« Un, deux, trois » de Billy Wilder : Yankee & Russki, go home !

En 1961, pendant la « Guerre froide », C.R. MacNamara, représentant à Berlin-Ouest de la Société Coca-Cola, ambitionne d’en devenir le directeur en Europe, et d’introduire la boisson derrière le « rideau de fer ». Son patron, Wendell P. Hazeltine, lui demande de s’occuper de sa fille, Scarlett, qui fait un séjour en Europe. Mais la jeune femme disparaît, puis revient accompagnée d’un militant communiste, Otto Ludwig Piffl, qu’elle présente comme son mari…

Billy Wilder avait conclu les 50’s et débuté les 60’s au sommet de son art, avec deux de ses films les plus populaires, Certains l’aiment chaud (1959) et La Garçonnière (1960). Ce dernier fut en plus un triomphe critique récompensé par cinq Oscars dont ceux du meilleur film, réalisateur et scénario original. Ainsi consacré, Wilder ouvre la décennie par des films aux sujets audacieux avec la farce politique Un, deux, trois (1961), Irma la douce (1963) ayant pour cadre le milieu de la prostitution, et la comédie adultère Embrasse-moi, idiot (1964). Si Irma la douce parait désormais un peu poussif et vieillot, les deux autres films sont de grandes réussites mais portent en germe les mêmes « défauts » qui causèrent l’échec de son essai le plus provocateur, Le Gouffre aux chimères (1951). Dans ce brûlot sur l’ambition et la foire médiatique, Wilder avait poussé la noirceur trop loin, s’aliénant toute empathie possible pour le public avec des personnages plus détestables les uns que les autres, malgré le revirement final du journaliste joué par Kirk Douglas. Pourtant, tout l’art de Wilder repose justement sur l’équilibre entre l’audace de ses sujets et la délicatesse, la finesse de leur traitement, qui font passer toutes les provocations. Le réalisateur a justement perdu cet équilibre dans Un, deux, trois et Embrasse-moi idiot, trop extrêmes et provocateurs dans leurs traitements, et qui rencontreront l’incompréhension du public, lorsqu’elle ne s’attireront pas les foudres de la censure (surtout le second).

Wilder, avec Un, deux, trois, semble donner une version déjantée de Ninotchka (1939), classique de son mentor Lubitsch, et dont il signa d’ailleurs le scénario. Dans celui-ci, comédie romantique et farce politique s’entremêlaient avec une Greta Garbo en communiste psychorigide qui se déridait en tombant amoureuse d’un suppôt frivole du capitalisme incarné par Melvyn Douglas, le film opposant avec brio l’austérité du régime communiste à la vie joyeuse de la communauté parisienne représentant l’Ouest. Un, deux, trois s’inscrit dans un contexte bien plus explosif, avec la Guerre Froide, renforçant le conflit idéologique entre les Etats-Unis et l’URSS, et le cadre du rideau de fer, coupant Berlin en deux bien que le Mur n’ait pas encore été construit. Si l’émotion de Ninotchka n’a pas sa place ici, le grotesque est poussé très loin pour notre plus grande hilarité, avec un scénario délirant. Ambitieux représentant de la marque Coca-Cola installé à Berlin-Ouest, C.R. Mac Namara (James Cagney) rêve de devenir le directeur Europe de la firme. L’occasion de se faire bien voir lui est donnés avec l’arrivée de la fille écervelée et séductrice de son patron à Berlin, et qu’il est chargé de surveiller. Malheureusement pour lui, la jeune délurée va s’amouracher d’un militant communiste et même l’épouser à son insu. Mac Namara va donc devoir résoudre la situation, alors que les parents s’apprêtent à venir chercher leur fille.

Wilder fait feu de tout bois et renvoie tout le monde dos à dos, à coups de dialogues vachards, gimmicks délirants et gags extravagants. Les américains sont donc des ignares incultes, pour qui l’Europe se résume à un marché à conquérir, et pour qui tout ce qui est rouge ou s’en rapproche est synonyme d’abomination (avec le patron de Coca-Cola à l’accent traînant de Géorgie, représentant à lui seul toutes ces tares). Les allemands ont tous un passé plus ou moins supposé douteux, et en ont gardé une discipline source de running gag tordants (comme cette fâcheuse et récurrente habitude de claquer les talons au moindre ordre). Enfin, les russes se partagent entre les hypocrites ne rêvant que de passer à l’Ouest (le trio de notables évoquant ceux de Ninotchka, justement) et les fanatiques enragés, à l’image du fiancé à la morale janséniste joué par un Horst Buchholz hystérique. Le rythme est absolument éreintant, et une vision ne suffit pas pour dénombrer tous les bons mots et situations folles, à l’image de cet interrogatoire communiste, où la torture se fait à l’écoute de disques de rock’n’roll ! Les seconds rôles sont également mémorables, avec l’assistant malmené Schlemmel et la très sexy secrétaire jouée par Liselotte Pulver. Cette frénésie est symbolisée par la prestation survoltée, à la De Funès, de James Cagney, véritable pile électrique, à l’énergie et au débit impressionnants (mais qui regrettera l’hystérie exigée par Wilder pour sa performance). C’est le personnage le plus lucide du film, s’accommodant des velléités politiques de chacun, tant qu’il peut en tirer profit, quand les autres sont soit trop butés dans leurs convictions, soit facilement corruptibles. D’ailleurs, notre jeune militant ne semble pas si mal à l’aise en fin de compte, une fois peigné et habillé en produit moderne du capitalisme, constat cynique que toute idéologie est sans doute monnayable, même chez les plus fervents.

Le film rencontrera quelques problèmes, au vu de son utilisation explicite de la marque Coca-Cola, Wilder recevant même un appel inquiet d’une Joan Crawford membre du conseil d’administration de la firme depuis la mort de son époux Alfred Steele, ancien directeur marketing. Finalement, Wilder devra simplement retirer le logo de l’affiche initiale du film et trouvera même le moyen de citer Pepsi lors de l’hilarante séquence finale. Wilder signe l’un de ses films les plus drôles et, après cette variante dégénérée de Ninotchka, rendra de nouveau hommage à Lubitsch avec Embrasse-moi idiot qui, cette fois, offrira un pendant provocateur à Ange (1937), avec l’adultère comme moteur de réunion du couple.

Un, deux, trois, Billy Wilder, avec James Cagney, Horst Buchholtz, Pamela Tiffin, États-Unis, 1h55.

About The Author

1 thought on “« Un, deux, trois » de Billy Wilder : Yankee & Russki, go home !

  1. Bon article sur ce film déjanté mais petite erreur à la fin : Joan Crawford, était veuve du patron de PEPSI COLA, puis membre du conseil d’administration, et non de Coca Cola. S’inquiétant de la publicité pour son concurrent, elle s’était plainte à Wilder qui avait ajouté des allusions à Pepsi dans le film notamment le plan de fin. A part ça, bravo pour votre site.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.