Blood Ties : entre Scorsese discount et Gray anémique

L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai… Il y a de cela quelques mois, Guillaume Canet faisait la Une du magazine Première : on l’y découvrait arpentant fièrement les rues de New York, où – à l’occasion du tournage du remake états-unien des Liens du sang (2008) de Jacques Maillot, dont il tenait d’ailleurs l’un des premiers rôles – il vivait, nous apprenait-on en légende, « son rêve américain ».

Donner une forme à ce rêve, payer son tribut à ses figures tutélaires, en les investissant d’une voix qui lui soit propre ; c’est précisément en cela qu’échoue l’auteur. Car, de la même façon qu’une bande de potes et une maison de campagne ne faisaient pas des Petits mouchoirs le digne héritier du cinéma de Sautet, les signes extérieurs ici convoqués ne suffisent pas à élever Blood Ties au rang de fresque scorsesienne. Quand le film d’origine s’en tenait tout naturellement à un imaginaire très français, Canet puise dans les mythes du Nouvel Hollywood seventies, de Schatzberg à Lumet. Le souci, c’est qu’il réduit son genre – le polar – et surtout son territoire – le New York du milieu des années 70 – à une poignée de motifs. Marion Cotillard marchant au ralenti dans un bar, accompagnée par un travelling et au son d’un standard soul, ce serait donc, en soi, « l’Amérique », l’horizon rêvé de Canet. James Caan en patriarche, une bordée de « fucks » toutes les deux répliques (« Don’t fuck with me, he’s my fucking brother ! », ce genre-là), ce serait encore l’Amérique. Vraiment ?

La trame des Liens du sang, entre les mains notamment de James Gray, ici co-scénariste, aurait pu donner lieu à une authentique tragédie. Frères ennemis, épouses et fiancées sacrifiées sur l’autel des affaires masculines, hésitation entre l’appel du devoir et le sens de la famille, la loi et l’ordre, sont autant de thématiques chères à l’auteur de The Yards. Mais sans sa splendeur opératique, son sens des lieux (chez Gray, New York est, bien plus qu’une toile de fond, un personnage à part entière), sa précision dans l’étude des caractères, la machine tourne à vide et, au mieux, s’apparente à un honnête pastiche. Circonstance aggravante : exception faite de la vaillante Zoe Saldana, le casting féminin, littéralement sous-exploité, peine à exister ; Marion Cotillard singulièrement, magnifique dans The Immigrant de James Gray (également présenté lors de la dernière édition cannoise, et en salles très prochainement), a rarement semblé si mauvaise (une salve d’injures subitement lancée en italien frôle le comique).

Avec Blood Ties, Canet est donc « monté à New York », comme l’on disait autrefois qu’un tel « montait à Paris » : les yeux pleins d’images iconiques, de chromos et de plans envolés d’un herbier seventies, pour les substituer au décor réel qui s’offrait à lui. Même souci, en somme, que dans le récent et catastrophique Malavita de Besson : Scorsese au générique (au titre, toujours un peu louche, de producteur exécutif) et De Niro dans un énième rôle de mafieux en roue libre, et l’Amérique – ou l’idée que l’on s’en fait – est tenue de s’incarner sur le champ, tel le produit miraculeux d’un alignement de mots-clés.

Canet visait la statuaire hollywoodienne ; n’en subsiste ici que la posture et, collant à ses doigts, un peu de sa dorure.

Blood Ties, Guillaume Canet, avec Clive Owen, Billy Crudup, Marion Cotillard, États-Unis / France, 2h07.

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