Une nuit d’été, cinq jeunes – quatre garçons, une fille – des environs de Porto-Vecchio s’introduisent, en l’absence de sa propriétaire, dans une luxueuse villa. Pour y avoir dérobé quelques bricoles et deux fusils de collection, la bande s’attire les foudres d’un caïd local…
Tiré d’un fait divers (trois ados avaient assassiné l’un des leurs, avant de l’enterrer dans le maquis), le premier film de Thierry de Peretti donne à voir une Corse rarement montrée. Ni celle des clans mafieux et des crimes d’honneur (veine folklorique allègrement exploitée, aujourd’hui encore, par la série Mafiosa), ni celle des paysages de carte postale (cadre, au hasard, du récent et affreux Itinéraire bis), dont le film, tourné à Porto-Vecchio, montre justement l’envers. Entreprise de démystification, donc, qui vaut surtout par le territoire qu’elle instaure, et dont elle reprend la cartographie à zéro (ronds points anonymes, banlieues sans cachet, zones industrielles, spots touristiques aux relents de spring break, hôtellerie considérée du point de vue du personnel de service), soit un traitement semblable à celui qu’appliquait, sous une même lumière sèche et plombante, Jean-Jacques Jauffret aux Bouches-du-Rhône dans Après le sud (2011).
Le parallèle ne s’arrête pas là, les deux films prenant pour ligne de fuite le fait divers, élisant en lui l’événement-s’il-en-est, la matérialisation idéale – et donc affreuse – des maux de l’époque. Mais lorsque Jauffret, à force de hasards savamment orchestrés, semblait faire advenir les conditions du crime – le construire, en être l’auteur en somme –, de Perreti part au contraire de celui-ci. Tout à sa visée naturaliste, l’auteur capte le charisme de ses comédiens, amateurs castés dans la région du tournage (le film prend d’ailleurs, un temps, la voie d’un curieux teen movie, versant ragazzi pasoliniens plutôt que college boys US) et, multipliant pistes et perspectives – sans jamais en privilégier aucune, souci d’exhaustivité oblige, et au risque avéré de voir son regard s’estomper derrière les faits –, dresse l’état des lieux des tensions à l’oeuvre entre enfants et parents, Corses « de souche », d’origine maghrébine et « gaulois » (les français du continent, comme les qualifient certains îliens), prolos, caïds locaux et riches propriétaires. Et évoque successivement les méfaits du tourisme de masse – les enclaves de villégiature qu’il crée dans des paysages dévastés, rendus impropres au quotidien des locaux ; les frustrations qu’il suscite parmi ses laissés-pour-compte –, le désengagement de l’état (« Les flics, tu les appelles quand t’as besoin de rien », ironise un personnage), l’envie d’ailleurs (de continent, s’entend) d’une partie de la jeunesse corse…
Après une petite baisse de tension, Les Apaches se clôt sur une image splendide. Après avoir une nouvelle fois pénétré dans la villa, en plein jour cette fois, mais comme invisible aux yeux de ses occupants – une foule de jeunes gens aisés, occupés à se saouler, s’embrasser, barboter dans la piscine –, François-Jo, l’un des trois meurtriers, est enfin remarqué par un adolescent, qui le montre du doigt. Ce geste, ce regard, bientôt repris par les autres jeunes (et d’autant plus troublants qu’ils désignent à la fois le personnage, désormais hors-champ, et le spectateur), semblent le dénoncer comme doublement étranger : parce que de condition sociale inférieure, et pour avoir commis l’irréparable.
Invisible ou voué à l’opprobre : telle est en somme, à en croire Les Apaches, l’alternative d’une certaine jeunesse contemporaine.
Les Apaches, Thierry de Peretti, avec François-Joseph Culioli, Aziz El-Haddachi, Hamza Meziani, France, 1h22.