« Le film de revanche, c’est l’instrument d’un happy end », entretien avec Denis Côté à propos de la sortie de « Vic et Flo ont vu un ours »

Lorsque j’arrive dans les bureaux de l’agence de presse, le (très) grand réalisateur canadien aux bras tatoués s’inquiète de la sortie a minima au Québec de son dernier film Vic et Flo ont vu un ours. Car si Denis Côté porte haut les couleurs du renouveau du cinéma québécois à l’étranger et dans le milieu cinéphilique, il reste un réalisateur admiré, mais confidentiel. La donne pourrait bien changer avec Vic et Flo, beau film de vengeance, plein d’humour et de délicatesse, qui sera largement distribué en France.

Dans Vic et Flo ont vu un ours, Flo (Romane Bohringer), une ex-détenue, et Vic (Pierrette Robitaille), en liberté conditionnelle, pensent trouver refuge dans une cabane à sucre dans la forêt canadienne. Mais les choses ne se passent pas exactement comme prévu.

Oui, on pourrait dire que le film en entier est sur le détournement. C’est le film de quelqu’un qui veut toucher à tout sans plonger dans rien. Je ne suis pas un fétichiste de la série B ou du film d’horreur, je viens de l’univers cinéphilique, de la critique. Mais dans Vic et Flo, c’est vrai qu’il y a un frottement entre le film réaliste, psychologique, l’histoire de ces deux femmes et la série B.

Une forme de pragmatisme poétique ?

Oui, je pense qu’on peut dire ça. Le réalisme dans Curling (ndla : le précédent film de fiction de Denis Côté) était déjà mis à mal. Mais dans Vic et Flo, j’ai voulu tordre le réel, essayer quelque chose de nouveau. C’était la première fois que j’écrivais des rôles de femmes fortes, et j’ai recherché une certaine justesse. Je n’ai pas fait, par exemple, de leur homosexualité un acte militant. J’ai rencontré une personne qui s’occupe des réinsertions d’anciennes détenues qui m’a expliqué que les couples de femmes en prison, ce sont avant tout, avant les rapports intimes, des couples de « sécurité ». J’ai essayé de conserver ce rapport dans le film. Après, le frottement avec la série B, c’est un moyen de tirer quelque chose du genre. Dans Vic et Flo, je m’ennuyais de voir pendant une heure ces deux femmes ne pas trouver de terrain d’entente amoureux. Le film de revanche, c’est aussi l’instrument d’un happy end. Quoi de plus romantique que de les voir mourir ensemble ?

C’est un parti pris risqué…

Oui, car le spectateur est déstabilisé. Mais cela permet de mettre en scène une question qui m’intéresse, celle de la fatalité. Et puis, ça m’ennuie de voir ces réalisateurs qui passent six ans à tout rassembler pour faire LE chef-d’œuvre, et le manquer la plupart du temps. Moi, je voulais savoir si on pouvait tuer ses héroïnes. Au départ, je voulais intituler le film Vic et Flo meurent à la fin.

La très grande liberté du film, de ton et de genre, se tient pourtant parfaitement grâce à la très grande cohérence plastique.

Bon, je ne le cache pas, je suis un formaliste, je fais beaucoup d’efforts sur la plasticité, j’y mets beaucoup de rigueur. J’essaie d’utiliser au maximum les possibilités du langage cinématographique. Je n’apporte pas de point de vue social, Vic et Flo, c’est un film qui m’a apporté beaucoup de plaisir, qui a été fait sans calcul, sur lequel j’ai cédé au kitsch, avec le panoramique final. Tant mieux si on trouve que c’est beau. Mes premiers films se sont fait dans le calcul, dans l’idée de me positionner esthétiquement. Pour Vic et Flo, j’ai essayé différentes choses. J’ai par exemple beaucoup hésité sur la scène finale, l’apparition des deux enfants musiciens comme un rêve. Ce sont le type de scènes où l’on peut perdre un spectateur.

Oui, mais il a toujours à l’esprit la belle scène d’ouverture du film, qui met en scène les enfants. On est donc tout à fait dans une perspective onirique qui initie et clôt l’aventure.

