« Main dans la main », l’atelier mise en scène de Valérie Donzelli

Tout d’abord, le titre : Main dans la main. Choix judicieux. Une prise de contact agréable, sensuelle, protectrice, mais aussi potentiellement étouffante. Comme un enfant qui cherche à développer sa personnalité, mais n’arrive pas à lâcher la main de son père. Valérie Donzelli aime, et cela se voit, se pencher sur ces moments d’intimité. Raconter ses angoisses, l’impossibilité, dans un couple, d’une fusion sereine, mais aussi sa difficulté, voire son incapacité, à se séparer. Un problème qu’elle n’hésite pas à aborder dans le dossier de presse. Elle y évoque son frère, de deux ans son cadet, né le jour même de son anniversaire, et son ex-compagnon et acteur fétiche, Jérémie Elkaïm.

En général, je n’aime pas trop me plonger dans la biographie d’un auteur, surtout lorsqu’il aborde ses névroses. Je considère le film pour lui-même, comme objet de fiction, et aimerais que mon analyse se limite à ce qu’il y a sur l’écran. Je me contrefiche, par exemple, des rapports de Valeria Bruni-Tedeschi ou Noémie Lvovsky à leurs mères respectives. Woody Allen a su mettre beaucoup d’éléments personnels dans ses films, sans pour autant nous donner l’impression d’assister à des séances de psychanalyse. Valérie Donzelli oblige le spectateur à entrer dans son histoire familiale. C’est un cinéma qui parle de gêne et, par là-même, me gêne. J’avais beaucoup aimé La Guerre est déclarée, mais j’avais été un peu déçu en apprenant sa dimension autobiographique. Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm avaient fictionnalisé l’épreuve qu’ils avaient traversée : Main dans la main part du même principe, en l’approfondissant encore. « Je pense qu’il (le film) en dit encore plus sur notre intimité que ne le faisait le film précédent », reconnaît Jeremie Elkaim. Un « je » fusionnel pour ce drôle de couple d’ex. C’est la proposition de départ, il faut l’accepter.

Deux personnages que tout ou presque semble opposer se retrouvent, du jour au lendemain, liés par une force étrange, incapables de se séparer. La force du film repose sur deux éléments. L’un mêle le fantastique au burlesque : les personnages, donc, ne peuvent plus se détacher l’un de l’autre, tant sentimentalement que physiquement. Très bonne idée, qui donne lieu à des séquences drôles et visuelles, et permet de chorégraphier des scènes de la vie courante, nous conduisant vers l’autre élément fort du film : la prestation de Jeremie Elkaïm, déjà remarquable dans La guerre est déclarée. J’apprécie la sérénité de sa diction. Mais plus qu’une voix, c’est un corps. Tout le travail de l’acteur est d’accompagner le cinéma dans sa volonté d’être un art en mouvement. L’acteur, tel un danseur, utilise son corps pour séduire l’objectif et apprivoiser l’espace. Et, force est de constater que Jérémie Elkaïm est un excellent danseur. On peut aussi y vérifier, une fois encore, le rapport privilégié de l’acteur à la réalisatrice, qui ne cache pas son amour de la danse.

J’aime aussi l’audace du générique, très pop, qui rappelle celui d’Enter the Void de Gaspar Noé, ou celui de Donzelli lorsqu’elle choisit de cadrer un dialogue en contre-jour, ou de donner un coup d’accélérateur au récit en utilisant une voix off, qu’elle parasite bientôt en faisant intervenir la voix de ses protagonistes. Une voix off qui nous raconte l’histoire, avant que celle des comédiens ne nous ramène au récit.

Pourtant, je ne parviens toujours pas à savoir si j’ai aimé le film. Car subsiste cette désagréable impression d’assister à une avalanche d’effets de mise en scène sans cohérence. Je tends la main pour entrer dans la danse, mais j’ai l’impression d’être de trop, comme dans un plan à trois un peu foireux. L’ensemble se tient, mais Valérie Donzelli peine à inscrire ses prétentions expérimentales dans le récit d’une comédie romantique. De même, on se demande s’il était vraiment utile d’aborder – de façon superficielle – des thématiques aussi nombreuses que convenues (la maladie, le pouvoir, le déclassement, l’inceste…).  Main dans la main est un film que l’on a sincèrement envie d’aimer mais qui, parce que trop narcissique, nous laisse dehors.

J’avoue cependant être un peu jaloux. Faire les films que l’on veut en expérimentant ce que l’on veut, en rencontrant le succès et en bénéficiant d’une telle couverture presse, c’est magique. Mais, comme le disait Georges Brassens, « sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie ». Valérie Donzelli a le potentiel pour devenir une très grande réalisatrice ; peu de gens, en France, aujourd’hui, ont un talent comparable. Mais il va falloir travailler.

Main dans la main, Valérie Donzelli, avec Valérie Lemercier, Jérémie Elkaïm, Valérie Donzelli, Béatrice de Staël, France, 1h25.

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