JR, étudiante au look hipster, vient de rompre avec son prof de fac. Elle demande à son frère Colin, encroûté dans sa banlieue, de l’accompagner récupérer ses affaires : un road trip qui sera l’occasion, pour le frère et la sœur que tout semble opposer, d’un bilan sur leurs vies et leurs aspirations.
Le jeune réalisateur new-yorkais Alex Ross Perry, également producteur, scénariste et acteur principal, livre avec The Color Wheel un film à la fois poétique et impertinent. Au delà de l’étiquette « indé » qui lui colle à la peau dans une première heure drôle mais souvent un peu bavarde, le film prend corps grâce à une fin radicale et assumée.
Dès les premières images se dégage une certaine nostalgie, diffusée par le choix du noir et blanc qui donne au récit une coloration à la fois intemporelle et familière. Belle idée de filmer le présent comme s’il appartenait déjà au passé : le road trip en apparence anecdotique n’est plus qu’un souvenir, un jalon dans l’histoire des personnages, point de rupture fondateur dans leur construction personnelle. En somme, ce que montre Perry en filigrane n’est rien de moins que le passage de l’enfance à l’âge adulte, moment flottant et évanescent où les idéaux se confrontent à la réalité. Cet état incertain est bien retranscrit par le grain chaud du 16 mm qui dote le film d’une aura à la fois intime et universelle. Alex Ross Perry rejoint en ce sens le très new-yorkais Ira Sachs de Keep the Lights On dans lequel, là aussi, la caméra tente de saisir les personnages dans une dimension située hors du temps.
Mais la mise en scène un poil maniérée (plans serrés, attention aux détails, touche « arty » appuyée) peut parfois agacer quand la complaisance du geste prend le dessus. De la même manière, bien que souvent très drôle, le film souffre par endroit d’être emporté par la dynamique de son verbe. Les séquences les plus bavardes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les dialogues légèrement irritants de Woody Allen et Mia Farrow dans Maris et femmes. Quant au dispositif narratif, il est très programmatique : comme si tout le film était créé dans l’attente de sa fin très perturbante.
Perturbante, cette fin n’est pas pour autant bêtement provocatrice. Elle se rapproche en cela du geste de Vincent Gallo dans The Brown Bunny, qui pouvait apparaître comme artificiellement subversif mais s’imposait en fait avec une parfaite évidence. Elle soulève à l’occasion une question morale déroutante, posée récemment par le philosophe Ruwen Ogien (L’influence de l’odeur des croissants chaud sur la bonté humaine…) dans ses réflexions sur l’éthique minimale : en l’absence de tort causé à autrui, alors même que l’acte incriminé peut sembler inconvenant, peut-on fonder la réprobation morale ? Par une attitude transgressive plus amorale qu’immorale, JR et Colin auront accompli le travail de deuil d’une enfance difficile à quitter, parenthèse nécessaire et souvenir dont l’image appartient définitivement au passé.
The Color Wheel, Alex Ross Perry, avec Carlen Altman, Alex Ross Perry, Bob Byington, Etats-Unis, 1h23.