« Je te déteste, ne reviens pas ». Ce sont les dernières paroles que Momo, petite fille Tokyoïte, aura adressées à son père, quelques jours avant que ce dernier ne meure au large, durant une mission océanographique. A l’origine de cette déclaration, l’absence répétée d’un père, et la déception d’une enfant, la dissonance d’un amour qui ne parvient pas à se dire, et laissera béante une lettre inachevée et entamée par ces mots : « Chère Momo… ». De correspondance, presque au sens baudelairien du terme, il sera ainsi toujours question dans ce second long métrage de Hiroyuki Okiura (Jin Roh, 1999).
Après cette perte, Momo et sa maman, Ikuko, décident de partir pour l’île de Shio rejoindre une partie de la famille pour commencer une nouvelle vie.
Aux larmes versées vont alors faire écho trois gouttes d’eau, qui viendront heurter Momo au moment d’entrer dans la nouvelle maison, comme si le ciel lui aussi pleurait la triste séparation des gens qui s’aiment. Tourmentée, esseulée, obsédée par ce message vide que son père lui a légué, laissant résonner l’horreur de ses paroles, Momo va déambuler dans la vieille demeure, pour découvrir bientôt qu’elle est déjà habitée par des créatures, ces gouttes d’eau qui n’en étaient pas, qu’elle seule peut voir et qui, de toute évidence, n’ont rien d’humain.
D’emblée, Lettre à Momo évoque les immenses productions Ghibli que sont Mon voisin Totoro et Le Voyage de Chihiro : même interpénétration entre le réel le plus prosaïque et l’imaginaire le plus débordant, similaire fascination pour une nature accueillante et féconde, identique manière de mettre en scène la solitude comme trait essentiel de l’enfance. Néanmoins, l’originalité du film de Hiroyuki Okiura tient à autre tour de force : mettre en scène le deuil, le manque éprouvé par Momo, au travers de sa rencontre avec les divinités déchues, gloutonnes et sans empathie pour sa tragédie. Ainsi, les trois yôkaï, aux yeux exorbités et aux bouches béantes, chapardeurs et indélicats, deviennent ses compagnons d’infortune, l’entraînant, à son corps défendant, dans des aventures durant lesquelles elle va redécouvrir le sens du présent, la légèreté et la douceur de vivre contre l’amertume des regrets. Cette collusion rythmique, et même esthétique, entre la gravité et la pesanteur de la perte d’un père et la cacophonie des farces et des danses toutes plus réjouissantes les unes que les autres, devient alors une manière de mettre en lien les morts et les vivants, de les faire correspondre et s’entendre. Ce lien entre l’invisible et le visible devient prodigieux quand l’île, qui bruisse de la présence d’esprits fantastiques autant que fantaisistes, se fait l’écho de la douleur de l’orpheline et de la veuve, sous la forme d’une tempête : séquence épique splendide qui met en scène l’amour d’une enfant pour ses parents, autant que l’étourdissante rencontre des esprits et des humains.
Si Lettre à Momo n’est pas un film d’initiation, c’est justement parce que Momo ne grandit pas, mais par leurs farces, par leur présence, par le message qu’ils ont su transmettre, les yôkaï lui font un plus beau cadeau encore : ils lui rendent son enfance en lui montrant que, quelque part, encore, un père la regarde.
Belle leçon, en somme : il n’y a de deuil que sur fond d’une vitalité qui permet aux morts et aux vivants de correspondre les uns avec les autres.
Lettre à Momo, Hiroyuki Okyura, avec Karen Miyama, Yûka, Toshiyuka Nishida, Japon, 2h00.