Milla : la cinéaste Shannon Murphy fait ses dents

C’est la grande Marjane Satrapi qui nous a fait découvrir Milla lors d’une carte blanche à l’Étrange Festival. Prochaine sortie du distributeur Jour 2 fête, et intitulé Babyteeth en V.O, il s’agit d’un premier long métrage pour la réalisatrice Shannon Murphy (qui a beaucoup d’expérience dans la télévision)… et d’un sacré coup de cœur.

Milla, interprétée par la géniale et magnifique Eliza Scanlen (Amma dans Sharp Objects, Beth March dans le Little Women de Gerwig), est une jeune lycéenne atteinte d’un cancer dont les détails ne nous sont jamais vraiment expliqués. Le film s’ouvre par sa rencontre avec un jeune dealer à la coupe de rat (mais pas aussi moche que Jeremy Renner dans Endgame, faut pas abuser) campé par le moins connu Toby Wallace (The Society) : Moses. Au premier abord on assiste à l’équivalent masculin de la manic pixie dream girl, qui lui vient ouvrir le personnage féminin à un monde sauvage et de débauches, mais il n’en est rien : le film est plus intelligent que ça.

Et cela, on le comprend dès la première scène des parents de Milla ; le père psychiatre (Ben Mendelsohn, stratosphérique comme à son habitude) fait l’amour à sa femme enmorphinée (Essie Davis, que l’on connaît de The Babadook) sur son bureau de travail tout en mangeant un sandwich… Il y a quelque chose de flottant dans Milla. Sans pouvoir nécessairement mettre les mots sur notre sentiment face aux images qui défilent, on se sent déboussolés.

On s’accroche à quelques repères évidents : Milla se prend d’affection pour Moses malgré ses airs de voyou et le fait qu’il soit trop âgé pour elle, ses parents désapprouvent… Une histoire d’amour impossible ? Une romance à sens unique où le vilain garçon ne pense qu’à lui ? Pas du tout. Shannon Murphy et sa scénariste Rita Kaljenais (qui a adapté sa propre pièce de théâtre) préfèrent aller ailleurs. La maladie de Milla pousse ses parents à accepter tout ce qui peut la rendre heureuse, sachant très bien qu’elle n’aura pas le temps d’attendre d’être plus âgée pour faire des erreurs.

Cette maladie affecte le film dans sa forme même, ce que l’on saisit au fur et à mesure du visionnage ; les parents de Milla sont tous les deux drogués en permanence, tout comme Moses. Ce qui donne cette impression de flottement constant ; les scènes dégoulinent les unes entre les autres, sans jamais exactement savoir où s’arrêter et commencer. Un chapitrage à la jolie police couleur bonbon rose vient essayer de donner de la forme au chaos, mais n’y parvient pas non plus ; par moments le texte vient nous donner des informations que nous avions déjà. À d’autres moments, il nous ment.

On pardonnera à Shannon Murphy quelques maladresses, comme l’étrange relation précipitée entre le père Henry et sa voisine dont le chien s’appelle aussi Henry, ou encore le passage où Milla s’évade en soirée : esthétiquement inventif mais trop proche d’un chemin balisé que le reste du film s’efforce d’éviter. Car c’est dans l’intimité de la maison familiale et dans le dernier acte que l’on comprend vraiment que l’on a affaire un à un vrai acte de cinéma. Lorsque Henry (on l’a déjà dit mais Ben Mendelsohn est vraiment magistral) commence à vouloir prendre en photo tout ce que fait sa fille, il lutte contre la nature même du cinéma : à une image en succède une autre. Et arrivera bien celle qui montrera sa fille sans vie.

En cela, la scène finale prend le parti d’inverser le court du temps. De retourner la caméra ; ce sont les morts qui figent le temps et emportent avec eux la cristallisation de nos folles existences terrestres. Nous autres vivants restons prisonniers du temps comme la bobine qui ne s’arrêtera pas de tourner avant la fin du film…

Heureusement pour Shannon Murphy, la bobine vient juste d’être lancée : ce n’est que le début d’une belle carrière.

Milla, réalisé par Shannon Murphy et écrit par Rita Kaljenais. Diffusé à l’Étrange Festival 2020, en salles en février 2021.

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