Depuis le 22 Octobre 2012, le site www.terrescommunes.fr propose à l’internaute de naviguer entre différents médias, de se frayer lui-même un parcours personnalisé à travers une oeuvre originale réalisée par Emmanuel Vigier, sur un sujet qui revient périodiquement, comme une litanie sourde et inquiétante, nous occuper l’esprit lorsque le froid tombe : les sans-abris, et les moyens mis en oeuvre par les associations pour les aider. Avec un axe assez précis, en l’occurrence, puisque le réalisateur a suivi, de Paris à Marseille, en passant par Lyon et Grenoble, des associations qui s’occupent d’accompagner dignement les laissés-pour-compte dans leur dernière demeure : les fameuses zones communes de certains cimetières, où la terre retournée à la hâte laisse parfois émerger des os sans nom.
Au-delà de la puissance du sujet, et de la qualité artistique et technique, plutôt bonne, des séquences filmées, il convient surtout de souligner la forme du projet. Le site met ainsi en scène les quatre saisons (les images ont été tournées sur une période d’un an), chacune étant composée de 5 vidéos, de diaporamas, de photos, de textes, de musiques et de voix off. Selon un principe de priorité assez instinctif : un média se déclenche lorsque l’on passe la souris dessus, interrompant le cours des autres. Le fil rouge de ce documentaire demeure les vidéos « classiques », que l’on peut regarder bout à bout, à la manière d’un documentaire découpé en épisodes. A certains moments, pendant la lecture de la vidéo, des photos vont apparaître, et des propositions d’exploration, se présenter : le spectateur/acteur pourra alors lancer d’autres pistes, d’autres médias. Ici, une lecture de textes, là, une série de photos – là encore, un paragraphe écrit… Avant de reprendre le cours de la vidéo.
Emmanuel Vigier a ainsi voulu créer une oeuvre changeante, évolutive, et surtout bouclée : l’année qu’il donne à voir ressemble (terriblement) à celles déjà passés, et sans aucun doute à celles à venir. Ainsi, en ne donnant pas de repères temporels précis, et en permettant de passer librement d’une saison à l’autre, il rend compte avec force de l’inertie du problème des SDF (et autres « indigents » n’ayant pas les moyens de se payer une tombe), qui vient, chaque année, déranger les bonnes consciences le temps de quelques Unes de journaux, avant de retomber dans l’oubli, jusqu’à l’année suivante.
Je vous parle du site ; or, c’est à une projection que j’ai assisté, dans une salle de cinéma : où le projet prenait des allures d’installation expérimentale, Emmanuel Vigier composant lui-même, et à l’instinct, le menu, au fur et à mesure de la séance (qui dura un peu moins d’un heure). Ainsi, l’écran de cinéma reproduisait son écran d’ordinateur, et l’on voyait la souris passer d’un contenu à l’autre. Plutôt étrange, et assez frustrant puisque, par définition, le tempo du réalisateur/projectionniste ne pouvait pas coïncider avec celui des spectateurs. Ce faisant, il pouvait ainsi questionner lui-même son oeuvre, tout en nous laissant suffisamment frustrés pour aller voir la suite sur son site. Beau coup de promotion, pour un projet qui a vu le jour hors des circuits classiques, et qui ne pourra (par définition) pas trouver de moyen de diffusion en salles à grande échelle.
La projection permet, en l’occurrence, de profiter des vidéos en plein écran, et de mettre en valeur leur beauté. Car, derrière ce dispositif complexe (mais designé de façon simple et intuitive), il y a avant tout un gros travail de journaliste (ancienne profession de Vigier), et une façon de filmer aussi inspirée que pudique. Un projet à découvrir donc, à son rythme et au fil de ses réflexions, sur Internet : www.terrescommunes.fr.