toujours de les lester d’une maladresse, d’un trait comique, de faire d’eux parfois les esclaves de leur connerie, d’en faire des humains ? Moi j’ai envie d’avoir envie de m’en moquer, d’Adèle, autant que je vais souffrir pour elle, avoir faim avec elle. J’ai envie qu’elle soit totalement humaine.
J’ai envie que les réals mettent leurs acteurs dans de facheuses postures, tel JCVD aux ordres d’un Tsui Hark qu’il idolâtre au point de le laisser jouer à outrance avec son image, donnant lieu à des objets filmiques hybrides (d’aucuns parleront de nanars, pas moi sur ce coup-ci).
Je rêve d’un film d’action où Schwarzy aurait oublié ses clés de voiture, d’un film d’horreur où la victime se niquerait l’orteil au coin de la table du salon, d’un film de gladiateur où le méchant serait tué au premier coup d’épée sur une erreur d’inattention. Je rêve d’un peu plus de vie dans le paysage bien sérieux du cinéma, où il est bon ton de faire pleurer dans les comédies, mais pas de rire dans les drames. Parce que la vie, c’est quand même bien plus marrant que l’on voudrait nous le faire croire.
Tu ne parles que d’une seule personne dans ton article DZIBZ : Howard Hawkes, le seul homme à réaliser des drames plein d’humour et de folles comédies pince sans rire. Il a passé sa carrière à traquer les acteurs pour les empêcher de « jouer » l’humour (Cary Grant dans L’Impossible monsieur bébé est un bon exemple de cet hilarant sérieux!)… Un petit tour à la rétrospective au grand action?
http://www.legrandaction.com/index.php?option=com_content&view=article&id=2488&4bdc813273cfd20b77fbca412d54e943=b37b25de5c5dca0d6c61ccd2e8d