C’est donc le cinéaste underground Sono Sion (Guilty Of Romance) qui, moins d’un an après « l’incident » nucléaire de Fukushima, aura été le premier à s’en emparer pour en faire une sujet de cinéma. Sion a d’ailleurs commencé à tourner en janvier 2012, sans avoir réuni tous les financements nécessaires, tant la question nucléaire semble être un tabou ultime au Japon. Cette urgence, cette volonté de témoigner envers et contre tout, contribue largement à la réussite du film. Pourtant, The Land Of Hope n’est ni un film catastrophe spectaculaire, ni un film documentaire/documenté à charge, mais bien plus simplement un mélodrame familial, dont la force réside justement dans son évidence et sa simplicité d’exécution.
Sono Sion plante son récit dans un village localisé exactement à la limite de la zone dangereuse déterminée par les autorités après un tremblement de terre. La quasi-totalité du village est évacuée de force, dispersée, les habitants changés en réfugiés en quelques heures. Un très jeune couple part alors à la recherche des parents disparus de la jeune fille. Seuls restent un vieux fermier et sa femme, dans leur maison située à quelques mètres de la ligne de démarcation arbitrairement tracée. Le fils et la belle-fille, eux, sont partis dans une ville voisine, un peu éloignée, mais apparemment pas assez : là aussi, il y a de la radioactivité dans l’air. La jeune femme, qui attend un enfant, entre peu à peu dans une paranoïa qui, en fait, n’en est pas une. En se protégeant, elle donne une chance à son enfant mais se condamne aux yeux des habitants qui, encouragés à longueur de journée par les spots télévisés, voudraient surtout oublier le danger. Cette amnésie plus ou moins volontaire de toute une société, est ce qu’il y a de plus inquiétant dans le constat dressé par le cinéaste : en situant son histoire dans un futur proche (la centrale accidentée, fictive, s’appelle Nagashima, et à plusieurs reprises des personnages établissent un parallèle avec la réalité : « souvenez-vous, ce qui s’était passé après Fukushima… ») Sono Sion montre l’implacable réalité vers laquelle se dirige le pays dans lequel il vit, réalité orientée par un gouvernement qui, en plus de cacher aux citoyens l’ampleur de la catastrophe, s’est empressé de poursuivre sa politique de développement de l’énergie nucléaire. Comme si de rien n’était, Areva vient d’ailleurs d’expédier par bateau une nouvelle cargaison de Mox au Japon.
L’autre grande réussite du film réside dans l’intelligence de son scénario, qui répartit entre les trois couples de son histoire les différentes problématiques liées à la catastrophe : le drame des familles dispersées par le tsunami, les vies brisées par une gestion gouvernementale désastreuse, et l’envie de continuer à vivre malgré l’omniprésence d’un danger qui, de par son invisibilité, est à la fois terrifiant et facile à oublier. Totalement investi par son sujet, Sono Sion construit une mise en scène sobre mais terriblement efficace, qui va droit à l’essentiel en créant à intervalles réguliers, entre deux scènes frontalement filmées en plan séquence, des images puissantes, qu’elles soient réalistes (le moindre souffle de vent devient synonyme de danger) ou imagées (la radioactivité représentée comme dans un film fantastique ; les pieux qui s’enfoncent arbitrairement entre le père et le fils).
Si l’on peut questionner la pertinence de la troisième histoire, moins forte parce que moins travaillée et qui rallonge le film sans raison, on ne peut pas passer à côté d’un film qui, tour à tour grinçant et émouvant, porté par des acteurs rivalisant d’ingéniosité, se conclut dans une irrésolution qui est sans doute son meilleur atout : entre amertume désespérée et possibilité d’un renouveau, tout se joue maintenant, nous dit Sono Sion. L’avenir dépendra de la prise de conscience mondiale qui doit avoir lieu, et pour laquelle voir ce film est peut-être le premier pas.
The Land of Hope, Sono Sion, avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagarazaka, Grande-Bretagne / Japon / Taïwan, 2h13.