Bien sûr. C’est un film à deux millions, il est écrit ! Mais cette forme de classicisme narratif, c’est ce qui fait que, contrairement à Bestiaire (ndla : objet filmique non identifié où le réalisateur filme à différentes saisons des animaux dans un zoo et le travail d’un taxidermiste) ou à Carcasse (ndla : documentaire sur un marginal qui entasse des carcasses de voitures), le film ne continue pas de vivre pendant dix ans.

Vous considérez Vic et Flo comme du classicisme narratif ?! Par rapport à presque tous les films qui sortent, il est quasi expérimental, narrativement parlant, il multiplie les fausses pistes, les renversements…

Oui, mais il est moins ouvert, les gens ne viennent pas me dire ce qu’ils y ont vu. D’une certaine manière, c’est du cinéma mort Vic et Flo, les enjeux ne sont pas les mêmes. Le spectateur en tire du plaisir mais moi, je n’en retire pas tout à fait la même fierté.

Curling et Vic et Flo mettent en scène des déclassés de la société, dans la nature, comme les films de Kelly Reichardt Old Joy ou Wendy et Lucy, ou Frozen River de Courtney Hunt.

Oui, c’est vrai, mais ça, c’est l’Americana ! Ce sont des films qui travaillent le mythe nord américain. En France, vous adorez ça parce que vous mythifiez la forêt. Vous adorez les films d’Eastwood, de Shyamalan. Tout ces films n’ont aucun intérêt au Québec, parce que nous, on vit dans le mythe. Le méchant avec un fusil, il est au coin de la rue. Contrairement à vous, ce qui nous fait rêver, c’est le cinéma contemporain russe, hongrois, Bela Tarr… qui est quelquefois décrié en France ! La spécificité du cinéma québécois par rapport au cinéma américain et français, c’est d’une part que notre regard est tourné vers Cannes, d’autre part, qu’on est moins compartimenté : on utilise des caméras vidéos pour faire cinéma et on vit avec le mythe de « l’homme à tout faire », un peu comme la scène musicale montréalaise. Ce qui peut poser des problèmes pour les coproductions.

Vic et Flo a été écrit pour être coproduit en France ?

Oui, le rôle de la française, interprété par Romane Bohringer, est écrit dans l’idée de cette coproduction. Mais on a fait l’erreur d’utiliser les mêmes documents pour l’obtention de fonds au Québec et au CNC. Ils sont sur la table les projets de Desplechin, de Téchiné… et moi, dans la note d’intention, je ne parlais que de mes précédents films, qui ne sont pas très connus ici, à l’exception de Curling. Ils ont dû se demander pour qui je me prenais… Mais quoiqu’il en soit, j’ai finalement gardé le rôle de la française, sans faire aucune remarque interne au film sur les accents, de la même manière que ça se passe partout au Québec, où les Français sont mélangés aux Québécois.

Mais tout de même, si on met ensemble vos trois derniers films, on finit par se dire que le problème, ce n’est pas la nature. Dans Bestiaire, vous observez les animaux sauvages dans un zoo, dans Curling, il y a un tigre en cage… et dans Vic et Flo, l’animal sauvage, ce n’est pas l’ours. Au fond, vous êtes très pessimiste sur la nature humaine.

Je dirai que dans Curling, le héros teste la société, et il essaie de voir ce qui est encore bon dans la société. Dans Vic et Flo, les deux personnages sont assez forts pour recréer une société à part entière. J’aime beaucoup cette idée de communauté, d’êtres à côté du monde. Elles s’assument complètement.

Et pourtant, le personnage de l’agent de probation fait le lien avec la société.

Oui, c’est un personnage qui était assez difficile à écrire. On me disait qu’il ne servait à rien. Mais finalement, Marc-André Grondin est arrivé avec cette interprétation très droite, ni ridicule, ni froide et j’ai compris que son personnage, c’était la voix de la société, le mec normal qui veut bien faire son travail. Le personnage est homo pour éliminer toute relation de séduction avec le personnage de Romane.

Il faut dire qu’il est tellement beau…

C’est drôle que vous le trouviez beau ! Je ne suis pas sûre qu’au Québec, il soit le prototype du beau mec, mais tout le monde me dit ça ici. Je lui dirai…

Mais c’est aussi le personnage qui, comme le spectateur, assiste à l’échec de cette réinsertion.

Oui, c’est lui qui voit toute cette histoire et qui se dit « quel gâchis » !

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